Le maintien du référendum, « une immense violence institutionnelle » selon Mathias Chauchat

Mathias Chauchat, professeur de droit public
Invité du JT de NC la Première, vendredi 19 novembre, le professeur de droit public Mathias Chauchat a livré sa vision de la crise politique que traverse la Calédonie. « C’est la fin du peuple calédonien », analyse-t-il.

Une semaine après l’annonce du maintien du référendum le 12 décembre, malgré la demande de report indépendantiste, comment analyser la crise politique que traverse la Calédonie? Le professeur de droit public Mathias Chauchat, notamment co-auteur du Sens du Oui un essai engagé en faveur de l'indépendance, juge sévèrement l’action de l’Etat.

Une « rupture de parole »

Selon Mathias Chauchat, il y a d’abord eu « rupture de parole, de l’Etat. Sébastien Lecornu a contredit la parole du Premier ministre Edouard Philippe au 19e Comité des signataires qui avait exclu un vote pendant la pré-campagne présidentielle. »

Pourquoi? « Parce que à 47% après le deuxième référendum, la victoire du Oui devenait possible. Donc l’Etat a décidé de rompre sa neutralité de s’engager dans la campagne du non », assure-t-il.


Une prise de position qui aurait ainsi conduit le ministre des Outre-mers à « annoncer la caducité de l’accord de Nouméa, c’est à dire qu’après le 13 il n’y a plus rien, l’accord de Nouméa cesse de vivre et donc toutes les dérogations acquises dans la constitution cessent de vivre. »
De même, « il a décidé de casser le Comité des signataires, il ne [le] convoque pas, mais convoque des comités Théodule avec des interlocuteurs différents, pour mieux les manipuler. »

un document sur le oui et le non « à charge »

Mathias Chauchat porte également un regard sévère sur le document sur les conséquences du Oui et sud Non, qui est « un document à charge contre le Oui. Et ce document ne respecte en aucune manière les préconisations de l’ONU. La France doit faire la pédagogie de la décolonisation. Elle doit défendre toutes les options et on nous laisse le choix entre une indépendance de rupture type Algérie ou un statut dans la France avec la normalisation de la Nouvelle-Calédonie. »

Or, poursuit-il, « les indépendantistes ne veulent ni l’un ni l’autre, ils veulent changer la nature des relations avec la France, ils veulent les interdépendances. Ce qui a été écarté conjointement par Sébastien Lecornu et par les non-indépendantistes, qui sont dans le même camp. »

« Violence institutionnelle »

Le refus de reporter la consultation comme l’ont demandé les indépendantistes, est « d’une immense violence institutionnelle envers le peuple Kanak. Les Kanak sont sincèrement en deuil et personne ne peut le nier. Et cette violence institutionnelle, elle bouscule les règles. On a une période de trente ans qui a été ouverte par les accords de Nainville-les-Roches avec d’un côté la reconnaissance du droit des Kanak à leur indépendance et en contrepartie le partage du droit à l’autodétermination avec les autres. »

« Fin du peuple calédonien »

Les non-indépendantistes, estime Mathias Chauchat, « se servent aujourd’hui de ce partage du droit à l’autodétermination pour empêcher l’indépendance. Or, ce contrat fondamental, il aboutit au peuple calédonien. Aujourd’hui, ce qu’on jette à la rivière le 13, c’est le peuple calédonien. Le 13 au matin, se feront face, le peuple Kanak d’un côté et le peuple français de l’autre, renforcé par les cohortes de Métropolitains à venir. L’identité calédonienne, le peuple calédonien et donc les modalités du dialogue entre le peuple Kanak d’un coté , l’Etat français de l’autre vont être profondément modifiés à l’avenir. »

Pas de retour à la normale le 13 décembre

Conclusion pour l’universitaire, « il n’y a aucune chance, que le lendemain du 12 l’économie reparte et que la normalité revienne. Aucune chance que les gens s’assoient comme si de rien n’était à la table des négociations. Ce que les indépendantistes voudront, ce sont des réunions bilatérales avec l’Etat. »

Revoir l'entretien en vidéo : 

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