Îles Salomon: la population de Rennell Est ne profite pas de son site Patrimoine mondial

Rennell Est.
La semaine dernière, l'ONG WWF affirmait que la moitié des sites inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco était menacé par une activité industrielle néfaste. Pour Rennell Est, aux Îles Salomon, on le savait déjà: ce site de 37 000 hectares est considéré « en péril » depuis 2013. 
Ou plutôt, il était menacé, explique Fanny Douvere, responsable de projet à l'Unesco : « De grandes entreprises avaient des projets d'exploitation minière dans le site classé patrimoine mondial. Le plus grand souci, c'était l'exploitation forestière, qui aurait pu perturber l'écosystème, reconnu comme étant d'une valeur universelle exceptionnelle. Si on voit qu'il y a danger, que de grandes compagnies sont impliquées et qu'on voit que le peuple local a du mal a faire face à ce danger, on en discute très sérieusement et là, on a considéré qu'il valait mieux tirer la sonnette d'alarme, attirer l'attention du monde sur cette situation qui menaçait un pays très petit et très pauvre. Depuis, aucune exploitation minière ou forestière n'a eu lieu, donc on est en train d'aider le gouvernement à retirer le site de la liste en danger. »

Rennell Est semble, en effet, être à l'abri. Au début du mois, la justice salomonaise a été appelée à se prononcer sur une demande d'exploitation forestière au sein du site patrimoine mondial. Résultat : la demande a été jugée nulle et non avenue.
 
La situation est toutefois un peu plus compliquée que ça, fait remarquer Watson Puiahi, directeur exécutif de l'ONG ILukim Sustainability Solomon Islands (ISSI): « Le site classé, c'est la partie est de l'île, et c'est à l'ouest que l'exploitation minière et forestière a lieu en ce moment. Ça reste très dangereux pour la partie est, pour les oiseaux, par exemple. Ce qui se passe dans une partie de l'île est susceptible d'avoir un impact sur le site patrimoine mondial. »

Les gens sont frustrés

Selon George Tauika, le président de l'association du site patrimoine mondial lac Tegano, qui regroupe 250 membres de la communauté locale, ces activités ont été interrompues, au début de l'année dernière. Les autorités nationales et provinciales ont retiré leurs licences d'exploitation à deux entreprises minières. « Elles ont quitté l'île et il reste environ 100 000 tonnes de bauxite, qui n'ont pas été exportées, parce que la justice est intervenue pour mettre fin aux opérations », précise George Tauika.

S'il estime que le danger est désormais écarté, la situation n'est pas pour autant idéale. « Les gens ne tirent rien du site », regrette Watson Puihai. « Les locaux sont frustrés, ça fait longtemps qu'ils attendent des retombées du classement de Rennell Est sur la liste du patrimoine mondial, mais rien ne se passe. Les gens ne pensent qu'à l'argent - pas tous, mais il y en a beaucoup qui ne pensent qu'à ça », poursuit-il. 
Et c'est ce manque de revenus qui poussent certaines personnes à choisir l'option de l'exploitation minière et forestière, explique George Tauika : « La situation est vraiment mauvaise, le changement climatique a un impact sur nos jardins potagers. À Rennell Est, notre alimentation principale, c'est le taro. Quand le niveau du lac Tegano monte, de l'eau saumâtre pénètre dans nos potagers, ce qui n'est pas bon pour les cultures. Du coup, on dépend à 70% de produits importés comme le riz, la farine… Si le gouvernement continue d'ignorer nos problèmes, je prédis un retour de l'exploitation forestière, ce sera notre seule chance de développer des infrastructures et d'améliorer le niveau de vie des gens. » 

Fanny Douvere est bien consciente de ces problèmes. « C'est un dossier compliqué. Il y a un côté développement durable, un côté conservation des ressources, et il y a la question de la pauvreté, les gens veulent survivre, il faut prendre tout cela en compte », reconnaît la responsable de projet à l'Unesco. Pour « faire en sorte que les locaux participent à la protection du site patrimoine mondial », un membre de son équipe s'est rendu sur place en novembre dernier. Il s'agissait surtout de trouver le moyen de gérer durablement les ressources marines de Rennell Est. 

Une visite rarissime, car comme elle le souligne, « ce n'est pas toujours facile de se rendre dans ce genre d'endroits ». Pour connaître la situation sur place, l'Unesco travaille donc avec le gouvernement, avec les ONG de la région et avec les autres pays qui s'impliquent dans la protection de Rennell Est - c'est le cas de l'Australie, notamment. 

Moins de 20 touristes en 20 ans

Ce n'est pas suffisant, estiment les associations locales. « On ne reçoit aucun soutien concret de l'Unesco. Ils ont un peu aidé, vaguement… », reproche George Tauika. « Ils voient ça de loin. Ils ne font pas vraiment d'efforts pour protéger le site - ils en parlent, ils comprennent les enjeux, ils savent que ça existe, mais il n'y a pas d'interaction physique entre eux et les gens d'ici », acquiesce Watson Puiahi.

Ce que les habitants de Rennell Est demandent en priorité, ce sont des infrastructures. Sans cela, aucune chance de voir des touristes arriver. « Les routes sont mauvaises, il n'y a pas de vols réguliers, pas de structures d'accueil… Comment voulez-vous que les touristes viennent ? » résume Watson Puiahi. Résultat, depuis que le site est classé patrimoine mondial, « moins d'une vingtaine de touristes sont venus à Rennell Est », estime George Tauika. Ce classement prestigieux est pourtant connu pour booster la fréquentation touristique des sites élus.
Lughu Bay, dans l'île de Rennell, mais qui ne fait pas partie du site classé.
Comment faire en sorte que les touristes soient à l'avenir beaucoup plus nombreux à se rendre à Rennell Est que les employés d'entreprise minières ? La première étape, pour l'Unesco, est de supprimer le site de la liste en danger. « Lors de notre mission à Rennell Est, on a établi avec le gouvernement ce qu'on appelle un état désiré ('a desired state of conservation'), c'est ce que l'on désire vraiment faire du site. C'est alors inclus dans un plan d'action, qui sera soumis au comité patrimoine mondial. Les étapes à suivre ces prochaines années sont fixées, il y a aussi un calendrier à respecter. Le site pourra alors devenir éligible à sa suppression de la liste en péril - ce qui sera fait dans deux ans, peut-être, on verra... », précise Fanny Douvere.

Il faudra ensuite que le gouvernement mette en place des « lois et autres mécanismes pour préserver la zone », ajoute-t-elle. C'est une nécessité pour George Tauika. Des ordonnances de préservation ont été prises en 2012, « mais ce n'est qu'un titre, le site n'est pas protégé légalement », dénonce-t-il. Le gouvernement a proposé aux propriétaires coutumiers et aux chefs de village de discuter de ces questions lors d'une grande réunion.

Les associations vont continuer à se battre pour préserver le site, tout en permettant à la population locale d'en vivre. Si le tableau semble sombre, Watson Puiahi garde espoir : « Ça va s'améliorer. La déforestation, ce n'est pas le danger principal, on peut replanter. L'exploitation minière, en revanche, c'est plus difficile de s'en remettre. Mais il n'est pas trop tard. »
 
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Pourquoi Rennell Est est-il un site exceptionnel ?
 
C'est la partie est de l'île Rennell qui est classée au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1998. Situé tout au sud de l'archipel des Salomon, Rennell est en fait un atoll corallien surélevé. La partie classée couvre 37 000 hectares et comprend notamment le lac Tegano, ancien lagon de l'atoll, et une vaste forêt dense. Rennell Est abrite de nombreuses espèces animales endémiques - oiseaux terrestres et aquatiques, insectes, escargots, chauve-souris… On y trouve aussi dix espèces végétales endémiques.
 
Comme le souligne l'Unesco, Rennell Est a été le premier bien naturel inscrit sur la Liste du patrimoine mondial dont la propriété et la gestion sont régies par la coutume. Quelque 1 200 habitants d'origine polynésienne y vivent dans quatre villages, pratiquant des cultures de subsistance, la chasse et la pêche.
 
Plus d'informations sur le site de l'Unesco