C'est une lettre de signalement qui officialise la perte de deux objets kanak. En mars 1983 le directeur et conservateur du Musée néo-calédonien, Luc Chevalier, en poste depuis 1947, écrit au secrétaire général du territoire.
J'ai l'honneur de vous rendre compte que durant la période 1963-1966, une partie des collections ethnographiques du musée était exposée en complément des collections du Laboratoire d'ethnologie de l'Institut français d'Océanie. Au cours de cette période, nous avons malheureusement dû constater la disparition de deux objets des collections du musée, à savoir un masque de Houaïlou et un oreiller de bois.
Luc Chevalier, conservateur du Musée Néo-Calédonien
"Dans les année 60-66 il y avait un centre de recherche d’ethnologie à l'Institut français d'Océanie (IFO, devenu ORSTOM en 1964, l'actuel IRD), explique Marianne Tissandier, responsable des collections du Musée de Nouvelle Calédonie. Jean Guiart, anthropologue, y participait : "il a fait énormément de collectes de sculptures sur le territoire, qui ont ensuite été reversées dans nos fonds. Dans ces années, des objets du musée ont été prêtés pour une exposition."
Deux décennies plus tard, cette lettre de Luc Chevalier annonce la perte de deux spécimens. "C'est au moment où un de ces deux objets, l'oreiller de bois, est utilisé par l'OPT pour illustrer des timbres. Est-ce à ce moment que le conservateur se renseigne auprès de l'ORSTOM et se rend compte qu'ils ont disparu ? C'est tout à fait possible."
De nos jours, au niveau du Musée de la Nouvelle-Calédonie et de la gestion des objets on est beaucoup plus méticuleux : on a des conventions de prêt, on vérifie régulièrement les objets, c'est très carré.
Marianne Tissandier, responsable des collections du Musée de Nouvelle Calédonie
Masque de Houaïlou et oreiller de bois
Le masque de Houaïlou est une figure de masque de deuilleur. "On en a une photo, parce que des chercheurs sont passés et ont publié ces pièces au fur et à mesure des années. On a d'autres exemplaires dans les collections du musée, mais celle-là, on ne l'a jamais retrouvée."
""Oreiller de bois", c'est la terminologie qui figurait sur les timbres de l'OPT qui ont été faits avec cette image. Il a été publié en 1900, 1911 et 1960. Pourquoi oreiller de bois ? Parce que d'un point de vue ethnologique ils ne savaient pas à quoi servait l'objet. Mais d'après Emmanuel Kasarhérou et Roger Boulay, qui ont beaucoup travaillé sur la culture kanak, on sait maintenant, de manière presque certaine, que c'est une figurine funéraire, rapporte Marianne Tissandier. On en a quelques exemplaires dans la collection du musée. Ces objets -à priori- servaient à apaiser l'esprit des femmes mortes en couche, pour ne pas qu'elles reviennent se remettre en contact avec leur bébé, qui était lui toujours vivant."
Collection(s) privée(s) ?
Mais où sont passées ces pièces uniques ? Difficile à dire. Ont-elles quitté le territoire ? "À l'époque, même au niveau des douanes, ça n'était pas aussi strict que ça peut l'être de nos jours. Est-ce qu'un visiteur, ou un chercheur les a mises dans un sac et est parti avec ? Elles sont probablement dans une collection privée. Peut-être encore sur le Caillou, bien planquées quelque part... Malheureusement on ne le saura jamais."
Marianne Tissandier ne les a jamais vues réapparaître. Elle vérifie pourtant tous les catalogues de ventes aux enchères dans lesquelles se trouvent des objets océaniens, et en particulier kanak.
"Pour la petite histoire, une copie de la figurine funéraire a été faite dans les années 80 par Louis Pomina, d'après une photo. Ce sculpteur a beaucoup travaillé du côté de Bourail : il a transmis son art aux gens. Et cette copie se trouve au Musée de La Neylière dans l'Hexagone."
Si l'heureux possesseur de ces objets perdus nous lit, "il peut toujours les donner au Musée de Nouvelle-Calédonie, car ils sont uniques. Nous acceptons tous les dons, ça serait avec grand plaisir", sourit Marianne Tissandier.