Le CMV est-il recensé en Nouvelle-Calédonie ? Gabriel* s'interroge. C'est lors du diagnostic de sa fille Emma* que le code longue maladie pour infection virale congénitale a été ouvert sur le Caillou. Pour le dire autrement, la petite représente le premier cas officiel sur le territoire. "On ne m'a jamais dit : n'embrasse pas ton enfant sur la bouche, ou ne lui fais pas un bisou sur la joue quand elle pleure, parce que ses larmes peuvent te contaminer, raconte Aude*. Sinon, j'aurais fait plus attention pendant ma grossesse."
Des mois d'incertitude
C’est la pédiatre d’Emma qui a remarqué qu’elle gardait son poing droit fermé, elle avait alors cinq ou six mois. S'ensuivent des bilans chez un kinésithérapeute, un ophtalmologiste et un orthoptiste. Et lors d'une hospitalisation pour soigner une bronchiolite, le neuropédiatre, remarquant un retard de motricité chez la petite fille, propose une IRM cérébrale. L'imagerie montre une atrophie de l'hémisphère cérébral gauche. Le test de Guthrie d'Emma permettre d'écarter l'éventualité d'un zika. Elle a onze mois quand on confirme qu'elle a été infectée par le CMV in utero.
Ça me fait peur de me dire que du jour au lendemain, elle peut devenir sourde.
Aude, mère d'Emma
"Le diagnostic a été très très très tardif, regrette Aude. Pendant des mois, on ne savait pas quel était le problème, donc on était hyper angoissés. On se demandait si c'était une maladie génétique, neurodégénérative..." Depuis, Emma fait trois séances de kiné par semaine. Elle voit régulièrement un ORL, un psychomotricien, un orthophoniste, et les progrès sont visibles : elle tient assise depuis qu'elle a dix-huit mois. "Là, maintenant, elle fait le petit lapin, elle fait des petits bonds. L'alternance des mouvements entre le haut et le bas de son corps, entre les côtés droit et gauche, elle n'arrive pas à le faire, du coup elle saute. C'est grâce à la kiné, à la persévérance, et le fait qu'elle soit très têtue, ça aide", sourit la maman.
Le CMV n'est pas dépisté
Si la vaccination a éloigné le risque de complications liées à la rubéole et à la varicelle pour les femmes enceintes, si la toxoplasmose et la listériose sont l’objet d’une attention particulière, le cytomégalovirus fait figure d’exception. Il n'est pas recherché, conformément aux recommandations du Haut conseil de santé publique. Pourtant, il peut endommager le foie et le cerveau du fœtus, et entraîner un retard de croissance et une surdité. Le HCSP estime à 50 le nombre de cas graves par an en France. Selon l'Association CMV, un enfant sur 750 naît avec des séquelles handicapantes.
A l'hôpital Necker de Paris, le professeur Ville, directeur de la maternité et du centre de diagnostic prénatal de médecine fœtale, met ses patientes enceintes sous antiviral pour arrêter la réplication du virus. Sur le site de la Société canadienne de pédiatrie, le traitement antiviral du nouveau-né est recommandé, "dans le premier mois de vie et maintenu pendant six mois".
Savoir, pour avoir le choix
Le dépistage - une sérologie de contrôle - est important, pour Aude. "Les femmes ont le droit de savoir et le droit de pouvoir donner une chance à leur enfant de ne pas naître avec ce virus, si elles en ont le souhait. Personne ne sait ce qu'est le CMV : il est important d'en parler." Des personnes vont être à risque plus que d'autres : les personnels de crèche, ceux qui travaillent en pédiatrie et en gériatrie, les puéricultrices, les institutrices, les assistantes maternelles, et les parents qui ont un bébé à la maison. "Il faut former les professions à risque", pour Gabriel.
Si le dépistage est positif, on peut faire des échographies plus poussées, une amniocentèse, voire une IRM foetale pour essayer de chercher des séquelles. La recherche de CMV urinaire à la naissance ne laisse pas de choix, celui de pratiquer une IVG par exemple.
Aude, mère d'Emma
Salive, urine, sécrétions nasales et larmes
"Il y a plein de petits gestes de prévention que l'on peut faire au quotidien, en étant très vigilant pendant le premier trimestre de la grossesse, mais on ne nous le dit pas, déplore Aude. Et le résultat peut être dramatique. Emma va s'en sortir, il y a pire. Elle a un problème moteur, mais je sais que ça ira parce qu'elle a une grande force de caractère. Mais c'est une pathologie qui est lourde à vivre et assumer au quotidien pour certains parents." Si le dépistage n'est pas systématisé, seule la prévention peut permettre d'éviter l'infection. Et la prévention coûte moins cher qu'une prise en charge qui peut durer plusieurs décennies.
"Emma a été prise en charge tôt, elle a un bon suivi, elle vit bien. Elle fait des bêtises, elle rigole, elle embête sa soeur... Malgré ces aléas de vie, je pense qu'elle est heureuse, ce qui est le plus important", estime Gabriel, le papa. Lui et sa femme réfléchissent à relayer l'Association CMV (nationale) en Nouvelle-Calédonie. Emma crayonne, assise sur ses genoux. Elle fêtera ses deux ans le mois prochain.
Le témoignage d'Aude et Gabriel, les parents d'Emma
- Vous pouvez parler du cytomégalovirus avec votre médecin traitant, votre sage-femme ou votre gynécologue, ou vous rendre sur le site stopcmv.fr.
*Les prénoms ont été modifiés.