Sitiveni Rabuka, ancien chef du gouvernement et deux fois putschiste, devrait prochainement remplacer Frank Bainimarama au poste de Premier ministre de Fidji, après avoir obtenu le soutien d'un petit parti et une majorité parlementaire suffisante pour gouverner. "Je voudrais remercier et féliciter le peuple des Fidji", a déclaré Sitiveni Rabuka en revendiquant la victoire. "(Il) a voté pour le changement".
Rabuka et ses alliés au sein de la nouvelle coalition ont promis de rénover la démocratie fidjienne et d'instaurer un gouvernement "plus bienveillant, compatissant" et transparent après ce qu'ils considèrent comme une décennie et demie de pouvoir en partie autoritaire.
"Cela fait trop longtemps", a déclaré Vilivo Amo, un étudiant en sciences politiques de 21 ans, présent comme des milliers d'autres personnes dans les rues de Suva. "Ils ramènent la démocratie." "(Avec le) gouvernement actuel, les gens sont pris à partie sans raison, ils ont des problèmes avec la police. Cela va changer."
Le scrutin de mercredi 14 décembre n'avait pas permis de départager les deux principales forces politiques du pays, menées par messieurs Rabuka et Bainimarama. Chacune avait depuis courtisé le parti social-démocrate (Sodelpa) pour constituer une telle majorité. Après plusieurs jours de tractations, cette petite formation a affirmé mardi 20 décembre que son bureau avait voté par 16 voix contre 14 en faveur d'une coalition conduite par Sitiveni Rabuka.
Chants polyphoniques et feux d'artifice
A peine la nouvelle commençait-elle à circuler que des partisans euphoriques de M. Rabuka entonnaient un chant polyphonique à l'extérieur de son siège de campagne. Des feux d'artifice éclataient, des klaxons de voitures retentissaient et des militants dansaient dans les rues en brandissant des cônes de signalisation, des châles et des pancartes.
"Nouveau gouvernement !", scandaient-ils en fidjien, tandis que les membres de la coalition nouvellement élue reprenaient le chant américain du Mouvement des droits civiques "We shall overcome" ("Nous triompherons"). Elijah Rokoderea, un soutien de Sitiveni Rabuka, a confié qu'il était soulagé de voir Frank Bainimarama évincé. "Cela fait 16 ans que ce gouvernement oppressif (est en place). On ne peut même pas organiser de manifestations", a-t-il déclaré du siège de campagne de Sitiveni Rabuka.
Le vigile Mitele Tuqiri s'est quant à lui dit en extase. "Nous allons fêter ça ce soir et puis demain cela continuera."
Quatre coups d'état
Frank Bainimarama a pris ses fonctions en 2006 à la faveur d'un coup d'Etat, avant de remporter plus tard deux élections pour légitimer son pouvoir. Son gouvernement a fréquemment utilisé la justice afin d'écarter des opposants et de réduire au silence ses détracteurs et les médias.
Dans son discours de victoire, Sitiveni Rabuka, surnommé "Rambo", a adressé un message conciliant à son rival de longue date. "Je voudrais remercier le parti sortant Fiji First. J'espère qu'il acceptera le résultat". Ce dernier ne s'est pas exprimé en public depuis le vote. Face à des journalistes, il s'était alors engagé à respecter l'issue du scrutin.
Quatre coups d'Etat ont eu lieu aux Fidji ces 35 dernières années et la possibilité d'une immixtion de l'armée a plané sur les élections de 2022. Sitiveni Rabuka avait écrit au commandement des troupes pour lui demander d'intervenir après avoir mis en doute les résultats du vote, retardés par des "anomalies" techniques, mais avait été éconduit par les militaires. Avant la fin du dépouillement des bulletins de vote, Sitiveni Rabuka avait été convoqué par la police et interrogé, puis relâché.
Mission diplomatique en Israël
Le parti social-démocrate et son chef le très religieux Viliame Gavoka avaient réclamé des postes ministériels-clés et l'établissement d'une ambassade fidjienne à Jérusalem. Selon une copie de l'accord obtenue par l'AFP, le prochain gouvernement créera une "mission diplomatique en Israël", révisera la Constitution et se penchera sur plusieurs dossiers considérés comme essentiels par les Fidjiens autochtones.
Le parti social-démocrate obtiendra les portefeuilles ministériels de l'Education, du Tourisme et des Affaires autochtones, en vertu de cet accord. Sitiveni Rabuka et ses alliés au sein de la nouvelle coalition avaient par ailleurs signalé avant le scrutin leur désir de distendre les liens avec la Chine, de laquelle Frank Bainimarama s'était rapproché.