"Mon travail, c’est de faire ressurgir en moi quelque chose de lointain, de très profond car je crois en la mémoire collective, à la réminiscence d’une tradition, d’une danse qui vient de nos parents ou d’ailleurs." Qu’il soit seul sur scène ou à la tête d’un cours de danse, Kévin Naran nourrit la même ambition : explorer les corps et comprendre comment ils peuvent révéler nos identités et nos émotions. Une sensibilité qui ne doit rien au hasard. Les racines de ce chorégraphe de 36 ans sont en effet "multiples", tant son parcours et ses origines sont riches. Ainsi, après avoir passé sa petite enfance à Houaïlou, Kévin Naran entame sa scolarité à Dumbéa. Sa famille lui inculque, dans un souci d’intégration et de réussite scolaire, "les codes de l’école de la République française et de la laïcité", alors même qu’il est le fruit d’un métissage complexe. "J’aime dire que j’ai un poumon de Java et un autre entrecroisé entre des racines mélanésiennes, caldoches et qui vont jusqu’en Bretagne", explique le danseur. Studieux, Kévin Naran décroche un bac scientifique mention bien avant de s’envoler vers la Métropole pour suivre une licence STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives).
La danse ou la quête d’une identité enfouie
Sauf que le fossé entre son parcours et ses désirs ne cesse de se creuser. "J’étais major de ma promotion lors de ma première année à la fac mais je ne progressais plus en ne faisant que du scolaire." C’est alors que surgit la danse, au hasard d’un stage universitaire. "J’étais avec des comédiens, je dansais à la façon d’un gymnaste avec des appuis très carrés et académiques puis ils ont commencé à improviser à partir du mot folie et j’ai trouvé ça incroyable, je ne savais pas que le corps pouvait exprimer autant d’émotions." Plus qu’une révélation, une "urgence" pour le jeune homme qui ne tarde pas à être repéré, alors qu’il termine un Master consacré à la danse et aux nouvelles technologies. Direction la Corse, en 2012, auprès de la chorégraphe Pat O’Bine alors à la tête de la compagnie Créacorsica. C’est sur cette "terre d’adoption" que la carrière de l’artiste décolle. C’est là, notamment, qu’il crée sa première pièce solo à 28 ans, Oculus. "C’était une danse très viscérale pour laquelle on a beaucoup travaillé à partir de rythmes mélanésiens et là il y a eu une évidence, j’ai fait ressurgir des choses très profondes, même dans la chevelure, la gestuelle ou la façon de danser le tchap."
Du Palais de Chaillot au Conservatoire de musique et de danse de la Nouvelle-Calédonie
L’un des points d’orgue de son ascension se déroule à Paris, lorsque le danseur est invité en résidence au Théâtre national de Chaillot par la célèbre chorégraphe Carolyn Carlson. "J’étais sur une scène internationale, dans ce lieu historique, avec vue sur la tour Eiffel, auprès d’interprètes que l’on voit en vidéo. Je jubilais tellement !" Alors que la pandémie de Covid met à mal le monde de la culture dès 2020, le Calédonien décide d’ajouter une corde à son arc créatif et décroche "avec la plus haute note" le diplôme d’Etat de professeur de danse contemporaine, pour lequel il se présente en candidat libre. Un précieux sésame qui le pousse à rentrer au pays, et plus précisément à Koné et à Nouméa où il enseigne depuis février au Conservatoire. "Cela me semblait logique de revenir à un moment donné. À chaque fois que j’ai dansé ou imaginé des pièces en Corse, c’est comme si je le faisais depuis la Nouvelle-Calédonie. Ici, je trouve un écho à une phrase lue récemment : un lieu où j’offre à mon âme l’horizon comme méditation quotidienne", glisse celui qui se définit avant tout comme Néo-Calédonien. Une particule qui, pour lui, a son importance : "On oublie souvent le mot néo devant Calédonien, c’est bête mais ça fait tout après. Car néo c’est la nouveauté, ça veut dire qu’on a que des pages blanches à écrire avec tout ce qu’on est et que le plus important c’est de profiter de chaque instant, de vivre chaque jour comme un miracle."