Dès le début de la crise, les professionnels de santé ont très rapidement pris la mesure des conséquences possibles sur la jeunesse calédonienne. Plusieurs dispositifs ont été mis en place au sein des établissements. Mais le rôle des familles est bien évidemment essentiel pour accompagner au mieux les enfants et les adolescents, qui restent très fragiles face à des événements d'une telle ampleur. "Notre objectif, c’était aussi de proposer des outils aux parents, pour qu’ils repèrent si leurs enfants ne vont pas bien", rappelle Pascale Domingue Mena, responsable Baromètres et études à l'agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie. "Effectivement, il y a peut-être des parents qui ne se rendent pas compte que c’est important que l’enfant puisse parler et qu’il puisse exprimer ce qu’il a vu, ce qu’il a ressenti à certains moments. La parole permet de libérer les choses et d’apaiser."
Guetter les signes qui persistent
Les tensions se sont apaisées ces dernières semaines en Nouvelle-Calédonie. Mais pour les enfants, comme pour les adultes, mieux vaut ne pas laisser traîner les choses. "Il faut faire vite pour gérer du stress aigu, pour éviter qu’il s’installe et devienne un stress post-traumatique qui dure dans le temps. Si les signes persistent dans le mois qui suit l’événement, on peut évoluer vers un stress post-traumatique qui peut durer des années. Mais ce n’est pas tout le monde, heureusement."
Le cœur qui bat très fort
L'ASS-NC a créé un questionnaire pour les enfants. Par exemple, l'enquêteur demande à l'enfant s'il a souvent l'impression de sentir son cœur battre très fort, s'il a des problèmes de sommeil ou s'il se sent plus nerveux. La fiche de résultats transmise aux parents comprend un QR code pour télécharger des conseils et des outils. La plaquette présente ainsi des signes d'alerte à détecter. "Des pensées répétées centrées sur l’événement pendant la journée ou des cauchemars pendant la nuit. Une tendance à répéter des jeux ou à reproduire des dessins tournant autour d’un aspect particulier de l’événement. Un évitement des personnes, situations ou objets qui lui rappellent l’événement."
Des changements d'humeur ou d'appétit
Karine Detcheverry est infirmière scolaire au lycée Dick-Ukeiwë du Grand Nouméa. Depuis la reprise des cours en juillet, elle accueille des élèves qui ont besoin de parler. Pour elle, il y a certains signes qui peuvent alerter les parents, lorsque l'enfant n'en parle pas directement. "Le changement d’humeur, quand on ne reconnaît plus son enfant, quand il y a des changements d’heures de sommeil, des changements d’appétit. Quand on voit qu’il commence à beaucoup sortir ou à l’inverse si c’était quelqu’un de très jovial qui se retrouve renfermé à la maison, qui ne fait plus rien."
Selon elle, il faut rester prudent dans le temps. "Que nos enfants aient changé avec ces événements, c’est normal, mais il ne faut pas que ça dure longtemps. Si au bout de trois ou quatre semaines il ne revient pas à la normale, alors qu’à l’extérieur c’est en train de se calmer, là il faut s’inquiéter et consulter."
Être encore plus vigilant à distance des événements
La cellule d’écoute est toujours ouverte au lycée du Grand Nouméa. "Ils ont encore besoin d’en parler. Les stress post-traumatiques, c’est à distance des événements, c’est maintenant qu’il faut faire plus attention à nos enfants. Il faut leur demander comment ça va ou comment il se sent. Maintenant, on a pris plus de recul, c’est plus simple d’en parler, comme il y a moins d’émotion."
Elle insiste également sur le fait qu'il ne faut pas hésiter à demander des renseignements à l'infirmière scolaire. "On peut leur indiquer des prises en charge de suivi psychologique gratuites."
Des réseaux sociaux anxiogènes
Pour Marie-Christine Garin, infirmière et conseillère technique au vice-rectorat, il faut aussi être vigilant avec tout ce qui concerne les réseaux sociaux. "C’est sur les réseaux sociaux que vont s’entretenir l’agressivité, la violence et tout ce qui anxiogène. Les reportages ou les déclarations anxiogènes. Il faut que les parents ouvrent le dialogue avec leurs enfants, qu’ils puissent les aider à exprimer ce qu’ils entendent, ce qu’ils voient, ce que les camarades ont dit, pour pouvoir être informés."
Évacuer la colère
Pour cette professionnelle, il faut ouvrir le dialogue avec son enfant régulièrement pour prendre la température. "Comment il va ? Comment vont ses camarades ? Il faut aussi être observateur de son enfant. Il y a des signes qui ne trompent pas." Les paroles sont également importantes. "Si on sent qu’il y a beaucoup de colère vis-à-vis de ce qu’il s’est passé, ça mérite une consultation pour l’aider à l’évacuer cette colère. De manière à ce qu’elle ne retentisse pas à l’extérieur, sur un autre élève par exemple ou sur lui-même, en se mettant en danger."
Si les parents ont ouvert le dialogue, ils vont être au courant de ce qu’ils vivent et ils vont pouvoir peut-être déjà rectifier, ramener l’enfant à la réalité, parce que parfois ce ne sont que des rumeurs.
Marie-Christine Garin, infirmière et conseillère technique au vice-rectorat
Sursauter à cause d'un bruit
Cela fera bientôt trois mois que les émeutes ont éclaté en Calédonie. Comme sa collègue Karine Detcheverry, Marie-Christine Garin préconise de ne pas baisser sa vigilance face au stress post-traumatique. Elle prend l'exemple des grenades de désencerclement. "Ce sont des bruits dont on se souvient tous. Si le jeune a été traumatisé par ça, ce qui n’est pas forcément le cas, eh bien vous pourrez observer que quand il y a un bruit un peu fort dans la maison, il peut sursauter et avoir peur."
Le stress post-traumatique peut être observé avec plusieurs semaines de décalage, mais il se règle très bien avec l'aide d'un psychologue. "On peut le voir à travers un évènement banal qui va rappeler au jeune quelque chose qui s’est passé pendant les événements. C’est comme si la personne était restée enfermée dans un souvenir. Il faut lui permettre de sortir de ce souvenir parce que c’est du passé."
Et attention, les jeunes qui auraient changé de commune après le début des exactions pour des secteurs plus tranquilles, peuvent tout de même présenter des fragilités. Il faut là aussi rester attentif.
Donner de l'espoir, sans mentir
Au quotidien, elle conseille aux parents de faire des activités avec son enfant, pour l’aider à trouver des repères rassurants. "Nous-mêmes en tant que parents, si on se sent très inquiets, il faut aller consulter pour ne pas que ça soit contaminant pour son enfant. L’objectif est d’avoir un discours rassurant, de lui dire que les choses vont s’arranger, que des solutions vont être trouvées, pour lui donner de l’espoir. Cet apport de positif et d’espoir est très important pour l’enfant, sans lui mentir pour autant."
Le parent, c’est le pilote de l’avion et l’enfant est un passager qui va se dire que si le pilote va bien, l’avion va bien.
Marie-Christine Garin, infirmière et conseillère technique au vice-rectorat
Avoir confiance en l'école
Marie-Christine Garin insiste sur le fait que les parents doivent être partenaires de l’école. "Il faut faire confiance à l’école et laisser les enfants revenir en classe si ce n'est pas encore le cas. Les personnels sont là pour permettre aux élèves de terminer leur année dans de bonnes conditions et de ne plus avoir de souci avec tout ce qui se passe à l’extérieur. Toutes les préoccupations sociales, sécuritaires ou politiques, ça n’a rien à faire dans un établissement scolaire."
Selon elle, certains parents sont encore trop inquiets. "Il est important qu’ils puissent prendre contact avec l’équipe de l’établissement pour être rassurés. Ils peuvent avoir peur qu’il y ait des bagarres entre jeunes et dans ce cas il faut qu’ils rencontrent le personnel pour qu’ils puissent trouver les réponses. Parce que le mieux, c’est que leur enfant revienne à l’école. C’est là qu’il a ses repères, pour se sentir comme un jeune qui vit sa vie et qui sort de toutes ces préoccupations d’adultes."
Être en sécurité pour apprendre
Partenaire de l'école également dans le sens où les parents peuvent prévenir l'établissement en cas de doutes. "Il faut qu'ils pensent à nous alerter sur ce qu’on appelle les signaux faibles. C’est-à-dire les prémices de quelque chose de plus grave. De manière à ce que l’établissement se prépare aussi à protéger ce groupe d’enfants qui est là pour être en sécurité et pour apprendre."
Les infirmières scolaires sont aussi disponibles dans ces cas-là. "Prévenez-nous de toute situation inquiétante que pourrait vivre votre enfant pour qu’on puisse vous aider à la gérer."
Pour aller plus loin
Les plaquettes de l'Agence sanitaire et sociale détaillent quelques conseils. En voici quelques-uns.
- Pour les enfants
1. Écoutez d'abord avant de parler. Cela vous donnera une idée de ses préoccupations et de son niveau de compréhension.
2. Utilisez un langage adapté à son âge : votre enfant a le droit d’être informé de ce qu’il se passe, vous avez toutefois la responsabilité de le protéger. Employez des mots adaptés à son âge, expliquez les faits de manière simple et claire en évitant les détails effrayants.
3. Soyez attentif à son niveau d’anxiété et rassurez-le sur sa sécurité : votre enfant a besoin de savoir qu'il est en sécurité. Rassurez-le sur le fait que les adultes agissent pour protéger tout le monde et que vous êtes là pour le protéger. Rappelez-lui que de nombreuses personnes mettent tout en œuvre pour mettre un terme au conflit et instaurer la paix.
4. Exprimez vos propres émotions avec modération : il est normal de montrer vos émotions, mais essayez de rester calme et rassurant. Votre enfant prend exemple sur votre réaction. Invitez votre enfant à parler de ses sentiments et montrez-lui que toutes les émotions sont valides. Vous pouvez également lui proposer des activités pour exprimer ce qu'il ressent, comme le dessin.
5. Soyez prêt à répondre aux questions de manière honnête, mais sans surcharger d'informations. Si vous ne connaissez pas la réponse, dites-le et proposez de chercher ensemble. Limitez l'exposition aux médias : protégez votre enfant des images et des informations répétitives et souvent dramatiques des médias. Les enfants de 6 ans et moins ne doivent pas regarder les chaînes d'informations. Avec les enfants plus âgés, regardez-les avec eux et parlez ensemble de ce qu'ils voient.
6. Renforcez les valeurs positives : utilisez ces moments pour discuter des valeurs importantes comme la compassion, l'entraide. Montrez-lui des exemples de solidarité et de courage. Restez disponibles et assurez-vous que votre enfant sait qu'il peut venir vous parler à tout moment. Maintenez la communication ouverte.
- Pour les adolescents
1. Mettre en place et maintenir une routine protectrice : heures régulières du coucher, du lever, des repas Créer des moments d’échange et de partage en famille.
2. Faciliter la communication : demandez à votre adolescent de vous raconter une chose agréable / drôle / insolite de sa journée. Demandez-lui comment il / elle se sent, soyez à son écoute et présent pour discuter. Aidez-le ou la à identifier ses émotions et soyez attentif aux attitudes qui peuvent indiquer son état émotionnel.
3. Partager des activités ludiques avec vos adolescents en extérieur (jardinage, pêche, marche, exercices physiques, jeux de ballon, vélo, rollers, workout etc.) comme en intérieur (jeux de société, jeux vidéo, puzzle, pâtisserie, bricolage, écouter de la musique, regarder ensemble un film/série etc.)
4. Encourager l’exercice physique et une alimentation saine et plaisante.
5. Favoriser les relations avec les jeunes de son âge, la famille et les amis.
6. Proposer des moments de détente ensemble ou seul s’ils préfèrent (faire des étirements, de la méditation guidée, de la cohérence cardiaque…). Différents outils sont disponibles sur internet.