EN IMAGES. Plongée dans le quotidien des sans-abri de Nouvelle-Calédonie

Un peu de linge personnel, séchant au soleil au foyer Macadam de Nouméa.
Ce sont les habitants de l’ombre, ceux que notre société préfèrerait ne pas voir. Et pourtant, ils sont de plus en plus nombreux en Calédonie. Plus de 500 personnes sont recensées comme sans-abri. La très grande majorité vit dans les rues de Nouméa et de son agglomération. NC 1ère a décidé de les suivre dans leur quotidien dans un magazine prochainement diffusé dans notre émission Ki Tiire. Une immersion à découvrir en avant-première ici, en images.

Cette voiture n’est pas garée là par hasard.  A l’abri des regards et des passages de piétons, Rose May se réfugie régulièrement sur le parking de cet établissement public ouvert 24h/24, 7 jours sur 7, à Nouméa. Depuis trois ans, cette quinquagénaire dort dans son véhicule.

Sans domicile fixe, Rose May fait partie des centaines de Calédoniens qui vivent dans la rue. "Les invisibles" de la société, qui n’ont pas assez d’argent pour bénéficier d’un logement. 


Survivre dans la rue

Dans sa voiture, Rose May a tout le nécessaire pour vivre ou plutôt "survivre". Des produits de première nécessité, de l’eau potable... Il ne lui "manque plus qu’un petit réchaud", déclare-t-elle avec un sourire triste.

Cette vie, elle l'avoue, elle n'en veut plus. Mais prise dans l’engrenage du surendettement, elle ne peut pas envisager autre chose pour le moment. Une situation très compliquée pour cette mère de famille isolée et esseulée.

Malgré tout, Rose May ne baisse pas les bras. Le lendemain matin, il est 6 h lorsque nous la retrouvons garée devant l’association Macadam, dans le quartier de Doniambo, à Nouméa. Elle a déplacé sa voiture durant la nuit pour profiter du petit déjeuner offert dès 7 h du matin. 

Rose May vit dans sa voiture.



Une population de plus en plus pauvre

Ici, la condition sine qua non pour avoir accès aux locaux, c’est être sobre. Une fois inscrites, les personnes sans-abri peuvent consommer sur place des boissons chaudes, manger un repas le matin, le midi et un goûter à 16 h, prendre une douche et laver leur linge. 

En 2022, 508 bénéficiaires étaient recensés contre 513 en 2021 et 497 en 2020. 

Depuis le début de cette année 2023, la structure observe une recrudescence de sans-abri au quotidien, soit 80 à 90 personnes par jour, 10 à 20 personnes de plus par rapport à l'année précédente. Le public féminin est en augmentation : elles représentent une personne accueillie sur trois, contre une sur quatre, les années précédentes. 

Les jeunes et les seniors sont eux aussi de plus en plus nombreux. Aurélien Lamboley, le directeur de l’association « l’accueil » en charge de Macadam observe « une paupérisation de la population ». 

Crée en 1994, la table fraternelle est remplacée par l’Accueil puis Macadam. Les nouveaux locaux sont situés à Doniambo.

Les classes moyennes viennent désormais à Macadam.  

Aurélien Lamboley, directeur de l’association « l’Accueil » en charge du foyer Macadam


Rupture avec la famille

Rose fait partie des plus anciennes personnes accueillies par Macadam. Rejetée par sa famille, elle déclare aujourd’hui ne pouvoir compter que sur « ses amis de la rue ». Des hommes et des femmes avec qui elle vit et partage son temps.

Élue déléguée suppléante pour participer au conseil de vie sociale tous les trimestres (une nouvelle fonction au sein de l’association), cette quadragénaire écoute les doléances de chacun. Des personnes marquées au fer rouge par la vie dans la rue.

A la question "as tu déjà subi des violences ?", Rose répond sans baisser les yeux : "tu vois mon visage, toutes ces cicatrices, ce sont les violences que j’ai subies". Elle avoue aussi souffrir du regard des gens par rapport à son identité."

Etre transexuelle et sans-abri, les difficultés sont exacerbées.

Rose, une habituée du foyer Macadam depuis des années.

Rose, une fidèle de Macadam depuis des années.


Café chaud et chaleur humaine

Tous les lundis, de 17 à 19 h, Rose rejoint le quartier de Montravel, à l’espace municipal. L’Acaf, l’association calédonienne pour l’animation et la formation, organise un café solidaire.

Une pause pour les sans-abri, qui retrouvent sur place un peu de chaleur humaine avec Nicolas, Sandra et les autres bénévoles. Des Calédoniens au grand cœur qui se mobilisent depuis début mars 2023 pour aider, une fois par semaine, les personnes dans le besoin. Une initiative citoyenne qui donne du sens au mot solidarité. 

Les bénévoles de l’Acaf à l’espace municipal de Montravel proposent des vêtements gratuits aux sans-abri.


Un dîner par semaine

Le mardi soir, c’est au tour de l’association « Un sandwich pour autrui » de créer du lien social, cette fois-ci dans la rue, là où la plupart des sans-abri se sentent abandonnés par les pouvoirs publics.

Au kiosque à musique, place des Cocotiers, à Nouméa, hommes et femmes se retrouvent pour un repas chaud. Des dons offerts par la banque alimentaire et des invendus de boulangeries et pâtisseries de la place, servis par des bénévoles de l’association.

Certains mangent là leur premier et dernier dîner de la semaine. C’est le cas d’une jeune femme, venue profiter d'un peu de riz et de poulet. Elle ne souhaite pas témoigner à visage découvert. Pour elle, ce dîner hebdomadaire est suffisant. 

Un sandwich pour autrui existe depuis 4 ans et demi, le collectif est devenu association.


La réinsertion pour objectif

Une réalité particulièrement choquante lorsque l’on perçoit la détresse de cette partie de la population calédonienne. Des hommes et des femmes privés de nourriture et du droit d’avoir un toit au-dessus de la tête. 

Alors, qu'en est-il de la réinsertion de ces personnes dans la société ? C’est tout l’enjeu de l’association « L’accueil » via Macadam. Épaulés par des travailleurs sociaux, les sans-abri ont accès à l’aide médicale et à la recherche d’emploi.

Rien n’est imposé, tout est proposé. Une philosophie d’assistance aux personnes en difficulté, qui passe parfois pour de l’assistanat. Une phase obligée dans certains cas, déclare Aurélien Lamboley, le directeur de la structure. 

Nicolas, un des bénévoles de l’Acaf joue aux cartes avec les sans abris.


Exode rural 

Pour le sociologue Jon Passa, les sans-abri en Nouvelle-Calédonie ne peuvent pas être définis selon un profil type. Les lumières de la ville attirent les habitants de la province Nord et des Îles. Mais une fois arrivés à Nouméa, s'insérer dans ce mode de vie urbain, avec ses réalités, s'avère souvent difficile.

Les générations se succèdent mais « les maisons ne sont pas extensibles ».

Alors comment faire face à cette situation, questionne le sociologue ? En adoptant une politique sociale globale ? La réponse, selon lui, peut passer par des travaux d’aménagement et de facilitation d’accès aux terres coutumières par exemple. Des recherches-actions que ce professionnel mène à Canala notamment, depuis de nombreuses années. 

Jon Passa, sociologue.


L'emploi comme porte de sortie

Dans l’un des deux foyers de nuit de l’association L'Accueil, situé à la Vallée-des-Colons, nous retrouvons Hélène. Elle travaille dans le foyer des femmes, « les Massanes », depuis dix ans. Cette maison peut accueillir sept femmes seulement, quand le foyer des hommes a une capacité d’accueil de trente personnes.

Ici, les lieux sont ouverts de 16 h 30 à 7 h du matin. La nuitée est payante : 100 francs pour celles qui ne travaillent pas, 300 francs pour celles qui sont en insertion sociale et professionnelle.

Hélène, chargée d’accueil social du foyer « les Massanes ».


Des profils très divers

Ces femmes aux origines et aux parcours hétéroclites ont, dans la grande majorité des cas, quitté leur domicile suite à des problèmes familiaux. Des conjoints violents, des proches dépendants financièrement… Ces femmes ont décidé de tout laisser derrière elles et d’avancer seules. Au risque de se retrouver à la rue.

C’est le cas de cette quadragénaire qui souhaite conserver l'anonymat. Dans la cuisine du foyer, elle prépare le dîner avec une autre « hébergée ». Pour elle, la seule solution pour s’en sortir est de vivre éloignée de sa famille. Aujourd’hui son travail est « sa seule porte de sortie ». Hélène recense en moyenne deux à trois femmes par an, qui arrivent à sortir de la rue, « une victoire » selon elle. 

Une des hébergées du foyer « les Massanes »


Vivre... Et parfois mourir dans la rue

Pour celles et ceux qui ne se déplacent pas à Doniambo ou dans les foyers, d’autres alternatives existent, comme les maraudes de jour organisées par les salariés de Macadam. A bord d’une camionnette estampillée « Maraude du cœur », Anna sillonne les rues de la ville de Nouméa tous les jours de la semaine.

Elle est accompagnée parfois par un travailleur social de l’association. Ils s’arrêtent à plusieurs endroits pour distribuer de la nourriture et des boissons chaudes ainsi que le courrier et les papiers administratifs (certains sans-abri sont domiciliés à Doniambo).

Anna, chargée d’accueil social chargée des maraudes et de la distribution des repas de Macadam.

Sur la place des Cocotiers, au Quartier-Latin ou encore à l’anse Vata, elle retrouve des habitués. Comme Gary et Yann, deux amis sans-abri. Le premier, d’origine tahitienne, est connu dans le quartier pour son franc-parler et sa disposition à rendre service. Le second, d’origine allemande, est arrivé en Nouvelle-Calédonie en 2009. Installé près de la plage, il instaure rapidement la conversation avec les inconnus.
Tous deux ont une vision différente de leur avenir. Si, pour le premier, l’objectif est de trouver un travail et de sortir de la rue, pour le second, la rue est un choix de vie. Yann, aujourd’hui âgé de 66 ans, envisage même d’y mourir un jour.