C’est par la presse azerbaïdjanaise que les élus du Congrès ont appris la nouvelle. Jeudi 18 avril, l’élue UC-FLNKS et Nationalistes Omayra Naisseline a signé un mémorandum de coopération au nom du Congrès de la Nouvelle-Calédonie avec Sahiba Gafarova, la présidente de la Milli Majlis, le parlement de l’Azerbaïdjan.
Lors des prises de parole captées par la presse locale, l’élue des Iles remercie ouvertement le gouvernement azerbaïdjanais "pour son soutien à cette lutte du peuple kanak" et "salu[e] le partenariat établi aujourd’hui entre [les] deux pays".
Régime répressif
À ce stade, il ne s’agit encore que d’une déclaration d’intention entre Bakou et la Nouvelle-Calédonie. Mais la nouvelle a fait bondir plusieurs groupes non-indépendantistes au Congrès. Ils fustigent ce rapprochement avec l'ex-République soviétique du Caucase, dont le régime est classé parmi les plus autoritaires au monde, selon Reporters sans frontières et Amnesty International.
Dans un communiqué conjoint, les Loyalistes et le Rassemblement indiquent que ce déplacement "n’a fait l’objet d’aucune concertation ni d’information au préalable des élus". Ils affirment également qu’Omayra Naisseline "n’a reçu aucun mandat de la part du Congrès pour mener cette mission".
Invitée en tant que FLNKS
Faux, rétorque le président du Congrès, qui accuse les non-indépendantistes de vouloir faire le "buzz" autour de cette histoire. Roch Wamytan l'a assuré ce mardi, devant la presse : c'est lui qui a habilité Omayra Naissiline à signer ce mémorandum en sa qualité de président du Congrès.
Y est-il autorisé ? La question paraît légitime puisque selon l'article 70 de la loi organique, le président du Congrès peut déléguer certaines de ses attributions mais uniquement à ses vice-présidents. Une fonction que n'occupe pas Omayra Naisseline.
Quant au financement de ce déplacement, il n'a pas été pris en charge par le Congrès, affirme Roch Wamytan. "[Omayra Naisseline] a été invitée [en Azerbaïdjan] en tant que représentante du FLNKS par le Groupe d'initiative de Bakou. Moi, je n'ai pas pu me déplacer. Du fait qu'elle était là-bas, je lui ai demandé de signer à ma place."
Pour rappel, le "Groupe d'initiative de Bakou contre le colonialisme français" a été créé en juillet 2023 en marge d'un rassemblement du Mouvement des non-alignés, à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan. Ce groupe réunit des représentants de mouvements anti-colonialistes des Outre-mer.
"Pas de leçon à recevoir"
Missionnée comme représentante du Congrès pour cette signature, Omayra Naisselline a évoqué une "ressemblance" entre "le drapeau de notre nation Kanaky et celui de l'Azerbaïdjan". Sur ce point, Roch Wamytan concède une maladresse de la jeune élue qui "n'aurait pas dû dire ça".
Le président du Congrès assume, en revanche, les propos d'Omayra Naisselline quand elle érige l'Azerbaïdjan en "exemple" pour la Nouvelle-Calédonie. Et ce, malgré l'offensive menée par le régime fin 2023 dans l'enclave du Haut-Karabakh, qui a poussé des dizaines de milliers de réfugiés à prendre la fuite vers l'Arménie.
S'il dit avoir de la "compassion pour les Arméniens", Roch Wamytan s'interroge : "Pourquoi diaboliser ce pays ?" Avant d'ajouter : "La France n'a pas trop de leçons à nous donner en la matière. Parce que la France soutient des régimes répressifs et autoritaires comme le Togo, le Tchad, Djibouti, en formant leurs forces de sécurité, en conseillant leur hiérarchie militaire et par la vente des armes."
Nous devons trouver des appuis extérieurs du fait que le président Macron est sorti de son impartialité depuis les accords de Matignon.
Roch Wamytan, président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie
Des relations avec l'Azerbaïdjan depuis 2019
Ce n'est pas la première fois qu'un représentant du FLNKS est invité à se rendre en Azerbaïdjan. L'an dernier, l'élue du Congrès Marie-Line Sakilia (actuellement non inscrite dans un groupe), et Roch Wamytan lui-même, ont fait le déplacement dans ce pays du Caucase.
Selon le président du Congrès, les relations entre le front et l'Azerbaïdjan remontent à 2019, lorsque le pays a pris la présidence du Mouvement des non-alignés. Dans son discours, le président Ilham Aliyev "est intervenu plus particulièrement sur la défense du droit international et sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le droit des peuples colonisés à maîtriser leur destin. C'est à ce moment-là qu'on s'est accroché", précise Roch Wamytan.
Alors que les discussions patinent sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, le FLNKS veut compter sur Bakou pour porter son droit à l’auto-détermination au niveau international. "L'Azerbaïdjan a montré sa capacité de nous aider, estime Roch Wamytan. Nous devons trouver des appuis extérieurs du fait que le président Macron est sorti de son impartialité depuis les accords de Matignon. Nous devons aller à l'extérieur pour pouvoir être entendus."
Si le FLNKS veut se déplacer là-bas, c'est son droit mais pas l'institution.
Le député Philippe Dunoyer
"Une honte pour le pays"
De leur côté, les Loyalistes et le Rassemblement annoncent leur intention de saisir le procureur de la République. "Qu’Omayra Naisseline aille se targuer d’être la représentante du peuple calédonien et de représenter le Congrès, c’est juste inadmissible et inacceptable, dénonce Françoise Suvé, la cheffe du groupe les Loyalistes au Congrès. L’Azerbaïdjan n’est pas un Etat de droit. C’est un Etat où la violation des droits de l’Homme est légion. On se pose la question de la cohérence d’une telle coopération".
Elle répond à Sheïma Riahi et Franck Vergès
Même indignation chez les élus de Calédonie ensemble, qui demandent la tenue d’une session extraordinaire, boulevard Vauban, sur le sujet. Pour le parti, cette initiative du président du Congrès est "une honte pour notre pays", écrit-il dans un communiqué.
« Il y a un mélange des genres avec une instrumentalisation derrière, un objectif politique, estime le député et élu au Congrès (Calédonie ensemble) Philippe Dunoyer. Puisque là-bas des déclarations de remerciement, de soutien de la lutte du peuple kanak ont été faites. Si le FLNKS veut se déplacer là-bas, c'est son droit mais pas l'institution."
Retrouvez l'interview du député Philippe Dunoyer
Le 16 avril déjà, avant la signature de ce mémorandum, une vingtaine de députés français, dont le Calédonien Nicolas Metzdorf, avaient adressé un courrier au ministre des affaires étrangères Sébastien Séjourné pour réclamer "une réponse diplomatique forte de la part de la France" face à "l'ingérence flagrante de l'Azerbaïdjan".
Une signature qui est une "faute à la fois politique et morale", selon l'Éveil Océanien. "Nous croyons véritablement que la quasi-totalité des élus du Congrès sont contre cette signature, car qui peut croire en effet que "l'Azerbaïdjan est un véritable exemple pour la Nouvelle-Calédonie?"", interroge son président Milakulo Tukumuli.
Des relations tendues entre Bakou et Paris
Ce nouvel épisode va-t-il créer un incident diplomatique avec l'Etat ? Ce qui est sûr, c'est que ce déplacement a été très suivi à Paris. Car les relations entre l'Azerbaïdjan et la France se sont particulièrement tendues ces derniers temps.
En novembre, Viginum, l'organisme de lutte contre les ingérences numériques étrangères, avait identifié l’Azerbaïdjan comme étant à l’origine d’une campagne de désinformation à l'encontre de la France. Plus de 1 600 publications mettaient en doute la capacité du pays à organiser les Jeux olympiques.
Puis en décembre, une autre affaire avait défrayé la chronique. Selon Europe 1, l'Azerbaïdjan aurait fait passer des espionnes pour des journalistes, lors de la visite de Sébastien Lecornu, au Sommet des ministres de la défense à Nouméa.
Le reportage de Sheïma Riahi et René Molé