Le secteur de l'immobilier continue sa traversée du désert. Elle débute au deuxième semestre 2023 avec une explosion des taux d’intérêt immobiliers. Ils ont été multipliés par trois en deux ans. Par conséquent, cette augmentation entraîne une baisse des prêts accordés par les établissements bancaires, et ainsi une baisse du volume des transactions immobilières. Si le marché de la location est encore épargné, notamment dans le Sud du territoire, difficile de savoir combien de temps cela va durer. La situation dans le Nord inquiète. Le marché de la transaction, et celui de la location, commencent déjà à être impactés par les problématiques de la zone VKPP (Voh-Koné-Pouembout et Poya).
Ce qui m’inquiète, c’est que les personnes quittent la zone VKP pour aller dans le sud. Et si on a un dépeuplement de la zone, cela va avoir un impact direct sur les commerces qui se sont installés.
Cyrille Berhault, Gérant de l’agence Ellipse Immo
"Une année hors du commun en 2022"
L’année 2022 a été une année remarquable, avec 2 891 transactions enregistrées, représentant plus de 91 milliards de francs. Ce niveau n’avait pas été atteint depuis 2014. En 2022, il y a eu l’après Covid, et "cette année-là était logée juste après le référendum et avant la remontée brutale des taux d’intérêt", explique Divy Batra, gérant de l’agence générale Keller Williams, l’une des plus importantes de Nouvelle-Calédonie. "Toutes les transactions immobilières qui ont été mises en attente par ceux qui étaient inquiets de l’éventuelle indépendance de la Nouvelle-Calédonie, et qui ont été soulagés de constater que le référendum s’était conclu par le maintien du pays dans la France, ont franchi le pas".
2023 plus mitigé
En 2023, les acteurs entrent en zone de turbulences, bouleversés par les hausses successives des taux d’intérêt dès le début d’année. "Au troisième et dernier trimestre de l’an dernier, il y a eu une montée des taux d’intérêt, un problème de liquidités sur les places bancaires au niveau mondial, et donc forcément cela a impacté la Nouvelle-Calédonie", précise de son côté Jean-Damien Ponroy, président de la Fédération territoriale des agents immobiliers. Ils s’établissaient à 1,70% en 2022, pour dépasser les 5% fin 2023, "une perte de 30% pour les acheteurs. C’est énorme" se désole Divy Batra. "Ça veut dire que celui qui pouvait emprunter 90 millions il y a deux ans, aujourd’hui, avec le même salaire, il ne peut qu’emprunter 63 millions". Avec de tels taux, et une frilosité des banques de plus en plus grandissante, beaucoup de candidats acheteurs, à fort pouvoir d’achat ou à revenus moyens, ont dû renoncer à leur projet ou se sont vus refuser l’accès à la propriété.
Au quatrième trimestre 2023, avec notamment les annonces de Glencore en septembre et évidemment les changements d’approche des banques dans l’étude client, on assiste à un vrai frein. Le délai normal entre la signature d’un compromis et une vente, c’est quatre mois. Quand c’était un petit peu long, ça pouvait monter jusqu’à cinq, six mois. Aujourd’hui, le délai de quatre mois est maintenu parce qu’il y a peu de demandes d’achats immobiliers. Tout le monde tient à peu près les délais.
Jean-Damien Ponroy, président de la Fédération territoriale des agents immobiliers
Même constat du côté des notaires, derniers maillons de la chaîne et pierres angulaires d’une transaction immobilière. "On est partis sur une année 2023 qui avait commencé par des chiffres plutôt bons puisque c’était la suite de 2022", confie Elisa Mougel, la présidente de la Chambre des notaires de Nouvelle-Calédonie. La période faste n’aura pas duré longtemps puisque "c’est descendu tout au cours de l’année. La baisse a été plus conséquente en fin d’année. Si on lisse, cela donne une année 2023 mitigée, mais qui s’est tout de même bien déroulée. Pour autant, on est sur des tendances à la baisse, de l’ordre de 20 et 40% sur les derniers mois de l’année 2023".
Le marché de la location exempté de la crise
Aujourd’hui, le marché de l’acquisition ne grippe pas encore celui de la location "ce ne sont pas les mêmes besoins. Il y a un certain nombre de lots disponibles", explique Jean Damien Ponroy. Louer est donc une mission toujours possible en Nouvelle-Calédonie contrairement à la France ou à la Polynésie Française, où le secteur accuse une grande pénurie. "Je suis assez confiant sur le marché de la location puisqu’il y a énormément de biens qui sont vendus en 2022, et donc ce sont des biens qui ont été retirés du marché locatif", poursuit-il. L’offre pourrait même être supérieure à la demande. Une situation propice à la baisse des loyers, notamment dans le Sud.
Malgré cette note optimiste, des incertitudes persistent "à ce jour, on n’observe pas de difficultés majeures. Est-ce qu’il y en aura à l’avenir, je ne sais pas. Je parle de la location résidentielle mais il se murmure quand même que l’immigration va se poursuivre. On constate qu’il y a des gens qui quittent le territoire pour différentes raisons. Donc, on ne sait pas combien de temps cette tendance positive va tenir", s’interroge Jean-Damien Ponroy.
D’autant que le marché, très fluctuant, avait déjà connu des difficultés en 2017 et en 2021.
2024, une année "qui ne démarre pas bien"…
Avec un tel bilan, il est évident que ce début d’année ne démarre pas sous de bons auspices. Cela se traduit par un "rythme des compromis qui est très bas au 1er trimestre 2024", commente le président de la Fédération territoriale des agents immobiliers. La situation paraît plus critique dans le Nord, après l’annonce de la mise en sommeil de l’usine de KNS.
La tendance est beaucoup plus négative dans le nord, en particulier depuis l’annonce de la mise en sommeil de KNS et c’est bien normal. Cette mise en sommeil entraîne le départ d’un grand nombre de personnes et en particulier de tous les sous-traitants qui travaillaient pour l’usine du Nord. La résiliation des baux qui avaient été souscrits pour loger ce personnel dans le Nord a commencé. Il va donc y avoir dans le Nord, même si tout n’est pas stabilisé, de la vacance locative, des baisses de loyers, des pertes de valeur pour tout un ensemble des biens immobiliers.
Divy Batra, gérant de l’Agence générale Keller Williams
Ajoutée à la crise du nickel celle qui est institutionnelle, l’avenir est incertain et parsemé d’inquiétudes.
…mais qui pourrait être celle de l’investissement immobilier
Les professionnels de l'immobilier restent optimistes malgré ce tableau mitigé. 2024 pourrait en effet être une année prometteuse pour l’investissement immobilier car "il y a de vraies opportunités d’achat", explique Alexandre Rodriguez, président de la Confédération des agents immobiliers. "Pour ceux qui ont encore confiance au pays, il y a des opportunités à saisir. Si le marché reprend dans les années à venir, cela pourrait être de bonnes opérations pour le futur".
En ce début d’année, la tendance des taux d’intérêt est désinflationniste "c’est assez marginal, on est entre 0, 10 et 0, 20%" se réjouit tout de même Jean Damien Ponroy. D’ailleurs, selon l’IEOM, le taux moyen de crédits à l’habitat aux particuliers s’établit à 4, 28% au dernier trimestre 2023. Ce retournement du marché pourrait être une occasion pour certains d’investir pour mieux en profiter demain. Il est toutefois certain que tout le monde ne pourra pas profiter de l’aubaine. Ne pourraient être concernés que ceux qui possèdent un fort pouvoir d’achat.
Après plusieurs hausses, la Banque centrale européenne a annoncé le maintien de ses taux directeurs à leur niveau actuel. Une accalmie pour les banques et pour les emprunteurs puisque les taux d’intérêt n’accuseront plus de hausses successives comme c’était le cas l’an dernier. Mais il ne faut pas s’attendre à une baisse significative à court terme, "tout dépend du marché" indique Lionel Wolff, président de la Fédération bancaire française en Nouvelle-Calédonie et directeur général de la banque BNP Paribas. "Il y a effectivement des prévisions qui disent que la hausse est contenue et que les taux devraient régresser légèrement. De combien ? Cela dépend du marché, des tensions sur l’économie mondiale, de la façon dont les banques centrales interagissent. Tout est lié aux conditions des marchés économiques".
Si le marché bancaire international se détend, le contexte économique local, lui, ne permet pas un assouplissement des règles d’octroi des crédits.
Si l’économie calédonienne n’est pas en pleine forme, cela veut dire que le coût du risque va être plus important, parce qu’il va y avoir des défaillances d’entreprises. Cela veut dire que les banques devront provisionner plus, et donc, elles auront des conditions de refinancement qui seront moins compétitives. C’est ce qu’on voit actuellement en Nouvelle-Calédonie, l’économie est en train de se contracter
Lionel Wolff, président de la Fédération bancaire française en Nouvelle-Calédonie et directeur général de la banque BNP Paribas
Les candidats à un achat immobilier devront probablement attendre un peu plus longtemps avant de voir se matérialiser les effets concrets d'une éventuelle baisse des taux d’intérêt des prêts immobiliers.
Le paysage immobilier en 2024 dépendra étroitement des orientations prises par le gouvernement, et les conclusions des discussions institutionnelles.