FOOTU17: Se rendre compte

David Baltase vient relever son latéral gauche, Bernard Iwa, effondré de fatigue.
Les moments vécus samedi soir par les joueurs, le staff, et les familles étaient bouleversants. Sur ce dernier match de Coupe du Monde, l'équipe a su mettre en application les consignes répétées depuis sept mois. L'équipe s'est enfin lâchée. Quelques instantanés saisissants.  

Ambiance étourdissante


Bord du terrain en cette fin de match. Les observateurs extérieurs que nous sommes prennent mieux conscience de l'atmosphère qui se dégage. C'est une arène. Les lumières sont braquées sur les joueurs. La vitesse d'exécution des gestes, des passes, impressionne. Il n'y a pas de temps mort. Dès qu'une action se rapproche d'un but, la clameur de la foule empêche d'entendre le reste. Les tribunes les plus proches de la pelouse sont bondées. 44 600 personnes dans ce stade magnifique, circulaire et entièrement fermé. Les yeux sont partout, même si les gradins sont distancés du rectangle vert par une piste d'athlétisme. Derrière les cages, positionnés au-delà d'une barrière, près de 70 photographes internationaux. Dans la tribune de presse, commentant ou rédigeant les moindres actions, des journalistes radio, télé, et de presse écrite, japonais et indiens. 

A une telle proximité des acteurs, dans un cadre pareil, il y a de quoi être chamboulé. L'énergie de l'endroit, du moment, est exceptionnelle. A des années-lumières de Numa Daly, l'enceinte la plus grande dans laquelle ces U17 calédoniens avaient évolué, en match amical. Il faut se rendre compte de l'impact psychologique d'un tel choc visuel, auditif, et humain. Se rendre compte, pour mieux saluer l'extraordinaire courage de ces amateurs, parvenus à dépasser leurs peurs, pour rentrer chez eux avec la joie et le sentiment de s'être accompli en Inde.

"Lève-toi"


Le sifflet retentit. Le banc se lève et court vers les joueurs sur le terrain. A quelques mètres de nous, Bernard Iwa s'est allongé, les bras déployés sur l'herbe. Il ne bouge plus, alors qu'autour de lui, une folie s'est emparée de ses coéquipiers. Il va rester là, inerte. Pendant près d'une heure quarante, il a donné tout ce qu'il pouvait dans les duels, les contacts. Il a su rester debout, pour éviter d'être crocheté, mais aussi se jeter - ses premiers tacles glissés du tournoi - pour compliquer la tâche d'ailiers japonais virevoltants. 

Bernard Iwa, lessivé, mais heureux.

On se souvient alors du débriefing vidéo suivant le match du Honduras. Le coach adjoint, David Baltase, avait manié l'ironie pour faire réagir ses troupes. "Tout le monde termine avec des crampes, sauf nous". Le hasard veut que ce soit lui, cet entraîneur arrivé en renfort lors du stage de préparation australien, qui vienne relever son défenseur. Du haut de son mètre 88, il se penche vers Bernard, lui tape sur le torse, puis l'aide à se mettre debout.

"Coach, je suis mort, je ne peux plus bouger". "C'est exactement ce que je voulais entendre, lève toi".


Les uns pour les autres


Puis on regarde Dominique Wacalie. Le sélectionneur prend dans ses bras son défenseur, érinté et ému. Il le sert comme un papa étreindrait son fils. La veille, "Dom" avait fustigé l'ensemble des troupes, pour leur manque d'abnégation et d'implication dans ce Mondial. Le coach part féliciter les autres joueurs. Dans ses yeux, pas de larmes d'émotion. Un regard intense. Il savait. Il savait que l'équipe pouvait livrer ce genre de performance à condition de se battre. Il rêvait de les voir à la hauteur de ce dont ils sont capables, s'ils travaillent et sont combatifs.
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Les stages en Nouvelle-Zélande, à Brisbane, les cinq entraînements hebdomadaires, les matchs amicaux face à des séniors de Super Ligue, les causeries qui piquent, la nourriture contrôlée, les mots. Autant d'efforts nécessaires pour arriver là. Quelques jours plus tôt, sur un terrain d'entraînement flambant neuf en périphérie de Guwahati, il demandait au groupe de "mourir sur le terrain. Mourir les uns pour les autres".

"Tous les gens sont heureux"


A l'image de sa personnalité, le visage du coach s'adoucit. Il regarde au loin Lionel Thahnaena qui emmène "la bande" vers une tribune pour lancer leurs maillots aux spectateurs.

"Regarde, regarde (rires). Ils donnent leurs maillots. Ils font comme les pros. Et les gens vont les récupérer. C'est super, c'est énorme pour eux. Ils voient cela à la télévision, et ils font pareil. Regarde, tous les gens sont heureux"


Dans la tribune VIP, Johnny Wenisso, Tila et Sera Ouneï, et David Escorne profitent du moment. Des parents venus soutenir leurs enfants jusqu'en Inde. A la fin de cette dernière rencontre du Mondial, une surprise les attend. Le staff de l'équipe d'Angleterre, qui jouait juste derrière contre l'Iraq, vient les féliciter.

"On a fait des centaines de selfies, avec les anglais, les gens de la FIFA. Tout le monde a félicité les garçons. On aurait fait des sauts périlleux de bonheur si l'on pouvait", témoigne Johny, le père de Raoul Wenisso. 


L'au-revoir de "Monsieur Plus"


Retour à l'hôtel. Après deux mois passés avec les Calédoniens, David Baltase s'apprête à les quitter. Ce samedi soir, à minuit, il doit prendre un taxi pour l'aéroport de Kolkata. Un avion l'attend. Il rentre au Maroc, retrouver sa famille. Alors que l'on termine une interview avec lui dans le lobby de l'hôtel, les joueurs l'attendent. Ils ont tous dédicacé un ballon pour leur coach. Celui-là même qui a critiqué leurs moindres erreurs de placements, de qualité de passe, de déconcentration. Qui a remis en cause leur humilité, leur fierté, pour provoquer un déclic.

David Baltase en analyse vidéo après le Honduras.

"Monsieur plus" n'a pas fait de cadeaux. Le haut-niveau est une remise en cause permanente. Ses séances vidéos ont permis de mieux le comprendre. Avec beaucoup de pédagogie, en touchant à l'amour-propre sans jamais crier, il a toujours cherché à galvaniser. Mais aussi à rendre aux joueurs leurs mérites. A féliciter la justesse de certaines de leurs décisions ou actions.
Retour au lobby. David est entouré d'une dizaine de joueurs : 

"Les garçons, je pars ce soir. Mais je compte bien revenir en Nouvelle-Calédonie, si vous voulez bien de moi".


Il n'a pas terminé sa phrase que tout le monde se jette sur lui, comme on se jette sur un copain ou un coéquipier, en lui caressant son crâne chauve, comme les Bleus à l'époque de Barthez. Son travail a été apprécié, et intégré.

"Samedi soir, après le nul contre le Japon, j'ai demandé à Josua Hlemu comment il s'était adapté au poste de latéral gauche (NDLR : il est rentré à la 20e). Léon Waitronyie savait qu'il avait joué à ce poste en jeunes catégories, mais on l'a toujours utilisé comme milieu offensif en U17.

Josua m'a répondu : "j'ai tout de suite pensé aux consignes données aux autres latéraux pendant les séances vidéos. Garder mon vis-à-vis à bonne distance, ne pas me jeter"


Confidences de joueurs


Il n'est pas loin de minuit. On retrouve les cadres de l'équipe dans une chambre du dixième étage de leur hôtel. Bernard Iwa fait les présentations de ses potes qu'il affuble, un par un, d'un nom de super héro. "Faucon" Kiam Wanesse, "Superman" Abiezer Jeno, "Hulk" Vita Longue, "Ironman" Josué Welepane, "Spiderman" Titouan Richard, sont là. Un peu plus tard, Cameron Wadenges et Pierre Bako (avec la musique pour l'ambiance) les rejoignent. C'est l'heure des confidences.

On interroge le capitaine, "Aby", sur le tournoi. Après le match contre la France, Dominique Wacalie disait de lui et de ses coéquipiers, qu'ils étaient comme "tétanisés". Face au Honduras, le joueur du FC Dumbéa concédait qu'il ne parvenait pas à s'exprimer. A Guwahati, d'une voix timide, il nous confiait ses doutes :

"J'essaye de me poser les bonnes questions. D'être à la hauteur pour mes coéquipiers. Mais c'est très fort en face. Très propre, beaucoup de qualité technique et tactique. C'est quelque chose d'inné chez eux, depuis leur plus jeune âge. C'est beaucoup plus facile pour eux de jouer, d'appliquer ce qu'on leur a appris, ce qu'ils travaillent en club". 


Abiezer Jeno (au centre, brassard jaune) sert la main des Japonais.

Samedi soir à Kolkata, le ton est cette fois plus assuré. Le n°7 de la sélection revient sur le nul arraché contre le Japon. A titre individuel, il s'est métamorphosé. Après un premier quart d'heure difficile, où les milieux de terrain rendaient trop rapidement la possession à l'adversaire, il a donné sa pleine mesure. Il a tenté. Démarrage côté gauche, et enchaînement intérieur/extérieur du pied pour passer au milieu de trois défenseurs le long de la ligne de touche. Récupérations du ballon dans les pieds adverses après un bon pressing. Une-deux inspiré avec Bako, pour provoquer un coup-franc très bien placé à 20 mètres. Et finalement, ce but de la tête, à la 83e minute, à la réception d'une déviation de Bako sur un corner superbe de Nyipie. Posé dans un lit, Abiezer se livre à nouveau, détendu :

"C'est difficile d'expliquer ce que tu ressens. J'ai marqué parce que la bande était là. On devait rentrer au pays avec ça. Après la deuxième défaite, on s'est tous vu, ce petit groupe.

On s'est dit qu'il fallait passer à autre chose, si on ne voulait pas avoir peur de jouer contre le Japon. Comme nous a dit "Dom" : le meilleur est toujours devant nous. Je peux te dire qu'on a énormément appris".  


Vita Longue prend le relais. L'attaquant du Mont-Dore a failli marquer lui aussi devant les nippons. Un joli arrêt du gardien l'en a empêché. Lui aussi a savouré le sursaut collectif : 

"C'était dur de s'adapter à ce monde professionnel. On a fini par le faire. Les mots du sélectionneur nous ont motivé. Il y a eu des hauts et des bas, mais on a fait avec.

Après le Honduras, plus personne ne parlait. On voulait se donner à fond pour ce dernier match. Essayer de réparer un peu cette blessure.


Des regrets et l'envie de revenir


Debout dans la chambre, Cameron Wadenges fait une petite moue. Le défenseur central pourrait se satisfaire d'avoir accroché le Japon de Kubo, passé par le centre de formation du Barça, et de Ketio Nakamura, pépite du Mitsubishi Yowa SC. Il était parfaitement aligné avec Wanesse, Iwa et Hlemu pour empêcher des incursions adverses. Mais le premier buteur calédonien en Coupe du Monde (il avait marqué contre la France), espérait mieux en Inde.
Cameron Wadenges, buteur historique face à la France.
Savoir que le Honduras accède aux 8e de finale avec trois points obtenus contre les Cagous et jouera mercredi prochain le Brésil, lui laisse des regrets. 
 

"On aurait aimé être qualifié en 8e de finale, mais bon. C'est déjà mieux de terminer sur un nul contre le Japon. Moi, j'ai quand même beaucoup de regrets. Je pense qu'on pouvait passer. On a découvert le haut-niveau, ce n'est pas facile.


De l'autre côté de la pièce, Bernard Iwa, relativise. Il retient l'apprentissage acquis :

"Le jeu, c'était trop rapide. L'intensité n'est pas la même qu'en Nouvelle-Calédonie. Cela n'a rien à voir. L'écart est énorme.

On a appris à vite réflechir, et s'adapter, qu'une erreur paye cash. C'est dans les petits détails que cela paye". 


Tous le promettent : " on va revenir plus forts, pour les qualifications océaniennes à la Coupe du Monde des moins de 20 ans, en 2019". Le Mondial indien est déjà derrière eux !