Nations unies : cinq opinions sur la Calédonie, données à la Quatrième commission

A la tribune, Naïa Wateou, Magalie Tingal-Leme, Karyl Trenyima, Amandine Darras et Roch Wamytan.
La commission de l’ONU qui suit les questions de décolonisation a entendu cinq intervenants calédoniens d’affilée, dans l’après-midi du 5 octobre heure de New York, soit vendredi matin pour Nouméa. Cinq plaidoyer vibrants et tout à fait différents, prononcés par trois indépendantistes et deux partisans du maintien dans la France.

Succession d’intervenants calédoniens, devant la Quatrième commission des Nations unies. Après Mickaël Forrest et Veylma Falaeo, cinq pétitionnaires ont donné de la voix jeudi après-midi aux Nations unies, c’est-à-dire vendredi matin heure de Nouméa. Autant que possible, en tout cas. Deux intervenantes ont eu le micro coupé parce qu’elles dépassaient le temps imparti. Ces interventions ont eu lieu alors qu'une nouvelle phase de négociations pour l'avenir institutionnel est attendue, avec le retour du ministre Gérald Darmanin à Nouméa fin octobre.

1Ce que Naïa Wateou "n’accepte plus"

Naïa Wateou ouvre le ban. L’élue du groupe Loyalistes au Congrès déclare porter “la voix des formations politique non indépendantistes. De cette majorité de Calédoniens qui s’est exprimée pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française. Des 40 000 citoyens privés du droit de vote. Et aujourd’hui, de ces 20 000 Calédoniens qui ont quitté le territoire faute de pouvoir y bâtir un avenir serein”.

“Depuis maintenant trente ans, et dans une volonté de construction d'un avenir commun (…), c'est au prix de la paix et au nom d'une parole donnée que nous acceptions. Mais après trois référendums qui confirment la volonté de la majorité des Calédoniens d’avoir un statut au sein de la République française, insiste-t-elle, nous n’acceptons plus qu’une partie de la population n’ait pas le droit de s’exprimer (…). Qu’un électeur du Sud pèse moins qu’un électeur du Nord ou des Îles. Que nos institutions ne soient pas représentatives de l’expression démocratique.” Référence à la clé de répartition.

A ses yeux, "les Calédoniens se sont exprimés et ils ont rejeté le projet d’indépendance porté par le FLNKS. Ils demandent un nouveau statut, un nouveau modèle de gouvernance, qui ne vient pas imposer un droit sur un autre, une ethnie sur une autre."

Naïa Wateou évoque le document martyr posé sur la table. "Ce n'est pas le projet de l'Etat. Ce n'est pas le projet des non indépendantistes. Et ce n'est pas le projet des indépendantistes. Il a pour vocation d'être discuté, amendé et complété. Et cet exercice ne peut se faire qu'à trois."

2 La charge d’Amandine Darras

Au tour d’Amandine Darras. "Durant la période référendaire, les Calédoniens espéraient que nos responsables politiques et les représentants de l’Etat français nous conduiraient vers une sortie apaisée de l’Accord de Nouméa", enchaîne l’élue FLNKS à la province Sud. "Nous n’aurions jamais imaginé devoir faire face aux nombreuses turpitudes et à l’arrogance impérialiste de l’Etat français et de ses représentants qui auront volé le troisième référendum aux Calédoniens."

Et de rester sur le même ton. "L’Etat n’a eu de cesse de manœuvrer politiquement pour ouvrir unilatéralement le corps électoral aux nouveaux arrivants, afin de s’assurer de l’expansion démographique de sa colonie de peuplement, du maintien au pouvoir de ses représentants, et de l’ancrage des paradigmes de l’économie de comptoir."

"En 1998, formule Amandine Darras, 72 % des citoyens calédoniens pensaient que la reconnaissance de l’autonomie politique de la Nouvelle-Calédonie et le principe de souveraineté partagée inscrits dans l’Accord de Nouméa permettraient de régler la fracture sociale et le contentieux colonial. Nous avons tous été trompés."

Exemple ? "Les dispositions d’ordre statutaire et normatives organisant l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie sont restées ambiguës et imbriquées dans une Constitution française lui conférant un statut sui generis et une organisation provisoire figée. Cette situation aura compliqué l’exercice du pouvoir et n’aura pas permis d’atteindre les objectifs d’émancipation politique, économique, sociale et culturelle fixés par les partenaires".

3Magalie Tingal-Leme invoque la Cour de justice

Elle est la représentante du FLNKS auprès des instances des Nations unies. "La colonisation est un crime contre l’Humanité et de barbarie, disait Emmanuel Macron en 2017 en Algérie. Cette phrase a été accueillie avec beaucoup d’espoir par le peuple colonisé de Nouvelle-Calédonie", raconte Magalie Tingal-Leme. "Nos espoirs ont été progressivement anéantis, à mesure que ce gouvernement français a méthodiquement piétiné l’Accord de Nouméa. Comme en forçant le maintien du troisième référendum en 2021."

"Le peuple colonisé considère que cet acte est un sabotage délibéré de notre cheminement vers l’indépendance", dit-elle, avant de pointer le passage d’Emmanuel Macron en juillet. "Au terme d’une visite largement théâtralisée, son discours public (…) a consisté à nier les quarante dernières années d’histoire de décolonisation en terre kanak. Il manifestait clairement une volonté de retour en arrière. »
Pour Magalie Tingal-Leme, "en ignorant la légitimité indépendantiste qui s’exprime dans les urnes, la France pratique une recolonisation qui ne dit pas son nom. C’est pourquoi (…) le FLNKS réaffirme son intention de saisir la Cour internationale de justice et nous appelons humblement à votre vote du projet de résolution pour que justice soit rendue."

4La décolonisation, "ça ne parle pas" à Karyl Trenyima

"La colonisation, ce n'est pas ma réalité." Karyl Trenyiwa, originaire d’Ouvéa, s’exprime “en tant que jeune Kanak non indépendantiste très tôt engagé pour une Nouvelle-Calédonie dans la France". Il explique être venu "réaffirmer que le troisième référendum a fait l’objet de consignes de vote pour le boycott". "Dire que des concitoyens du Sud, du Nord, et des îles ont subi des pressions pour ne pas aller voter. Je suis là pour vous dire que les contestations qui ont été faites ont comme unique vocation de ne pas reconnaître l'expression des Calédoniens, et de gagner du temps."

"Mon île est confrontée à des réalités qui nous concernent tous, continue-il. Notre réalité, c'est d'observer chaque jour l'eau qui ronge petit à petit nos champs, mange nos cimetières et emporte nos mémoires. Dans ces préoccupations qui sont pour nous quotidiennes, le partenaire à notre côté est l'Etat français."

"Mon présent et mon futur, lance Karyl Trenyiwa, c'est l'espoir de ce nouveau statut qui est sur le point de s'écrire et qui devra prendre en compte toutes les spécificités de la Nouvelle-Calédonie. C'est de mettre toutes les chances du coté de la jeunesse afin de construire en paix une société inclusive qui laisse une place à chacun. C'est de ne plus vivre dans une incertitude qui nous empêche de s'implanter, de créer et de se projeter."

5Roch Wamytan évoque la médiation

"Depuis le référendum du 12 décembre 2021, considéré comme illégitime par le FLNKS, la puissance de tutelle en Calédonie continue de prendre fait et cause pour le camp non indépendantiste", répète le président indépendantiste du Congrès. "Malgré ces décisions partisanes et injustes, le FLNKS a accepté de revenir à la table du dialogue avec la puissance administrante, dans l'espoir de mener le processus de décolonisation et d'émancipation à son terme, déclare Roch Wamytan. Après une douzaine de réunions en bilatéral, l'Etat a proposé un projet d'accord global qualifié de document martyr. Nous considérons ce document à ce stade comme irrecevable. Il n'est en effet que l'illustration (…) d'un néocolonialisme triomphant’."

"Le fil conducteur est celui donné par le président Macron à Nouméa en juillet : la Nouvelle-Calédonie restera française parce que les Calédoniens l'ont choisi. C'est ce que nous contestons jusqu'au niveau de la Cour internationale de La Haye", réagit le chef de file de la délégation indépendantiste dans les discussions à Paris.

"Hélas, au nom des intérêts supérieurs de la Nation, le gouvernement a opté pour un choix partisan, partial, risquant de fermer définitivement la voie à la décolonisation et l'émancipation, renvoyant l'exercice du droit à l'autodétermination et l'indépendance aux calendes grecques, pose-t-il. Le FLNKS se dit prêt à poursuivre les discussions en bilatéral. Mais pas dans les conditions actuelles de partialité et de déni de la revendication indépendantiste. Persister dans cette posture nous obligera à envisager une médiation des Nations unies pour préserver la paix, dans notre pays et dans notre région."

La synthèse vidéo de Charlotte Mannevy :

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