Elle affiche 52 titres nationaux et dispute ses troisièmes Jeux olympiques à Tokyo. A quelques heures de sa course sur 10 km en eau libre, mercredi 4 août à 8h30, retour sur la carrière, pleine de défis, de Lara Grangeon. Ses proches se confient sur son parcours.
Le Japon, un pays cher aux Grangeon
Des kanjis (caractères japonais) sur un pan de mur. Le mont Fuji peint sur un autre. Des reproductions de samouraïs à l’intérieur de la maison, ou encore des lampes traditionnelles. Le pays du Soleil-Levant est partout, chez les Grangeon, depuis qu’ils sont revenus d’un voyage en famille, il y a plus de dix ans. Hasard de la vie, c’est à Tokyo que l’une de leur fille vivra ses troisièmes Jeux olympiques, ce qu'aucun sportif calédonien n'a réussi jusqu'ici. Ce samedi 17 juillet, famille et proches se sont réunis pour parler de Lara. Seule manque à l'appel sa mère, Catherine, partie en métropole l'encourager, au plus près.
"On l'a eue au téléphone. Elle était en train de s'échauffer pour son dernier entraînement matinal avant le départ", raconte son père, Jean-Paul. "Elle va prendre l'avion pour Tokyo à 13 heures", complète Alexandra, sa petite sœur. Cette dernière est sa plus grande fan. Elle n’a raté aucune de ses grandes compétitions et continue d'être émerveillée. "Ce que j'admire le plus dans sa carrière, c'est que juste après les Jeux de Rio en 2016 [en bassin], elle a changé d'entraîneur et décidé de commencer l'eau libre."
Elle s'est donnée trois ans pour se qualifier aux prochains JO, donc devenir la meilleure Française. Et elle a réussi !
"C'est incroyable, je suis tellement fière qu'elle ait atteint cet objectif. En sachant que le deuxième, bien sur, c'est la médaille", sourit-elle.
"Tu vas devenir une grande championne ?"
Remarquable, le chemin parcouru par Lara Grangeon l'est assurément. Il commence très tôt, dans les bassins du Cercle des nageurs calédoniens, à Nouméa. Sur une vieille vidéo familiale numérisée, on la voit nager sous le regard de ses parents. Alors qu'elle termine une longueur, le père interroge sa fille de 5 ans : "Tu vas devenir une grande championne ?". "Oui", répond-elle dans un grand sourire.
Après les bébé-nageurs, elle se met aux différents 200 m et se spécialise sur le 400 m 4 nages avec ses éducateurs, Eddy Lucas, Dominique Mollier, Philippe Chapelle et Cyril Huët, "impressionné par sa conviction", souligne ce dernier. La voilà sur les traces de Laurence, sa grande sœur, championne de Calédonie et du Pacifique dans cette épreuve.
"Elle savait déjà, si jeune, ce qu'elle voulait"
En 2004, conscient de son potentiel, le CNC lui propose de passer trois semaines au pôle France de Font-Romeu, en autonomie complète. L'année suivante, convaincue par l'expérience, elle n'hésite pas à le rallier, cette fois pour de bon. Loin de ses proches, elle se confronte au très haut niveau, entraîné par un cadre technique de référence, Richard Martinez.
Pas effrayée, elle s'adapte, et tentera même plus tard une expérience d'un an en Espagne pour viser encore plus haut. Un tempérament à part, souligne son aînée dans la fratrie.
C'est un peu une boule d'amour et de bienveillance, avec un mental d'acier. Elle n'abandonne jamais, elle ne renonce jamais devant l'effort.
Camille, son amie d’enfance, se souvient du départ. "On était en seconde, et Lara nous a dit à la pause qu'elle partait en France pour se dédier à la natation à haut niveau. C'était impressionnant. Elle savait déjà, si jeune, ce qu'elle voulait", assure-t-elle.
Les premiers Jeux à 21 ans
Les titres aux championnats de France élite petit et grand bassin s'accumulent. Elle en rafle treize jusqu’en 2012, l’année de ses premiers JO, à Londres, à seulement 21 ans. La famille est dans les tribunes, chacun portant une lettre de son prénom sur un tee-shirt aux couleurs de la France. Les responsables du comité territorial olympique et sportif calédonien sont eux aussi présents. Il n'y avait plus eu de nageuse du territoire dans cette compétition depuis 44 ans. Lara a repris le flambeau de Simone Hanner et Marie-Josée Kersaudy, qualifiées pour Mexico 1968. Elle se classe 18e du 400 m 4 nages.
Quatre ans plus tard, après avoir surmonté une blessure à l'épaule, remporté 16 sacres nationaux supplémentaires, et décroché une 8e place aux Mondiaux sur 400 4 nages, elle est encore là pour les Jeux au Brésil. Les finales du 200 m papillon et du 4 nages lui échappent encore. Une rhino pharyngite l'empêche d'être à 100% de ses capacités.
Le virage de l'eau libre
Alors vient le temps d’un nouveau défi : l’eau libre, pour aller chercher une médaille olympique. A 15 ans, Lara brillait déjà dans cette spécialité aux Jeux du Pacifique aux Samoa, avec une médaille d'or. Elle avait aussi participé, en avril 2016, à la grande traversée Phare Amédée-Anse Vata, 18 km en pleine mer bouclés en 4 heures et 12 minutes. Mais à très haut niveau, en quittant la sécurité d'une ligne de bassin pour le tumulte des courses en mer, cela reste un autre monde à affronter, rappelle son frère, Paul-Antoine.
C'est très stratégique. Tout au long d'une course d'eau libre, les concurrentes se testent. Il y a des accélérations, il faut rester au contact, mais cela veut aussi dire prendre des coups, se faire mal.
"Il faut prendre les bons passages de bouées où quelqu'un peut relancer. C'est aussi un peu comme la Formule 1 : si tu es mal placée et que ça part, le problème, c'est que c'est trop tard", détaille-t-il.
Un nouveau défi relevé en se donnant les moyens. Elle rejoint d’abord Philippe Lucas à Montpellier, entraîneur réputé pour la qualité de son travail tout autant que son tempérament direct et bouillant. Elle part ensuite à Rouen, pour collaborer avec Damien Cattin-Vidal. Lara continue de s’aligner sur les épreuves en bassin qui demandent de la vitesse, et elle ajoute celles qui favorisent l’endurance, notamment le 1 500 m nage libre.
Titrée une fois sur cette distance entre 2009 et 2014, elle va gagner quatre autres finales aux championnats de France entre 2018 et 2019. Le travail d’eau libre l’aide pour le bassin, et vice-versa. En 2017, à Dunkerque, elle signe un triplé sur 5, 10 et 25 kilomètres aux championnats de France d’eau libre. L’année suivante, c’est le bronze aux championnats d’Europe à Glasgow sur 25 km. Et en 2019, en Corée, elle décroche la qualification olympique sur 10 km aux Mondiaux de Yeosu, en prenant la 4e place. Aurélie Muller, double championne du monde, termine 11e.
"Je la mets au même niveau que Christian Karembeu"
Nickolas N’Godrella était lui aussi assis à la table familiale, ce samedi. Le fils de l’ancien tennisman professionnel Wanaro N’Godrella connaît très bien Lara. Ils ont vécu des Jeux du Pacifique ensemble et ont été les porte-drapeaux de la délégation calédonienne pour ceux de 2011, à domicile. Elle, comme chef de file de la natation, lui, comme leader du tennis. C’est le meilleur joueur sur le territoire depuis plus de dix ans. "Mon idole, quand j’étais petit, c’était Christian Karembeu, champion du monde avec l'équipe de France en 1998."
Je la mets au même niveau que lui, parce qu’elle a su durer sur douze ans. C’est exceptionnel, ce qu’elle fait.
Et ce n’est pas encore fini. Place à ces JO 2021 dans le pays préféré des Grangeon. "J’espère que c’est un signe qui portera chance à Lara. Ce qui nous fait vraiment plaisir, c’est de voir qu'elle est heureuse dans ce qu’elle fait, elle s’épanouit, aussi bien dans le sport, que ses études, et sa vie sentimentale, avec un compagnon formidable, qui la soutient pleinement", confie son père.