Quelles orientations pour Joe Biden dans la zone Indo-Pacifique ? Le nouveau président américain devrait maintenir une ligne ferme face au géant chinois très présent dans la zone. Mais sa stratégie devrait davantage être basée sur le partenariat avec les pays de la région que celle de Donald Trump.
Dans la zone indo-pacifique, il y a ceux qui préféraient le peu de souci de l'administration Trump pour les droits de l'homme, comme Narendra Modi, le premier ministre indien, ou encore pour l’environnement comme Scott Morrison. A l’image du chef du gouvernement australien, ils sont restés classiques dans leurs messages de félicitation à l’entrée en fonction de Joseph Biden. « C'est une relation entre l'Australie et les États-Unis qui est gérée par les Premiers ministres et les présidents de toutes tendances politiques depuis très longtemps. Et au grand avantage et au grand succès des deux pays. »
Le retour dans l'accord de Paris
Il y a au contraire ceux qui se réjouissent des orientations du nouveau président américain. Parce qu’ils sont sur la même longueur d’onde. Exemple Jacinda Ardern, la Première ministre néo-zélandaise, qui semble apprécier, entre autres, le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat. « Le monde est confronté à d'énormes défis, notamment le COVID-19, mais aussi le défi de notre environnement collectif. Nous avons tous vu des signes précoces qui sont vraiment encourageants de la part des États-Unis, quant au rôle qu'ils souhaitent jouer. »
Nous avons tous vu des signes précoces qui sont vraiment encourageants de la part des États-Unis, quant au rôle qu'ils souhaitent jouer.
- Jacinda Ardern, Première ministre néo-zélandaise
Une confiance en l’Amérique mise à mal sous l’ère Trump
Mais tous les alliés et amis de l’Amérique, dans la zone Indo-Pacifique, devraient apprécier de ne plus être traités en vassaux par la Maison Blanche. La condescendance, et surtout l'inconstance de Donald Trump, ainsi que son slogan « l'Amérique d'abord », avaient miné la confiance en Washington des pays de la région. Notamment pour contrer l'influence grandissante de Pékin dans la zone, en particulier sur les plans économique et militaire.
Un bilan stratégique et militaire relativement bon…
Certes l’époque Trump a été riche en initiatives sur le plan stratégique et militaire. Jointe par Outre-mer 1ère, Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée au centre Asie de l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) cite « l’idée d’établir toute une série de points de contrôle sur des routes stratégiques entre Guam, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et l’Indonésie ». Voire « la réflexion sur l’intérêt de recréer la première flotte pour faire face à l’expansionnisme naval chinois dans la région ».
L’équipe sortante compte même plusieurs avancées à son actif : par exemple, le développement des partenariats, comme avec l’Inde, dans le cadre du Quad (structure informelle réunissant les Etats-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde) en matière militaire et de renseignement. Ou encore « le renforcement des liens avec les micro-Etats du Pacifique Sud » (Marshall, Micronésie, Palaos). En vue d’accords de sécurité.
Les liens se sont aussi resserrés avec les amis de longue date comme l’Australie. A la clef, « la demande expresse de l’administration Trump de partager le fardeau. D’où d’ailleurs la multiplication des accords de sécurité que Canberra vient de signer, notamment par exemple avec les îles Fidji ».
Car comme au sein de l’OTAN, Donald Trump était obsédé par l’idée de faire payer davantage ses alliés…
…Mais gâché par son comportement économique et commercial
Justement, c’est bien cette obsession économique et commerciale de Donald Trump, qui a provoqué de fait, son échec relatif et contribué à l’affaiblissement de l’influence américaine dans l’Indo-Pacifique. Les désengagements protectionnistes des Etats-Unis y ont même probablement déblayé la voie pour le grand rival : l'Empire du Milieu.
Ainsi l’ancien président a retiré les Etats-Unis du TPP. Ce Partenariat Transpacifique de libre-échange, a été négocié par l’équipe de Barack Obama. Il réunit onze pays de la région (Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Malaisie, Singapour, Vietnam, Brunei, Canada, Chili, Mexique, Pérou). Pékin n’en est pas membre.
Mais le retrait américain a semble-t-il accéléré la création de la plus grande zone de libre-échange au monde : le RCEP. Le Partenariat Régional Economique Global regroupe quinze pays autour justement de la Chine (Chine, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Indonésie, Malaisie, Philippines, Brunei, Singapour, Corée du Sud, Vietnam, Birmanie, Thaïlande, Cambodge, Laos). Là encore sans les USA…
Le RCEP concerne 30% de l’économie mondiale. Et la même proportion de la population, soit 2,2 milliards de consommateurs…
Joe Biden va miser sur les partenariats et le destin commun
Difficile de faire machine arrière sur ce plan. Mais Joe Biden veut un Indo-Pacifique « sûr et prospère » et pas seulement « libre et ouvert » comme son prédécesseur. Pour cela, cet expert des relations internationales va miser à fond sur les partenariats, et la mise en avant d'un destin et d'intérêts communs dans la région. Une orientation efficace selon Sophie Boisseau du Rocher.
Dans l'objectif précisément de contrer la puissance chinoise, la mise en place d'un réseau de partenariats va être un atout stratégique important pour les Etats-Unis qui ne veulent plus agir seuls.
- Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée au sein de l'IFRI
Le retour au « pivot vers l’Asie »
Le nouveau président américain devrait relancer la stratégie du « pivot vers l'Asie » de l'époque Obama, dont il était le vice-président. Se tournant, à nouveau, vers un Indo-Pacifique abritant le futur centre de gravité de la planète. Quitte à délaisser un peu l’Alliance Atlantique, quoique certains évoquent l’hypothèse d’une extension de l’Otan au Pacifique, et l’Europe. Une Europe qui, elle-même, suit déjà le mouvement, comme le détaille Sophie Boisseau du Rocher. « La France a lancé sa stratégie indo-pacifique en 2016, l'Allemagne vient de lancer la sienne, les Pays-Bas également, le Royaume-Uni, même s'il ne sont plus dans l'Union-Européenne, vient de lancer également cette stratégie. Ce qui montre bien l'intérêt des pays européens à être reliés à ce théâtre maritime de premier plan dans les équilibres mondiaux. »
Via ses territoires ultramarins dans la zone, et son déploiement militaire, la France détient une carte importante, pour l'Europe, comme pour la nouvelle stratégie américaine.