Immobilier: le gouvernement australien accusé de privilégier les "riches"

Entre décembre 2014 et décembre 2015, la valeur moyenne des propriétés a augmenté de 13.9% à Sydney et 9.6% à Melbourne.
Sur l'île-continent, le foncier est très peu taxé et les Australiens qui investissent dans une 2ème propriété peuvent échapper à l'impôt sur le revenu. Ces deux avantages poussent les Australiens à la spéculation immobilière, mais le gouvernement a choisi de ne pas les réformer dans son budget. 
Pourtant, si la bulle éclate, elle peut mettre l'économie australienne à genoux. 
David Collyer est le responsable de campagne de Prosper Australia, une ONG qui milite pour la justice économique et la fin des cadeaux fiscaux aux investisseurs. « Un des principes fondateurs de l'Australie est le droit fondamental pour tout un chacun de posséder sa maison, rappelle-t-il. Mais on a renoncé à cette ambition et cela me rend tellement triste pour mon pays, l'Australie est devenue un pays de rentiers et de locataires. » 
 

Cadeau fiscal 

 
C'est le « negative gearing » qui est au centre de la polémique. En français, on pourrait le traduire par « emprunt non amorti ». Ce mécanisme fiscal profite aux Australiens déjà propriétaires d'une maison et qui souhaitent investir dans des propriétés supplémentaires.
Ils s'endettent lourdement pour acheter une maison et la mettre en location. Quand le loyer qu'ils touchent ne suffit pas à rembourser les intérêts de leur emprunt à la banque, ils enregistrent une perte. L’état australien leur donne alors un coup de pouce. Les nouveaux investisseurs ont le droit de déduire leurs pertes de leurs revenus. Cet avantage concerne 1.2 million d'Australiens. 
Ce qui fait dire à certains économistes que des Australiens investissent dans l'immobilier pour échapper à l'impôt sur le revenu.
 

D'autres avantages 

 
Mais ils sont aussi attirés par deux autres avantages décisifs. En pratique, les investisseurs ne paient pas ou très peu d'impôts fonciers sur leur nouvelle propriété. « La terre est taxée en Australie, explique l'économiste australien Allan Layton, de l'Université du Sud du Queensland. Mais seulement au-delà d’une certaine valeur du terrain (à partir de $482,000, NDLR). La plupart des Australiens n’ont pas des terrains suffisamment précieux pour être soumis à l’impôt. » Actuellement, environ la moitié des terres du pays sont soumises à l’impôt foncier.
Enfin, quand les investisseurs revendent leur propriété, ils ne paient des impôts que sur la moitié de leur plus-value - à condition que ce soit au minimum 12 mois après l'achat de la maison. 
 

Des prix étourdissants 

 
Selon David Collyer, tous ces avantages fiscaux attirent les spéculateurs et font grimper artificiellement le prix des maisons. 
« Actuellement, acheter une maison en Australie coûte en moyenne 63 fois le prix d’un loyer annuel net. Ça vous donne une idée de l’énormité de la bulle immobilière en Australie. »
Pourtant, pour les 1.2 millions d’Australiens qui font jouer les mécanismes fiscaux avantageux, le jeu en vaut la chandelle. Certes les loyers qu’ils touchent ne leur permettent pas de rembourser la banque, mais ils parient sur le fait que la valeur de leur propriété continue à battre des records. 
D’après le Bureau australien des statistiques, entre décembre 2014 et décembre 2015, la valeur moyenne des propriétés dans les 8 grandes villes australiennes a augmenté de 8.7% - et de 13.9% pour Sydney et 9.6% pour Melbourne. À Sydney, le prix moyen d'une maison atteint désormais 807 500 dollars australiens, soit 63 millions de francs Pacifique. 
 

« Les banques prêtent à n'importe quelle personne capable de signer son nom » 

 
Lundi, un député libéral interrogé sur ABC, John Alexander, a reconnu que les avantages fiscaux avaient contribué à l’explosion des prix de l’immobilier, « dominé par des spéculateurs ». « Je vois trop souvent un jeune couple rentrer bredouille d’une vente aux enchères, et se retrouver peu après à louer la même maison qu’il voulait initialement acheter », regrette-t-il. 
La bulle immobilière gonfle sur l’île-continent. Outre la fiscalité, d'autres facteurs expliquent les prix étourdissants de l'immobilier - en particulier le boom minier et des taux d’intérêt très bas, et tout simplement, l'avidité des banques. 
« L’Australie n’a que 4 grandes banques, et elles se partagent 80% du marché, dénonce David Collyer. Elles prêtent à n’importe quelle personne avec un coeur qui bat, et qui peut signer son nom. Il n’y a pas de limite. » 
La banque centrale australienne (Reserve Bank of Australia, RBA) a tiré la sonnette d’alarme en 2015, affirmant que le marché immobilier représentait une menace pour la stabilité économique de l’Australie, pointant le système fiscal comme principal coupable.

Vente aux enchères d'un pavillon de banlieue à Canberra. (Photo d'un auditeur d'ABC, Richard Brown)

 

Un système pour les riches?

 
C'est le point de contentieux essentiel entre les pro- et anti- avantages fiscaux pour les investisseurs immobiliers. Le ministre du Trésor, Scott Morrison, affirme que les bénéficaires des avantages fiscaux sont les travailleurs de la classe moyenne. « Mais près de la moitié du bonus fiscal "negative gearing" va aux Australiens qui gagnent les plus hauts salaires », rectifie notre journaliste économique maison, Michael Janda. 
Le système fiscal actuel avantage les gens qui sont déjà propriétaires et investisseurs, mais empêche les autres Australiens, souvent les plus jeunes, d’accéder à la propriété. 
« Ce ne serait pas un problème si les propriétaires investissaient dans des terrains pas encore construits, estime David Collyer. Mais le souci, c’est qu’ils achètent des terrains avec maisons. »  
Le système fiscal avantageux pour les acheteurs était initialement censé encourager la construction de nouveaux logements. C'est le principal argument qu'avancent les acteurs du marché, comme par exemple Investment Funding, une société qui conseille les investisseurs immobiliers australiens, pour justifier le maintien du « negative gearing ». 
Mais d'après Callam Pickering, ancien économiste à la Reserve Bank of Australia et aujourd'hui journaliste économique à "The Australian", 92.9% de la valeur des prêts accordés pour l'achat de propriétés concernent des terrains déjà construits. 
 

Le rêve australien va-t-il s'écrouler comme un chateau de cartes?

 
Prosper Australia donc les Australiens à boycotter le marché immobilier avec ce slogan: « N'achetez pas maintenant! ». En attendant, les Australiens sont de plus en plus nombreux à vivre avec leurs parents, ou en colocation.
Et David Collyer attend avec impatience l'éclatement de la bulle immobilière, même si cela pourrait plonger l'Australie dans une dépression économique. « Cela fait 4 ans et demi que je prédis que la bulle immobilière va éclater, et 4 ans et demi que je me trompe,  reconnaît-il.  Je peux encore me tromper pendant un ou deux ans. Qui sait quand ça va s'écrouler. »