La dictée du Pacifique

Dictée du Pacifique 2016 dans la salle d'honneur de la mairie de Nouméa
En prélude à la semaine de la langue française et de la francophonie, l'alliance Champlain a organisé pour la deuxième fois la dictée du Pacifique pour les amoureux de l'orthographe et de la littérature. Voici le texte extrait de "L'île aux cent visages" de Jacqueline Sénès.

DICTÉE DU PACIFIQUE 2017
EXTRAIT DE L’OUVRAGE DE JACQUELINE SENES
L’ILE AUX CENT VISAGES, p 147


Ils étaient trois.

Ils ne sont plus que deux.

C’est déjà un constat d’échec.

Ils étaient plantés, cailloux de quartz, au pied de la montagne qui domine Poya sur la route même qui va à la tribu de Goapin, jadis sentier canaque qui s’enfonçait dans les roches d’Adio, là où jadis les roussettes à queue faisaient leurs nids, tandis que les anguilles disparaissaient dans un creek-fantôme, rivière évanouie sous des grottes-sépultures et qui rejaillissait, fraîche, verte et vive, là-bas, sous les manguiers du vieux Metzger.

Ils étaient trois : hautes sentinelles disposées vers la hampe de trois agaves, dans une brousse de graminées et de vent. Pierres de silence, brulées de soleil, curieusement disposées dans une étroite et géométrique convention. Mâts disjoints, menaçants, immobilisés comme des ancêtres de bois, visiblement placés en appareil de guerre dominant probablement une ancienne tragédie.

Pourquoi ? Pourquoi faut-il qu’un tel lieu, éminemment sacré, délimitant un terrain clos, pourvue d’une puissance sociale certaine, triptyque de plein-air où devaient se jouer avec force les grandes heures de la vie tribale, pourquoi faut-il qu’un bulldozer jouant au conquérant vienne délibérément en profaner le sens et, ce qui est aussi grave, pourquoi faut-il gratuitement enlever au paysage calédonien une de ses notes marquantes ?
Car elles sont belles, ces pierres, fantastiques et isolées. En ligne brisée sur la ligne de l’horizon, hautes et dynamiques, elles réalisent un chef-d’œuvre de soin et d’esthétique, sculptures quasiment vivantes surgies de l’écrin des goyaviers pleins de lumière.

Pourquoi un tel saccage et détruire ce qui serait l’enchantement d’un paysagiste, le régal d’un touriste, la réflexion d’un historien, le rêve d’un enfant. Pourquoi entamer ce qui pose les bornes du vieux passé canaque, et comment oser écraser la beauté de cette toile de fond, l’ambiance solennelle de ces trois pierres ? Dans la seule perspective visuelle, c’est un sacrilège et ce l’est à plus forte raison de piétiner ce qu’il y avait de magie et de foi. Quel homme n’a jamais bâti son espérance sur l’appel de l’au-delà ? Vieux cailloux de Kradji, vous êtes le monument orgueilleux d’un artiste qui vous a dressés, efficients, sur le chaos de la nature, une victoire de son art et de sa magie. Ignames monstrueuses, vous êtes, ostensiblement et visiblement exposées au fêtes et aux guerres. Qui, on se le demande, a pu trancher à vif dans ce vieux site ancien, pour le réduire et le mutiler ? Un de ceux-là, irresponsables, l’arrière train collé à un tank d’acier, persuadé que sa force est dans le « machin », celui-là qui écrase, nivelle, cimente, de sorte que le monde aujourd’hui n’en finit plus de mourir.

Aux environs de Poya à quelques encâblures de Nekliai, il y a naufrages. Les grandes voiles précises des cailloux de Kradji vont sombrer, déjà le gouvernail est à terre et cette ancre de fer qu’était le caillou-tututte, là où on appelait en écho, les tribus dispersées.

Qui jettera le S.O.S ? Qui refusera qu’on balance des vieux cailloux sacrés ?? Qui dira « Non ! » au bulldozer ?

(…)

Pascal Borekaou marche sur le sol, la tête basse, fouinant entre les pointes d’agaves, soucieux et attentif. Il se rappelle très bien avoir vu des crânes disposés autour des trois cailloux et il essaie de rassembler les débris de celui qu’on a cherché à faire éclater, et dont les morceaux gisent sur la falaise. Il nous restitue le plan ancien : ici, les trois pierres verticalement placées à la pointe d’un invisible triangle et là-bas, de l’autre côté de la route…

Il cherche, il fouille les lantanas, perdu comme un enfant.

- Le Tututte, où est-il ?

(606 mots)



Texte de départage des ex-aequo


Le personnage hispide fixa l’artefact apparu sur la flèche faîtière. Une calebasse burgautée battait son flanc. Satisfait, il se fondit dans les fougères arborescentes d’où s’envola un loriquet apeuré. Il se pouvait que l’ensorceleur n’en fût pas à sa première calembredaine. (41 mots)



Définitions


Hispide : en parlant [en parlant d'un végétal] garni de poils ; en parlant d'une pers. à la barbe ou aux cheveux hirsutes, d'aspect revêche (Webnext.Fr, Dictionnaire du français littéraire – mots rares et difficiles)
Artefact : Un artéfact ou artefact est un effet (lat. factum) artificiel. Le terme désigne à l'origine un phénomène créé de toutes pièces par les conditions expérimentales, un effet indésirable, un parasite. (Wikipedia)
Faîtière : (au masculin faîtier) est un terme qui signifie « placé au sommet » ou faîte. (Wikipedia)
Burgauté(e) : désigne une laque incrustée de nacre (Reverso, dictionnaire en ligne)
Loriquet : oiseau de Nouvelle-Calédonie (Guide des oiseaux de Nouvelle-Calédonie, Jean Delacour, p 97 – Ed. Delachaux & Niestlé, Neufchâtel, Suisse)
Ensorceleur : Qui ensorcelle, a le pouvoir d'ensorceler ; envoûteur, sorcier. Qui séduit vivement, qui attire ; séducteur. (Larousse en ligne)
Calembredaine : propos extravagant ou action si peu sérieuse qu’elle en est dérisoire . (Dictionnaire culturel en langue française, Alain Rey, Le Robert)


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