Des soignants épuisés et une prise en charge qui se dégrade… Le secteur de la santé est en grande souffrance en Nouvelle-Calédonie. La situation s’est particulièrement aggravée depuis les émeutes du 13 mai, qui ont eu pour conséquence de faire partir bon nombre de professionnels. Ils seraient une centaine à avoir quitté le Caillou en moins d’un an.
Des quartiers entiers sans médecin
Ce phénomène est particulièrement visible chez les médecins libéraux qui font partie du quotidien des Calédoniens. “C’est le médecin de famille que vous connaissiez depuis longtemps, qui connaissait tout de votre santé et qui pouvait répondre immédiatement à vos questionnements quand vous étiez malade”, observe Bruno Calandreau, le président de l'ordre des médecins.
Cette pénurie est plus marquée dans certaines zones géographiques. “À Tindu ou à Kaméré, il n’y a plus de médecins, et il n’y a plus de pharmacie, poursuit Bruno Calandreau. À la Vallée-du-Tir, c’est un peu la même chose. C’est aussi le cas à Rivière-Salée ou au Mont-Dore Sud, mais aussi à Robinson ou Boulari, où une partie des médecins est partie.”
Fermeture de lits
Dans certains cas, il suffit d'une spécialité en souffrance pour enrayer toute la machine. De l'aide-soignante à la sage-femme, en passant par le kiné, le soin est “une chaîne bien huilée", compare Kader Saïdi, chirurgien urologue et fondateur du collectif santé en danger NC. "Quand il vous manque un maillon, cette chaîne ne peut plus marcher."
Les deux principaux établissements de santé de l'agglomération de Nouméa souffrent eux-mêmes de ce sous-effectif. "À la clinique, il manque des infirmiers en bloc opératoire. Résultat, la moitié des blocs sont fermés et les listes d’attente pour se faire opérer s’allongent. Au Médipôle, on manque d’infirmiers et de médecins. Le résultat est le même : une centaine de lits a fermé. Et quand vous arrivez aux urgences, il n'y a plus de lits pour les malades."
Prendre soin des soignants
Contrairement aux idées reçues, qui dit pénurie ne dit pas forcément économies. " Au contraire", commente Kader Saïdi. "Croire que 30 % de soignants en moins, c’est 30 % d’économies pour le Ruamm [régime unifié d'assurance maladie et maternité], c’est faux. Moins vous avez de soignants et plus ça va coûter cher. Dans le nord et les îles, les habitants ont du mal à trouver un soignant pour signaler que leur état de santé se dégrade. Par conséquent, ils ne sont pas pris en charge, leur maladie s’aggrave (..) A la fin, ça coûte plus cher pour tout le monde."
Malaise
Le Dr Saïdi le constate tous les jours. “Il y a un malaise des soignants. ll y a un exode des infirmiers, des médecins, dans certaines filières et dans certaines zones. Si on veut un système de santé qui prend soin des Calédoniens, il va falloir aussi prendre soin des soignants."
Un sentiment partagé par le président de l'ordre des médecins. "L’enjeu est de garder les médecins qui sont encore là, de les inciter à rester. Il faut prendre soin d’eux et écouter ce qui les ferait partir ou rester".
Chasseurs de têtes
Quant au recrutement de nouveaux personnels, les deux spécialistes suggèrent de développer l'attractivité du territoire. “Il faut faire de la publicité pour la santé en Nouvelle-Calédonie, dans les salons infirmiers ou les salons de médecins, en particulier les internes et les jeunes médecins mais aussi dans les congrès pour qu’on sache qu’en Nouvelle-Calédonie, il y a des postes à pourvoir, estime Bruno Calandreau. C’est un travail de chasseurs de têtes et de recruteurs de talents qu’il faut mettre en place.”
Pour le président de l'ordre des médecins, des mesures incitatives, notamment sur la rémunération, seraient aussi un plus, pour faire venir des praticiens francophones sur le Caillou.