Avenir institutionnel : NC la 1ère dévoile le projet d'accord proposé par l'Etat dans le document "martyr"

Les deux drapeaux levés à La Conception, 17 juillet 2020.
Ce n'est pas un projet d’accord à prendre en tant que tel, puisque le document se veut un support aux échanges entre partenaires. D'où son nom de "martyr". Mais les propositions avancées par l'Etat aux délégations indépendantiste et non indépendantiste, pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, donnent le ton des positions campées et des consensus à trouver. NC la 1ère l’a décrypté.

Il apparaît comme un socle pour le travail à mener désormais. Lors de la séquence politique de début septembre, à Paris, le gouvernement français transmettait aux délégations - indépendantiste et non indépendantiste - un projet ébauché par l'Etat pour la Nouvelle-Calédonie. Il prend la forme d'un document "martyr", c’est-à-dire pensé comme quelque chose de provisoire. Un texte remis pour avis, corrections et réactions. Dans une interview au quotidien Le Monde, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, en livrait quelques grandes lignes. NC la 1ère a pu consulter le fameux document, confidentiel, dans sa version datée du vendredi 8 septembre. Que propose-t-il ? Réponses.

La lecture historique

D’abord, camper le contexte des trente-cinq dernières années. Sont évoqués les accords de 1988, qui “ont concrétisé la volonté des habitants de Nouvelle-Calédonie de tourner la page de la violence et de la division pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité“. Puis place à l’Accord de Nouméa paraphé en 1998. Il a, lit-on, “ouvert une nouvelle étape, marquée par la pleine reconnaissance de l’identité kanak, préalable à la refondation d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de l’émancipation et de l’affirmation d’un destin commun.”

Une place "au sein de la République"

Paris entend prendre en compte le résultat des trois consultations référendaires - même si le dernier est contesté par les indépendantistes. Ce qui se traduit dans le document par ces mots : “Le peuple calédonien a manifesté sa volonté que la Nouvelle-Calédonie demeure dans la France. La solution temporaire mise en place en 1998 doit donc être refondée, pour conforter durablement les institutions du territoire et sa place au sein de la République.” L'Accord de Nouméa ne disparaît pas d'un claquement de doigt, loin de là. 

Pacte de Nouméa, le retour

Dans cette introduction, il est fait écho au discours d'Emmanuel Macron place des Cocotiers : "Cette nouvelle étape nécessite de conjuguer, par un projet ambitieux le chemin du pardon et celui de l’avenir, qui seuls permettront de garantir l’unité et la réconciliation pour la Nouvelle-Calédonie, dans la République et dans le Pacifique. C’est le pacte de Nouméa proposé par le président de la République le 26 juillet 2023, dans la continuité des précédents accords."

Un titre "réécrit" dans la Constitution

En termes de statut, la Calédonie garderait un titre en soi dans la Constitution française. Mais "réécrit, afin d’ancrer durablement dans notre droit les institutions, les principes ou les règles" qui lui sont spécifiques. Comme "la reconnaissance d’une citoyenneté calédonienne incluse dans la citoyenneté française". Une loi organique "déterminera l’organisation et le fonctionnement des institutions", avance le document. "Elle confirmera la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de la Nouvelle-Calédonie (…). Dans le champ de compétence de l’Etat, le droit national sera d’application directe, sous réserve des adaptations nécessaires à la prise en compte des spécificité locales."

Vers un "code de la citoyenneté"

Cette citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie "sera confortée", est-il proposé, "traduisant la communauté de destin des femmes et des hommes qui y vivent durablement". Elle pourrait être mise en œuvre dans le cadre d’un "code de la citoyenneté", défini par le Congrès. Une citoyenneté qui "fonde" aussi bien les restrictions du corps électoral pour les élections aux institutions calédoniennes que l’exercice du droit à l’autodétermination, ou l'accès à l’emploi local.

Le vote aux provinciales pour les natifs résidents ou les habitants depuis dix ans

C'est la proposition mise sur la table pour le fameux corps électoral, l'un des dossiers politiques les plus sensibles du pays, même si les positions ont semblé s'assouplir. Pour les assemblées de provinces et le Congrès, il serait "restreint aux électeurs inscrits sur la liste électorale générale qui, nés en Nouvelle-Calédonie, y résident à la date de l’élection, ou qui remplissent une condition de domicile de dix ans à la même date." Dix ans, une durée évoquée avec les indépendantistes. Les non indépendantistes ont proposé des temps de résidence plus courts. Précision, "les règles relatives à la domiciliation sont définies par la loi organique, dans le respect du principe d’un corps électoral glissant".

Le droit à l'autodétermination repoussé à au moins deux générations

Le document n'envisage pas de nouveau scrutin d'autodétermination "avant deux générations, à compter du prochain accord". Comme Gérald Darmanin l'a signalé, il n'est pas mentionné de date précise ou de durée. Le vote serait ouvert aux personnes inscrites sur la LESC, la Liste électorale spéciale pour la consultation. Quant aux conditions pour le déclencher, deux options sont évoquées.

  • Option 1. Au bout de cette période, plus de question binaire."Un bilan de l’émancipation de la Nouvelle-Calédonie est rédigé. Sur la base de ce bilan, les membres du Congrès pourront convenir à la majorité des deux-tiers d’un nouveau projet de statut pour la Nouvelle-Calédonie, y compris sur la nature de ses relations avec la France." Il serait proposé à l’Etat. "Si celui-ci s’oppose au projet, il appartiendra à la mandature suivante du Congrès de confirmer ou d’infirmer le projet initial."
  • Option 2. Après deux générations, "si le Congrès adopte à la majorité des deux-tiers un nouveau projet de statut pour la Nouvelle-Calédonie, ce dernier sera soumis au vote si 50 % du corps électoral référendaire en fait la demande." Revoilà la notion de droit de pétition.

Un Congrès à 35 élus et un président sur tout le mandat

En attendant, le document abondé par l'Etat évoque ce que pourraient devenir les institutions calédoniennes, cibles de nombreuses critiques politiques. Elles "seront confortées et modernisées, suggère-t-il, dans le respect des équilibres nécessaires à la représentation équitable de l’ensemble des composantes de sa population". Ajusté, le rôle attribué au Congrès, recentré sur son rôle législatif. Revu, son fonctionnement. L'hémicycle du boulevard Vauban compterait, non plus 54 conseillers, mais 35, avec un léger fléchissement dans la répartition : quatre élus pour les Loyauté, neuf pour le Nord et vingt-deux pour le Sud. L'idée serait par ailleurs de ne plus élire son président chaque année, mais pour tout le mandat. 

Un président du gouvernement élu par le Congrès

Le président du gouvernement serait désigné par le Congrès. Il soumettrait au vote des conseillers la composition de son gouvernement, "dans le respect de la répartition proportionnelle des sièges aux différent groupes politiques". Un exécutif qui garderait le principe de collégialité.

Pour les provinces, "confortées comme institutions de proximité et de mise en œuvre des politiques publiques", le chapitre qui les concerne parle d'en maintenir le nombre d'élus et les attributions. Reste à mieux répartir les compétences avec la Nouvelle-Calédonie.

Les municipalités continueraient à obéir "au droit commun des communes françaises". Cela dit, "les partenaires s’accordent sur la nécessité de conforter l’échelon communal, et de lui garantir une libre administration et une autonomie financière". 

Ajustements sur les transferts de compétence

Il est question d'un "comité de suivi de la législation", qui pourrait proposer au Congrès, dans le champ des compétences déjà transférées à la Calédonie, "des mesures de convergence ou de bonne articulation de la législation locale avec la législation nationale".

Concernant les compétences mentionnées dans l'Accord de Nouméa qui n'ont pas encore été transférées, la possibilité resterait, de le faire, "dans les conditions prévues par le droit en vigueur". On pense à l'article 23 avec l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier. Ou l'article 27 avec l’organisation administrative locale, la communication audiovisuelle et l’enseignement supérieur.

Le document évoque de possibles échanges inverses. "En cas de carence constatée de la mise en œuvre de la compétence de la Nouvelle-Calédonie en matière de sécurité civile (…), cette compétence sera transférée à l’Etat." Même chose pour le droit civil "en l’absence d’intégration de la Nouvelle-Calédonie au répertoire national d’identification des personnes physiques dans un délai de 18 mois à compter de la signature" de l'accord. 

Et puis il est proposé d'ajuster "l’exercice de la compétence partagée en matière de relations extérieures". 

Toujours Cadres avenir et les contrats de développement

Le projet d'accord évoque le maintien du dispositif Cadres avenir. Il avance que "la Nouvelle-Calédonie bénéficiera de l’aide de l’Etat en termes d’assistance technique et de formation". Mais aussi de son soutien en matière d'investissement, "notamment à travers les contrats de développement". Attention, la Calédonie verrait "ses obligations d’équilibre budgétaire renforcées"

Une situation financière à apurer

Pour asseoir un tel accord politique, il est envisagé un plan global de règlement des difficultés financières que traverse le Caillou. Il serait "mis en œuvre en 2024 par les institutions locales et nationales concernées, chacune dans son champ de compétence". Il est mentionné la création "d’une caisse d’amortissement de la dette sociale accumulée par la Cafat", et la mise en place d’une taxe affectée pour en assurer le remboursement. Et en outre, l'"apurement de l’ensemble des dettes croisées des institutions locales, dans le cadre d’un plan défini par la direction des finances publiques". Est aussi citée l'augmentation d’un point du taux de CSS (Contribution sociale de solidarité) et de la TGC (taxe générale sur la consommation).

Entre rééquilibrage et répartition corrigée

Le texte soumis à avis et corrections stipule que "la politique de rééquilibrage demeurera structurante dans la mise en œuvre des politiques publiques". Cela dit, il avance aussi que "la clé de répartition financière entre les provinces sera progressivement corrigée, dans un délai de cinq ans au plus, des évolutions démographiques intervenues, afin de retrouver la répartition prévue [en] 1988." Une clé de répartition qui ne cesse d'être dénoncée dans le camp non indépendantiste et par l'exécutif provincial Sud. 

L'espoir d'une consultation sur l'accord courant 2024

La prochaine étape de négociation est programmée fin octobre, cette fois en Calédonie où doit revenir Gérald Darmanin. Est-il possible d'aboutir à un accord d'ici la fin de l'année ? Les délais espérés apparaissent optimistes autant que serrés. Le gouvernement central, est-il posé, "engagera la préparation des textes nécessaires à la mise en œuvre de l’accord, notamment du projet de loi de révision constitutionnelle en vue de l’adoption au Parlement". L'accord en question serait "soumis à la validation des populations intéressées par une consultation organisé durant l’année 2024". Quid des prochaines provinciales ? Proposition : "Des élections aux assemblées de province et au Congrès auront lieu dans les six mois suivant l’adoption des textes relatifs à l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie."

Le degré d'autonomie estimé au fur et à mesure

Ce document "martyr" parle d'un bilan de l'émancipation calédonienne qui pourrait être rédigé à la fin de chaque mandat du Congrès. En particulier pour mesurer le degré d’autonomie atteint par la Calédonie dans la prise en charge des compétences dont elle bénéficie. Quant au suivi de ce futur accord, et de sa mise en œuvre, il pourrait être confié à une "délégation spéciale, désignée par le Congrès, dans le respect de la proportionnalité des groupes politiques le composant".