Quelques minutes seulement après notre message dimanche, Samuel Garcia se rend disponible pour parler d’une finale qu’il va suivre de près, ce lundi (en direct à 17 heures, sur NC la 1ère). L’ancien joueur formé aux Girondins de Bordeaux est arrivé à Tahiti en 1997. Il a porté les couleurs de la sélection polynésienne avant d’en devenir l’entraîneur principal en 2019.
Ses liens avec la Nouvelle-Calédonie sont profonds : sa femme est Kanak et Félix Tagawa, entraîneur de Hienghène sport, est l’un de ses proches. Un passionné de football océanien qui n’a pas hésité à livrer son analyse sur le choc à venir, malgré l’élimination de ses Toa Aitos par les Cagous, dans le dernier carré.
NC la 1ère : Sous vos ordres, Tahiti a été la dernière sélection à vraiment accrocher les Néo-Zélandais en match international. Quels sont vos souvenirs de cette demi-finale perdue 1-0, en éliminatoires de la zone Océanie pour le Mondial 2022 ?
Samuel Garcia : On perd sur un but à la 76e minute. On savait que la Nouvelle-Zélande mange tout le monde sur son passage dans le Pacifique. On a préparé un plan de jeu avec beaucoup de prudence. Si l’on pense que l’on va pouvoir faire le jeu contre la Nouvelle-Zélande, qu’on va pouvoir les impacter, on se rend compte que par moments cela reste compliqué. Ils ont des joueurs de grande qualité, qui jouent dans des grands championnats en Europe.
Vous aviez proposé un système de jeu assez défensif, à l’époque ?
S.G. : Oui, avec une sentinelle, trois milieux récupérateurs au total, deux excentrés et un attaquant. On l’avait décidé ensemble parce que c’est une décision que tu dois prendre avec tous les joueurs. On voulait un bloc équipe positionné bas sur le terrain. On ne se sentait pas en capacité d’aller développer le jeu plus haut. On voulait être resserré, et par moments, exploiter les meilleures opportunités sur les transitions ou les coups de pied arrêtés.
Cacace, un moteur. Wood, un joueur extraordinaire.
Samuel Garcia, sélectionneur de Tahiti
Lorsqu’on observe les buts de la sélection néo-zélandaise marqués en 2024, on est frappé de voir l’importance de la relation entre le latéral gauche Cacace et le terrible buteur qu’est Chris Wood. Comment contrecarrer ce binôme que vous avez affronté en 2022 ?
S.G. : Cacace, latéral gauche, c’est vraiment un moteur de l’équipe. Il a un super pied gauche. Il n’a pas peur de faire des allers-retours avec une qualité de centre formidable. C’est un garçon qui joue en série A (Empoli), la première division italienne. Tu vois tout de suite la différence. Nous, ce qui nous importait, c’est qu’ils évitent de prendre de la vitesse. On avait décidé de les emmener sur les côtés, mais sans qu’ils ne prennent de la vitesse pour centrer.
Chez eux, ça dédouble beaucoup sur les côtés, et ils apportent le surnombre avec les latéraux. Quand tu procèdes ainsi, parfois, tu peux désorganiser ta défense. Nous, à chaque fois qu’il y avait un décalage sur un côté, on faisait rentrer notre sentinelle dans la ligne des quatre défenseurs. On voulait rester quatre dans la ligne arrière, même si le latéral partait défendre sur le centreur adverse. On avait toujours une couverture.
Reste à maîtriser Chris Wood. Il est grand, rapide, doté d’une belle détente et son timing est excellent. Comment limiter l’influence du 4e meilleur buteur de la Premier league anglaise cette saison, et machine à scorer des All Whites ?
S.G. : C’est un joueur extraordinaire. Tout est axé sur les décalages, les centres pour pouvoir le trouver, lui qui est constamment dans la zone de finition. Sur les coups de pied arrêtés, idem. Ils mettent des systèmes en place où ils bloquent des joueurs pour le libérer. Il faut un mec solide sur lui, qui n’essaye pas forcément d’aller toujours dans les duels.
Il est très fort physiquement. Quand tu essayes de le bouger, tu tapes dans un chêne. Il faut surtout essayer de couper les centres, l’alimentation. On avait beaucoup travaillé sur la maîtrise de soi à l’approche de notre surface de réparation pour éviter d’offrir des coups de pied arrêtés. Ils ont de très bons frappeurs et puis, derrière Wood, il y a d’autres talents.
Ces dernières années, les Néo-Zélandais ont mis le paquet.
Samuel Garcia
En 2012, la Nouvelle-Calédonie fait tomber la Nouvelle-Zélande 2-0 en Coupe des nations d’Océanie, ce qui était un premier exploit. À l’époque, la très grande majorité des joueurs adverses évoluait en Australian league, la première division professionnelle australienne. Treize ans plus tard, la très grande majorité joue en Europe ou aux Etats-Unis. Est-ce qu’un écart très important s’est créé ?
S.G. : La Nouvelle-Zélande, ce sont 70 % de joueurs professionnels aujourd’hui dans le monde entier. Dès qu’on a su que le vainqueur des éliminatoires aurait une place directe pour le Mondial 2026, ils en ont fait une priorité. Ça, c’est une volonté politique. Ils ont ouvert des passerelles, placé des joueurs. Johann Sidaner, le sélectionneur calédonien, le sait très bien. Et moi, je m’en suis aussi rendu compte face aux Cagous vendredi. Dès que tes joueurs évoluent à l’extérieur de leur territoire, ils jouent à un meilleur niveau, régulièrement, et avec beaucoup plus d’intensité. Le climat est quelque chose de très important aussi.
Je suis d’accord avec ce constat : ces dernières années, ils ont mis le paquet pour avoir la meilleure équipe et être les plus performants possibles. Ils n’ont raté aucune fenêtre Fifa, jouant constamment des matchs internationaux. La gestion des émotions, on en parlait. C’est en jouant des matchs internationaux régulièrement que tu te familiarises avec cet environnement-là, et que tu en fais abstraction.
Comment faire pour réduire cet écart ?
S.G. : L’écart est considérable en termes d’expérience. On est plus petits qu’eux, ils ont plus de moyens que nous, mais ils ont surtout pris la décision de s’exporter. La Nouvelle-Calédonie est, elle aussi, un modèle à ce niveau. Il y a de nombreux joueurs qui jouent dans l’Hexagone. Peut-être pas dans les premières divisions, mais d’avoir pris l’initiative de mettre des joueurs là-bas, qu’ils partent s’aguerrir, c’est la meilleure chose. On ne peut pas se comparer à la Nouvelle-Zélande, ses quatre millions d’habitants, ses infrastructures, leur culture du sport, leur précision dans la préparation athlétique, psychologique. Ils ont beaucoup d’avance.
Il ne faut pas trop de tension, surtout pour l’entame de match.
Samuel Garcia
Justement, quelle approche psychologique faut-il avoir contre ces All Whites ?
S.G. : Je pense que si on manque d’humilité contre la Nouvelle-Zélande, comme face aux grandes sélections en Europe, ça peut être compliqué. Je pense que la Nouvelle-Calédonie a des atouts pour les faire déjouer, mais il faudra bien se regrouper, bien défendre ensemble, et faire preuve de constance. Quand les Cagous auront la possession, il faudra faire attention à l’utilisation du premier ballon pour créer des décalages. Ça va se jouer sur des choses comme cela, je pense. C’est une finale contre la Nouvelle-Zélande, il y aura beaucoup de public, et une place qualificative pour le Mondial en jeu. Il faut aussi faire attention à créer un environnement sans trop de tension, surtout pour l’entame de match.
Pourquoi ?
S.G. : Tu peux très vite te désorganiser si tu prends un but dans les 5, 10 premières minutes, comme Fidji vendredi en demi-finale. Quand on les a retrouvés l’année passée en poule des éliminatoires au Mondial 2026, j’ai modifié mon système de jeu, mais je voulais faire la même qu'en 2022. Mon latéral gauche fait une erreur et on prend un but à la 3e minute. Ça ne nous a pas déstabilisés parce qu’on savait comment on voulait les jouer. Le deuxième but n’est intervenu qu’à la 69e minute. Plus tu les emmènes loin, plus ils vont s’énerver. Tu peux les désorganiser, au moins mentalement. En 2022, ils marquent à la 76e minute et ils levaient les bras au ciel, criaient. On voulait les emmener aux penaltys ou en prolongation.
Tout le monde cherche à battre le grand.
Samuel Garcia
Mais l’exploit est possible ?
S.G. : Sur 90, 120 minutes, tout peut se passer. Le football calédonien est un très bon football. Il y a une très belle équipe, un équilibre chez elle, et par moments, les Cagous sont imprévisibles. Parfois, le seigneur touche un peu tes pieds, tu mets un but, tu es solide, et voilà, tout peut arriver. On le voit en coupe de France, et là, en parlant, je pense à Hervé Renard avec l’Arabie Saoudite qui bat l’Argentine de Lionel Messi, 2-1, en phase de poule de la coupe du Monde 2022. Il n’a fait qu’un exploit, mais il l’a fait. Il faut réussir à le faire. Il y a vraiment un beau cadeau au bout de cette finale des éliminatoires Océanie. Ce n’est pas un chantier simple de jouer ici à l’Eden park, contre une équipe performante. Mais c’est le sport. C’est ça, la beauté du sport.
Quelle serait votre réaction en cas de succès des Cagous ?
S.G. : Moi, je serais très heureux. J’ai des affinités avec la Nouvelle-Calédonie, ma femme est une Kanak. J’aime le pays et le football calédonien. J’aime le respect des gens là-bas, les valeurs qu’ils portent et qui me font plaisir. Je serais fier pour eux, et pour le football océanien, d’avoir battu le grand, tout le monde cherche à battre le grand.
Le coach de la Nouvelle-Zélande, Darren Bazeley, est un garçon merveilleux. C’est un ami à moi, qui nous ressemble beaucoup. De l’humilité, des valeurs. Il ne faut pas croire qu’ils n’ont pas de pression sur leurs épaules. Ils gèrent mieux la pression que nous, parce qu’ils ont l’habitude. Mais il y a un gros défi devant eux et ce serait très, très mal vu que la Nouvelle-Zélande ne passe pas demain soir. Il pourrait même y avoir un petit bouleversement.
Un dernier message ?
S.G. : Mon cœur bat vers la Nouvelle-Calédonie. Mais je souhaite voir un beau match de football entre deux équipes qui méritent leur place au regard de leurs parcours. Je félicite les Cagous pour leur qualification en finale et je les encourage à se faire plaisir, à donner le meilleur d’eux-mêmes. Que le meilleur gagne.
Ils ont déjà une place pour les barrages intercontinentaux. Même si ce n’est pas suffisant, ça montre qu’il y a de belles choses qui sont faites et que le football calédonien avance. Il y a les A, les 17 ans, les 20 ans. Ils arrivent à passer par-dessus les problèmes qu’il y a pu avoir dans le pays. C’est quand même quelque chose d’important. J’espère aussi que le fait que les Cagous obtiennent des résultats, ça va permettre d’apporter de la sérénité dans le pays. Le sport, c’est une chose. Mais la vie des peuples va au-delà. Ils donnent un bel exemple d’entente, de fraternité pour que le pays continue à bien se développer.