ANALYSE. Crise en Nouvelle-Calédonie : au moins 2 600 écoliers ne mangent plus dans les cantines du Grand Nouméa

A Dumbéa, comme à Nouméa et au Mont-Dore, les inscriptions à la cantine scolaire se font à la caisse des écoles.
En ce début d’année scolaire, les villes de l’agglomération nouméenne constatent une baisse significative du nombre d’écoliers qui déjeunent à la cantine. À cela, plusieurs explications : les difficultés rencontrées par les familles après les émeutes, la hausse des tarifs, une plus grande sévérité envers les mauvais payeurs ou encore les changements appliqués aux boursiers.

Les quatre villes du Grand Nouméa font le même constat. Depuis la rentrée, comparé à l’an dernier, il y a moins d’enfants qui s’attablent dans les réfectoires des écoles publiques. Qu’ils invoquent seulement le coût, ou aussi le goût, leurs parents préfèrent leur offrir une alternative à la cantine. Ou n'ont carrément pas le choix. Alors, ces élèves rentrent déjeuner à la maison, ils partent chez un proche, ils pique-niquent près de leur établissement ou ils sont pris en charge encore autrement.

On a une baisse significative, de moins 23 %, du nombre d’enfants qui fréquentent nos cantines. 

Olivier Rochard, directeur de la caisse des écoles de Nouméa

Jusqu'à un quart en moins

Est-ce que la baisse va se tasser au fil des mois ?

  • À ce stade, Nouméa enregistre autour de 5 300 demi-pensionnaires, contre environ 6 900 à la rentrée 2024. Environ 1 600 de moins, cela représente une perte de 23 %.

  • Dumbéa, elle, est passée à quelque 2 630 inscrits à la cantine, au lieu de 3 129. La différence est d'environ 500, ça fait dans les 16 % de moins. La deuxième ville du pays identifie aussi un phénomène dans le phénomène : des inscrits ne viennent pas manger, ce n’est donc pas facturé. Selon la caisse des écoles, “on constate un delta d’une centaine d’enfants”. Au final, la baisse atteindrait donc 600 élèves.

  • En début d'année dernière, le Mont-Dore décomptait 2 020 demi-pensionnaires. Puis 1 764 après les émeutes. Et 1 707 à la mi-mars 2025. Bref, au moins 313 écoliers de moins à la cantine, soit un recul de 15 %.

  • Enfin, Païta a recensé 1 702 enfants inscrits à la cantine début 2024. Et un peu plus de 1 500 début 2025. La différence est d’environ 200 : - 11 %.

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Le nombre d’élèves a diminué

Quand on fait le calcul, la différence entre mars 2024 et mars 2025 avoisine les 2 600 enfants qui ne mangent plus à la cantine. Un état de fait que les mairies attribuent à plusieurs facteurs. Première explication, la diminution générale des effectifs. Il y a moins d'élèves dans les établissements scolaires de l’agglomération. Nouméa le vit depuis des années, pour des raisons démographiques et de déplacement de population. Puis, les émeutes ont aggravé le nombre de départs. Résultat, un millier d’écoliers en moins. Dumbéa en a perdu au moins 250. Païta, dans les 130, etc.

Les prix ont changé

Autre raison, la vie chère. Entre les milliers de Calédoniens affectés dans leur emploi et les prix qui ont grimpé, les familles tentent d’économiser sur leurs différents postes de dépense. La garderie et la cantine en font partie, surtout que leurs tarifs ont été augmentés dans plusieurs communes, et que certaines aides sociales ont été supprimées.

Car les collectivités aussi, manquent d’argent depuis les événements de l’an dernier. Davantage de dépenses, moins de recettes et des hausses de coût de revient répercutées par les prestataires. À Nouméa, il faut débourser 150 F de plus par repas : avec un forfait journalier de 1 150 F, l’année de cantine revient à environ 154 000 F. C’est 16 % plus cher. À Dumbéa, cette augmentation pour les non-boursiers est de 20 F par repas, qui est passé à 975 F (130 650 F par an). 

La hausse du prix du repas était nécessaire pour éviter de mettre en péril la caisse des écoles.

Olivier Rochard, caisse des écoles de Nouméa

La part de la province a baissé… 

Il fut un temps, pas si lointain, où la province Sud pratiquait le principe de gratuité pour les repas des écoliers boursiers. Notamment pour tendre à l’égalité des chances et assurer que les élèves les moins favorisés aient au moins un vrai repas par jour. L’intégralité du coût était alors compensée par les institutions. Puis, les parents ont pu être mis à contribution. Et il y a quelques semaines, la Maison bleue a pris plusieurs décisions dans le contexte de crise post-émeutes et de restrictions budgétaires. La participation qu’elle verse aux communes pour permettre ce tarif boursier a été diminuée : 600 F par enfant et par repas, au lieu de 700 F. 

…le repas des boursiers a augmenté

  • Dans la foulée, les grilles communales ont été ajustées. “Pour les boursiers, on était à 100 F par repas, on passe à 250 F. Ça nous a permis de supporter cette baisse de participation”, résume Olivier Rochard à Nouméa. Tarif à l'année, 33 500 F. 
  • Dumbéa, qui avait déjà entériné une petite hausse de 10 F en novembre, a monté le prix du repas pour les boursiers d’encore 100 F (soit 220 F), “la caisse des écoles et la mairie n’ayant pas les ressources financières pour absorber cette baisse”. Tarif à l'année, 29 400 F.
  • Même écho au Mont-Dore : “Quand nous avons appris que la province Sud diminuait sa prise en charge, la prestation est passée de 105 F à 205 F”, détaille Jérôme Frigéni, directeur de la caisse des écoles. “Ces 100 F en plus, on les a répercutés sur les parents, la ville n’ayant pas la capacité à absorber.” Tarif à l'année, 27 470 F.

L’accès à la bourse a été restreint 

Parmi les facteurs expliquant la prise de distance avec la cantine, il y a un autre fait lié aux bourses de la province Sud : des familles qui étaient éligibles, ne le sont plus. Elles ne remplissent pas, par exemple, le critère de vivre dans le Sud depuis dix ans. Or, d’une année à l’autre, le passage d’un tarif boursier à un tarif classique change la donne, pour le porte-monnaie.

“On note 300 élèves boursiers en moins”, relève en tout cas Pierre Mestre, adjoint au maire de Dumbéa et président du conseil d'administration de la caisse des écoles. Mais en observant aussi : ”On a des familles qui étaient boursières l’année dernière, qui ne le sont plus cette année et qui sont quand même inscrites, qui ont réglé leur mois de février normalement. C’est quelque chose qu’on va suivre avec attention. Les familles qu’on voit en difficulté, on n’hésite pas à les diriger vers le CCAS, pour que des aides sociales puissent être mises en place.”

Les impayés sont sanctionnés

Toute une partie des parents qui ont retiré leur progéniture de la demi-pension doivent de l'argent. Vu l'état de leurs finances, les mairies ont en effet accentué la pression sur leurs débiteurs. Plus possible d'inscrire son enfant à la cantine si on a des factures impayées. 

  • C'est la politique assumée depuis plusieurs années par la mairie de Dumbéa. En août 2024, elle a relancé une campagne de résorption des impayés. Ils se montaient alors à 91 millions de francs CFP, pour une période remontant à 2013 ! Désormais, ces dettes de cantine représenteraient 70 millions : une partie conséquente a été remboursée, mais de nouveaux impayés sont apparus ces derniers mois. Ne sont plus acceptés que les enfants dont les parents sont de bons payeurs, résume Pierre Mestre. Qu’ils aient des difficultés, on le conçoit. Mais à ce moment-là, qu’ils se signalent auprès de nous.”

  • Lutte contre les impayés à Nouméa, également, qui annonce cinquante millions de francs encore à recouvrer pour 2024. “Nous avons désinscrit près de 1 300 enfants inscrits en cantine, dès le début de l’année, parce qu’on avait des impayés”, signale le directeur de la caisse des écoles. “Il était nécessaire de remettre l’équilibre budgétaire de la caisse des écoles sur un pied serein.“

On ne peut pas prendre des enfants si on sait que les parents ne paieront pas les factures, parce que ça met en danger notre équilibre budgétaire.

Pierre Mestre, président de la caisse des écoles de Dumbéa

Voyez aussi le reportage de Brigitte Whaap, Claude Lindor et Christian Favennec

©nouvellecaledonie

Nous avons perdu des enfants mais des enfants sont arrivés. L’un dans l’autre, le nombre de demi-pensionnaires ne s’est pas effondré. 

Jérôme Frigéni, directeur de la caisse des écoles au Mont-Dore

Des raisons de relativiser

Elle peut être nuancée, cette défection de la cantine. 

  • Les responsables des caisses des écoles observent que le nombre d'inscrits a baissé, sans pour autant s'effondrer. À Nouméa, les trois-quarts des écoliers fréquentent toujours la cantine (75 %, contre 85 % en 2024). Au Mont-Dore, le taux dépasse aussi 70 %. "On a certes moins d’enfants, pose Jérôme Frigéni, mais quand on fait le ratio, ça se maintient. Il y a des boursiers en moins et des payants en plus." Même modération à Païta, où la mairie craignait une chute plus importantes des effectifs dans les écoles. 

  • La présence d'élèves qui déjeunent à côté de l'école, c'est quelque chose qui se voyait déjà les années précédentes. Il était signalé en 2023 qu'une quinzaine d'enfants mangeait devant La Rizière, l'établissement de La Coulée qui concentre cette pratique au niveau du Mont-Dore. Cela dit, le nombre de "casse-croûteurs" a nettement augmenté dans certains endroits, comme Ducos. Reste à savoir si la préparation des repas s'avère plus économique qu'un repas à la cantine.

  • Le phénomène a déjà existé dans une moindre mesure. Lunch-box et gamelles, les parents s'étaient organisés pour se passer de la demi-pension, quand il y a eu la crise de la restauration scolaire, en 2018 : une série de suspicions d'intoxication alimentaire dans des écoles de l'agglomération. Le service avait même été suspendu