La Chine a dépensé pour 3 milliards de dollars (300 milliards de francs) en aides et prêts dans le Pacifique depuis 2008. Des financements à la construction d’hôpitaux, de ports, d’aéroports, de routes, et autres équipements publics… De quoi inciter les nations insulaires à signer des accords avec cette République Populaire de Chine qui prône l’égalité entre les peuples et vante « une coopération mutuellement bénéfique », selon les termes de Wang Yi, ministre des affaires étrangère de la RPC, mai 2022.
Le "soft power" à la chinoise
L’Océanie représente 0,1 % de la population mondiale mais aussi 40 % de l’espace maritime et ce sont bien ses richesses sous-marines mais aussi terrestres que convoite la Chine. D’autre part, le Pacifique représente 7 % des voix à l’ONU…
Pour les chercheurs de l’Inserm (Institut de recherche stratégique de l'École militaire), « la Chine séduit et subjugue, puis infiltre et contraint ».
Car le « soft power » déroulé tout au long de ces « Nouvelles Routes de la Soie », imaginées par le premier ministre Xi Jing Ping obéit à des règles économiques bien particulières :
- Des prêts remboursables plutôt que des aides directes.
- Un système opaque en dehors des radars du FMI ou Banque Mondiale (50% des prêts non déclarés selon une étude du Kiel Institutes).
- Un système d’économie circulaire où l’argent ne quitte pas le pays (banques chinoises, entreprises chinoises, matériaux chinois, ouvriers chinois)
- Conditions selon des clauses de confidentialités souvent politiques (non-reconnaissance de Taïwan, vote à l’ONU en faveur de la Chine, récupération des biens en cas d’insolvabilité des états…)
- Soutien des organisations régionales à coup de financements divers (Forum des Iles du Pacifique, groupe Mélanésien du Fer de Lance)
À l’occasion d’une présentation à l’université de Polynésie française, intitulée "Stratégie géo- économique chinoise auprès des appareils d'état océaniens", Klaus-Gerd Giesen, politologue, enseignant à l’université de Clermont-Ferrand, analysait cette stratégie de prêts bilatéraux tous azimuts.
Bien plus que du soft power, il s’agit de puissants moyens pour forcer les élites locales à s’aligner sur les desiderata de Pékin, y compris en matière géopolitique, voire militaro-stratégique.
Klaus-Gerd Giesen, politologue, enseignant à l’université de Clermont -Ferrand
La Papouasie, exemple emblématique...
Dans le Pacifique Sud, nombreux sont les états insulaires en demande de financements de projets de tous ordres, à même d’entrer dans les critères du soft power chinois.
En Papouasie Nouvelle-Guinée, le Ramu Project Nickel a englouti entre 1,4 et 2 milliards de dollars d’investissement. Il est détenu en majorité par la China Metallurgical Corporation.
Parallèlement, une zone industrialo-portuaire a été financée par la China’s Exim Bank. Sans compter, à Port-Moresby : des bâtiments publics, un stade, un centre des congrès, un palais des sports… Et un "boulevard de l’Indépendance" de deux fois trois voies, au cœur de la capitale !
Constat dressé par le Lowy institute australien : « La Papouasie, satellite historique de l’Australie, est passée rapidement sous la coupe des emprunts chinois ». En 2019, la dette papoue s’élevait alors aux environs de 7 milliards de dollars (700 milliards de francs pacifique).
Mais aussi ailleurs dans le Pacifique
Ailleurs, aux Samoa, aux Tonga, la soutenabilité de la dette, pose problème. Elle atteint, pour les seuls emprunts chinois, 50 % du produit intérieur brut.
Aux Iles Salomon, le taux d’endettement a doublé en 5 ans. Toutes les infrastructures destinées aux Jeux du Pacifique ont été financées par Pékin. Une entreprise chinoise souhaitait même y louer pour un bail de 75 ans reconductible, l’île de Tulagi pour y construire un port, un aéroport et un terminal pétrolier ainsi que des infrastructures civiles et militaires.
Enfin au Vanuatu, un partenaire de longue date, un centre de conférence, l’extension de la piste de l’aéroport Bauer, de nouveaux avions, un port à Luganville, des routes et un complexe cinq étoiles à Tanna… Assez pour creuser une dette conséquente : 220 millions de dollars (21,7 milliards de francs).
La CCECC, une société chinoise qui a multiplié les contrats, a été surnommée par les Ni-Vanuatu "China-China-Everywhere-China-China" (la Chine, la Chine, partout…)
Un pas en arrière
Devenue en moins de 20 ans omniprésente dans le Pacifique Sud (Kiribati, Samoa, Cook, Fidji, Tonga, Vanuatu, Cook, Iles Salomon, Papouasie Nouvelle-Guinée et les États Fédérés de Micronésie), la diplomatie chinoise semble néanmoins marquer le pas.
Certes, tous ces pays restent alignés politiquement avec Pékin. Mais depuis 2019, de nombreux signes indiquent la volonté de ces états de marquer une pause, voire de rétropédaler dans ces unions conduites au pas de charge. Jusqu’à provoquer quelques remous au sein même de ces pays.
C’est Tonga qui se voit refuser une restructuration de son endettement vis-à-vis de la République Populaire (45 % de son PIB).
C’est la nouvelle première ministre des Samoa, Noami Mata’afa, qui dès son élection en 2021 casse un contrat de 100 millions de dollars pour l’agrandissement du port d’Apia.
Ce sont les Iles Salomon qui suspendent la signature d’accords «économiques », après que la Province de Malaïta, favorable à Taïwan, a menacé de faire sécession. C’est aussi Pékin et la China Sam Entreprise, proche du Parti communiste, qui se désengage du projet sur l’île de Tulagi .
Au Vanuatu, l’établissement d’une base navale à Luganville n’est plus à l’ordre du jour. Et le méga-projet privé « Rainbow city », avec ses 86 hectares de villas, hôtels et casino, est à l’abandon depuis trois ans.
Tournée diplomatique dans le Pacifique
L’an passé, la Chine a proposé un accord de libre-échange et de sécurité à ces dix pays du Pacifique. Elle offrait un accès au vaste marché chinois en échange d’une assistance financière… et militaire.
En mai 2022, Wang Yi, ministre chinois des affaires étrangères, a effectué une tournée de visites diplomatiques dans la région, afin d’engager des discussions concernant cet accord.
Aux Samoa, il a conclu un accord bilatéral en vue d’une « plus grande collaboration ».
C’est ensuite au tour des Iles Salomon de conclure un vaste accord de sécurité qui permettrait notamment à la Chine de mobiliser des militaires et des policiers chinois dans l'archipel à des fins humanitaires mais aussi pour maintenir l’ordre social. Suscitant l’inquiétude de l’Australie et des Etats-Unis, d’autant que les détails de cet accord sont restés secrets.
Contre-offensive de l'Occident
Ce sommet Chine-Salomon a eu le don de faire réagir la diplomatie occidentale, Australie en tête. Elle qui concentre 40 % de l’aide à ce pays du Pacifique. Contre 8,5 % pour la Chine.
La diplomatie australienne a quasiment doublé le montant de son aide entre 2020 et 2021 : 1,4 milliard de dollars soit 152 milliards de francs, rappelant au passage au 1er ministre salomonais Manasseh Sogavaré les modalités du traité de sécurité conclu entre les deux pays. Puis, c’est Jo Biden le président américain qui s’est fendu d’un voyage express à la rencontre des dirigeants océaniens.
Réunis à Suva, une semaine plus tard, les représentants des 10 nations concernées ont rejeté l’accord présenté par Pékin. Déclarant ne pas accepter la vision commune de développement proposée par Pékin, faute de consensus régional.
Un échec tout relatif tant les états insulaires, à l’instar des Salomon, de Kiribati ou des Samoa, n’ont pas manqué de signer de nombreux accords de coopération. Et demeurent, de manière générale, liés par les nombreux accords de coopération et autres emprunts contractés.
Ce mercredi soir, à partir de 20 h, sur NC la 1ère télé, "A la Une", le magazine de la rédaction, abordera les enjeux régionaux et géopolitiques qui façonnent l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, dans un contexte de rivalités et de coopération, entre les différentes puissances et acteurs du Pacifique. Une émission présentée par Steeven Gnipate.