Soixante-dix porcs, transportés sur une barge depuis le Mont-Dore, jusqu’à Nouméa. “Une situation exceptionnelle, jamais vue en vingt ans d’exercice”, raconte Adeline Crétin, directrice par intérim de l’Office de commercialisation et d’entreposage frigorifique (OCEF). C’est pourtant devenu une réalité, en Nouvelle-Calédonie. Tous les quinze jours, les bêtes de Sylvie Birot Di Folco, élevées à Mouirange au Mont-Dore prennent la route, puis la mer puis encore la route, pour atteindre l’abattoir de l’OCEF, situé à Païta.
"J'ai dû donner plus de cinquante porcs de plus de 100 Kg"
“Pour le moment, ils sont venus chercher soixante-dix porcs, fin juin et ce sera comme ça tous les quinze jours. Habituellement, j’en envoie quarante-trois par semaine, donc c’est beaucoup moins”, regrette l’éleveuse. Elle a repris en 2019 l’exploitation familiale, installée depuis 1978 à Mouirange, sur la commune du Mont-Dore. Sylvie exerce aux côtés de sa soeur et trois autres personnes sur site, avec 1 000 porcs recensés sur l’exploitation, à l’année.
Et si elle se réjouit que les activités de l’OCEF aient repris, l’agricultrice a vécu, tout comme les autres producteurs et l’ensemble des Calédoniens, des situations exceptionnelles pendant la crise.
J’ai dû donner plus de cinquante porcs de plus de 100 Kg, aux habitants des alentours.
Sylvie Birot Di Folco, agricultrice
“Je les ai donnés aux gens parce qu'au mois de mai, c’était très compliqué d’avoir les aliments pour les nourrir. Donc j’étais obligée de rationner les animaux au maximum. Il n’y avait pas de chargement de l’OCEF, donc j’en ai donné une cinquantaine. J’ai aussi perdu des truies, qui ont été trop rationnées”, poursuit l’agricultrice. Une perte qu’elle estime à plus de 3 250 000 francs CFP.
Charges supplémentaires de transport
Aux pertes d’animaux, s’ajoutent les charges supplémentaires de transport, “avec les barges et le transport routier d’un côté et de l’autre, ça double les factures. Et le prix du porc étant géré par le gouvernement, on ne peut pas répercuter ces frais sur le prix de la viande”, souligne l’éleveuse. Un coût du transport, qui augmente de 12 à 13 francs supplémentaires au Kg, le prix des aliments qu’elle donne à ses animaux.
Le temps de trajet pour les bêtes, a lui aussi été rallongé : avec trois quarts d’heure en temps normal entre Mouirange et l’abattoir de Païta, contre près de trois heures par la mer avec les barges, puis par la terre pour atteindre Païta. “Les animaux stressent plus, donc c’est compliqué”, poursuit l’agricultrice.
Avec le retard accumulé en raison de la fermeture des abattoirs, la professionnelle estime que la viande de porc sera présente en trop grande quantité sur le territoire, pendant les six mois à venir. “On avait déjà mis les truies en reproduction. Elles ont 115 jours de gestation. Les opérations ont été faites avant le mois de mai, donc elle vont mettre bas au mois d’août voire septembre. C’était en prévision des abattages qui devaient être normaux, jusqu’à la fin de l’année. Il y en a encore pour cinq à six mois, à avoir trop de cochons à l’OCEF”.
L'éleveuse n’a pas mis ses trois employés au chômage partiel, mais a effectué une demande d’aide auprès de l’Etat. “Là, actuellement, on travaille pour survivre. Travailler dans ces conditions, ce n’est pas l’idéal”, déplore Sylvie Birot Di Folco.
“On a réussi à abattre dans des petits abattoirs privés, sur des propriétés”
Eux aussi, se sont retrouvés en difficulté. Les éleveurs bovins ont dû redoubler d’inventivité pour tenter de revendre leur production. “On a réussi à livrer quelques boucheries à Nouméa avec une barge, partie de Boulouparis. On a réussi à abattre dans des petits abattoirs privés sur des propriétés, puis charger dans un camion de l’OCEF et mettre le tout sur une barge emmenée jusqu’à Nouméa, pour que les gens aient un peu de viande”, raconte Guy Monvoisin, président de l’association interprofessionnelle viande de Nouvelle-Calédonie (IVNC).
Il est éleveur bovin à Pouembout et emploie deux personnes. “Moi, j’avais des animaux inscrits [à l’abattage] au mois de mai. Ils n’ont pas pu être tués. Avec l’OCEF, on s’est remis d’accord sur un programme d’abattage au mois de juillet. En attendant, on a continué de s’en occuper. On peut se permettre une certaine résilience, parce que ce sont des animaux qui mangent de l’herbe et qui sont dans les pâturages”, poursuit l’éleveur.
Mais de nombreux autres élevages ont dû faire face à des problèmes de trésorerie. “Pour les élevages de porcs ça a été une catastrophe. Parce qu’il y a un turn-over qui est très rapide. Le cochon, quand il a quelques mois, il a un poids défini et il faut qu’il parte, parce que sinon il coûte de l’argent. Et puis, il faut le nourrir avec des granulés, qui étaient difficiles à trouver en cette période”, assure Guy Monvoisin.
Trop grande quantité de viande et baisse de 30% des ventes
Aujourd’hui, l’activité a repris, dans les deux abattoirs de l’Office de commercialisation et d’entreposage frigorifique situés à Bourail et à Païta. Et il faut désormais rattraper un retard conséquent. “Notre activité d’abattage a été réduite de deux tiers sur les mois de mai et de juin, du fait de l’incapacité d’accéder aux abattoirs pour le personnel et l’incapacité d’accéder aux élevages pour aller chercher les animaux. On a pris du retard. On est actuellement à un niveau d’activité plus important que ce qu’on fait habituellement”, explique Adeline Crétin, directrice par intérim de l’OCEF.
Difficile de réguler le marché et de rattraper le retard accumulé. L’arrêt des opérations d’abattage a entraîné un surplus de quantité de viande. La vente est en baisse de 30% selon l’OCEF. Et la production, elle, ne s’est pas arrêtée.
On estime qu’on va avoir près de 1 500 tonnes de carcasses à découper, d’ici la fin de l’année.
Adeline Crétin, directrice par intérim de l'OCEF
Une équipe complémentaire temporaire de douze personnes a été embauchée en juillet sur l’abattoir de Bourail, “pour découper ces carcasses, les mettre sous vide et pouvoir ensuite les congeler et les conserver”, détaille la directrice par intérim de l’OCEF. En 2023, la production annuelle de viande était de 5 000 tonnes sur le territoire.
Les calendriers d’abattage sont toujours en cours d’ajustement et le retour à la normale pourrait se faire à la fin de l'année, si la situation reste telle quelle.
Des saisonniers embauchés pour la récolte de pommes de terre
D’autres professionnels devraient recruter dans les mois à venir, en cette période difficile : les producteurs de pommes de terre. La saison de récolte doit débuter en septembre. Des saisonniers seront recrutés, tant sur les exploitations qu’à l’OCEF, avec deux équipes dédiées à la Foa et Bourail pour les trier. Les semences ont, elles aussi, été transportées par barges jusqu’à Bourail pendant la crise.
Une enquête lancée par la chambre d'agriculture et de la pêche
La chambre d’agriculture et de la pêche de Nouvelle-Calédonie, a de son côté lancé une enquête, pour estimer l’impact économique et financier de la situation actuelle sur l’activité professionnelle des agriculteurs et des pêcheurs. Ses résultats révèlent que trois agriculteurs sur dix pensent devoir arrêter leur activité, "pour des raisons économiques essentiellement", explique Jean-Christophe Niautou, président de la Chambre de l'agriculture et de la pêche de Nouvelle-Calédonie.
Un secteur fortement touché par la crise, qui tente aussi de se réinventer et d'écouler sa production sur des marchés, pour profiter de la proximité avec la clientèle.