Les Aborigènes et les Papous sont partis d'Afrique il y a 72 000 ans

Le crâne de l'homme de Mungo (Mungo Man), le plus ancien fossile humain découvert en Australie à ce jour, à 760 km à l'ouest de Sydney. Il a vécu dans la région du lac Mungo il y a 42 000 ans.
Il n’y a eu qu’une seule vague de peuplement en Australie précoloniale et en Papouasie Nouvelle-Guinée, et elle est bien venue d’Afrique. C’est ce qu’affirme l’étude génétique la plus ambitieuse jamais réalisée sur les Aborigènes, et publiée jeudi dans la revue scientifique “Nature”. 
"Une histoire génomique de l'Australie aborigène" fait partie d'un corpus de 3 études qui ont toutes pour objectif de retracer la dispersion des hommes en une seule vague depuis un unique berceau - l’Afrique- vers l’Asie, l’Europe et l’Océanie * (cf. note en bas de page). 
Pour le volet aborigène, une équipe de chercheurs internationaux, menés par le professeur danois Eske Willerslev, de l’université de Cambridge, a étudié l’ADN contenu dans la salive de 83 Aborigènes appartenant à des peuples qui parlent des langues Pama-Nyungan, le groupe linguistique auquel appartiennent 90% des Aborigènes d'Australie.
25 Papous des Hauts-Plateaux ont aussi donné leur salive pour ces recherches. Car les ancêtres des Papous et des Aborigènes sont arrivés ensemble dans notre région. Ils ont quitté l’Afrique pour le Moyen-Orient il y a environ 72 000 ans, avant d’entamer une très longue migration vers l’Australie. L’Australien David Lambert, chercheur en biologie évolutive à l’université Griffith, a participé à cette étude internationale. Il a répondu aux questions de Bindi Bryce, sur ABC Radio Australia :
« Les Aborigènes et les Papous, qui formaient une même lignée, ont quitté la région où se trouve Israël aujourd’hui, au Moyen-Orient, il y a environ 58 000 ans, c’est-à-dire bien avant que des groupes se divisent pour aller peupler l’Europe d’un côté, et l’Asie de l’autre. »
Les ancêtres des Papous et des Aborigènes auraient atteint le Sahul il y a environ 50 000 ans. Le Sahul, c’était le supercontinent formé par la Papouasie Nouvelle-Guinée, l’Australie et la Tasmanie.
 

Une contradiction? Berceau africain... mais brassages génétiques avec l'homme de Denisova

D’après les chercheurs, avant d’arriver en Océanie, les ancêtres des Papous et des Aborigènes se seraient mélangés avec d’autres hominidés – il y a entre autres de l’ADN Néandertal (Europe) et Denisova (Sibérie) dans la salive des Aborigènes qui ont participé à l’étude.
À ce sujet, le professeur Alan Cooper, du centre australien de l’ADN ancien, qui ne fait pas partie de l’équipe de recherche, pointe une contradiction dans cette étude, qui annonce un mélange des premiers Aborigènes et Papous avec les hommes de Denisova il y a quelque 44 000 ans, mais affirme par ailleurs qu’ils sont arrivés en Australie et en papouasie Nouvelle-Guinée il y a environ 50 000 ans.
« Comment peut-on affirmer qu’il n’y ait qu’une seule vague de migration dans le Sahul, mais 6000 ans plus tard, que ces populations se sont mélangées avec une autre famille d’hominidés (Denisova), qui n’a jamais été en Australie? », s'interroge Alan Cooper.
Quoi qu’il en soit, une fois dans le Sahul, les Papous et les Aborigènes se sont séparés il y a 37 000 ans. C’est une des surprises de l’étude, et on ne sait pas encore l’expliquer. David Lambert:
« Jusqu’à présent, si on demandait aux experts d’estimer la date de séparation des Papous du groupe aborigène, beaucoup vous auraient répondu: “il y a environ 10 000 ans”, au moment où le détroit des Îles de Torrès s’est formé, séparant l’Australie et la PNG (à cause de la montée du niveau des océans, NDLR). »
Thomas Wales, un Aborigène du Cap Yorke, a participé activement à cette étude, en donnant sa salive, mais aussi en racontant sa tradition orale au chercheur australien Michael Westerway, de l'université Griffith. Le cap Yorke pourrait être la porte d'entrée par laquelle les premiers hommes sont arrivés en Australie, mais cette théorie n'est pas confirmée.

 

Le point d'entrée des premiers Australiens, toujours un mystère 

 Les premiers hommes sont-ils arrivés via la Papouasie Nouvelle-Guinée et la péninsula du Cap York? Ou plus à l’ouest, via Java, et le Timor, into Kimberley et la terre d’Arnhem? La question n’est toujours pas résolue, souligne David Lambert:  
«  Le point d’entrée des premiers hommes en Australie reste un mystère. »
Une fois en Australie, les premiers Aborigènes sont restés isolés du reste du monde pendant près de 40 000 ans. Ils se sont dispersés aux quatre coins du continent, et l’étude prouve que dès 31 000 ans, des centaines de peuples aborigènes étaient déjà isolés génétiquement les uns des autres. Et l’ADN a révélé des variations génétiques chez les Premiers Australiens, qui ont amélioré leur résistance au froid et à la déshydratation, et leur ont donc permis de vivre dans les déserts.
 

Les Aborigènes sont bien les premiers hommes arrivés en Australie, leur droit à la terre est indiscutable

 
Cette étude publiée dans “Nature” démolit à nouveau la théorie  inepte selon laquelle il y aurait eu d’autres hommes avant les Aborigènes en Australie, un mythe régulièrement utilisé par des politiques ou historiens pour nier aux Aborigènes leur droit à la terre, et  les empêcher de recevoir des titres fonciers traditionnels. 
Ce mythe était étayé par une incohérence de taille: pourquoi les langues aborigènes (du groupe Pama-Nyungan) sont nées il y a seulement environ 4000 ans, alors que l’ADN indique que les premiers hommes sont arrivés il y a 50 000 ans en Australie? Cette incohérence fournissait un argument à la minorité, en Australie, qui considère que les Aborigènes ne sont pas les premiers arrivés sur le continent.
Mais l’étude a résolu la question: la formation de ces langues correspond au moment où des Aborigènes se sont dispersés aux quatre coins du pays et influence les peoples qu’ils ont visité, au point de modifier leurs langues. « Ils ont dispersé cette nouvelle langue. Mais ils ont laissé une toute petite empreinte génétique. C’est un peu comme si 2 gars entraient dans un village, et annonçaient aux habitants: “bon les gars, on va changer de langue, et on va aussi utiliser de nouveaux outils en pierre”, et les 2 étrangers couchent un peu par ci-par là avec des villageois, puis disparaissent de nouveau », explique le chercheur Eske Willerslev.
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* Le paléoanthopologue français Yves Coppens, qui a exhumé Lucy, affirme désormais que « L’Afrique n’est pas le seul berceau de l’Homme moderne ». Voir le dernier paragraphe de cet article