Même lorsqu’elle vit et travaille à 22 000 kilomètres du Caillou, Magali Song reste "un pur produit de l’île". Cette comédienne et metteuse en scène de 45 ans, qui partage sa vie entre Paris et Nouméa, garde "toutes ses racines" profondément ancrées en Nouvelle-Calédonie. Avec un papa originaire d’Arama, à Poum, et une maman de Moindou, l’artiste se présente comme le "fruit d’un grand métissage" lié à l’histoire du pays, et notamment à l’histoire des migrations et déplacements volontaires ou imposés. "Quand je me penche sur mon arbre généalogique, ce qui affleure, c’est toute l’histoire coloniale de l’île. Je porte le nom de mon aïeul chinois, qui est parti d’Amoy travailler pour James Paddon, avant d’arriver ici. Mon arrière-arrière-grand-mère paternelle est, quant à elle, issue du clan Ataï. J’ai aussi des bagnards et colons libres dans ma généalogie, ainsi que des origines irlandaises et corses", explique Magali Song, qui se sent "infiniment attachée à cette terre". La famille de la comédienne est, à elle seule, un "microcosme du paysage politique" du pays. Une réalité dont Magali Song ne prend pas conscience tout de suite. Alors qu’elle grandit à Nouméa, la comédienne traverse les Événements avec son regard d’enfant. "Je voyais bien qu’il y avait des tensions, notamment à l’école, mais je n’en ai pas compris l’importance. C’est plus tard, à l’adolescence, quand j’étais en âge d’entendre les récits de ma famille, que j’ai pris conscience de l’importance de cette période pour le pays."
« En France, je me suis vraiment sentie Océanienne"
C’est à partir de 1995, lorsque la jeune femme part poursuivre ses études en Métropole, qu’elle commence à "s’intéresser vraiment" à l’histoire du Caillou. "Au moment où je me suis complètement déracinée, je me suis dit : je ne suis pas du tout française, je suis océanienne. Certes, j’ai la nationalité française, mais arrivée là-bas, c’était un choc culturel, climatique, culinaire, etc. Tous les repères étaient bouleversés." Alors qu’elle suit des études de sciences économiques à l’université de Montpellier, la jeune femme découvre par hasard le théâtre et tombe amoureuse de cet univers. "A ce moment-là, j’ai senti que je racontais quelque chose et qu’on respirait ensemble avec le public." Elle ne tarde pas à enchaîner les ateliers et les cours de théâtre, sans abandonner ses études qu’elle mène en parallèle, jusqu’à l’obtention de sa maîtrise en économie rurale et aménagement de l’espace. "J’ai fini l’année en tachycardie, mais je ne regrette pas. J’ai respecté le contrat initial qui était d’obtenir ma maîtrise puis j’ai annoncé à mes parents que je voulais être comédienne et j’ai intégré le parcours professionnel du conservatoire, qui était en passe de devenir le L’ENSAD, l’École Nationale Supérieure d’art dramatique de Montpellier." Une fois diplômée, Magali Song embrasse une carrière dédiée à l’art, tout d’abord au sein d’une compagnie de théâtre itinérant pendant six ans, puis en partant en voyage en Inde et en Indonésie, où elle s’initie aux danses traditionnelles de ces pays.
De Bali à Nouméa
C’est lors d’un stage à Bali qu’elle fait une rencontre déterminante avec Olivia-Manissa-Panatte, une autre artiste calédonienne également présente à Bali, parmi les cinq stagiaires. Un "signe de la vie" et un "électrochoc" qui poussent les deux femmes à rentrer au pays. Elles fondent alors, notamment grâce au soutien de la Maison de la Nouvelle-Calédonie, la compagnie Les Arpenteurs du Caillou. "Je me posais des questions sur comment revenir. Je fais partie de cette génération Matignon qui partait pour ensuite revenir construire le pays, sauf que je n’étais pas encore rentrée. Il y avait une forme de culpabilité", glisse la comédienne. La première création de la compagnie (Traversée(s)) raconte l’histoire d’une femme à la recherche de son identité. L’occasion, également, d’évoquer l’histoire calédonienne parfois oubliée ou encore trop tue. "On vit quand même dans un pays qui a vécu une guerre civile, pudiquement appelée Événements. On commence seulement, depuis quelques années, à regarder les choses en face, ce qui est nécessaire pour avancer, estime la metteuse en scène. On vient d’une histoire violente, on en est les héritiers, je m’en sens en tout cas l’héritière. Ce sont des histoires qu’il faut raconter pour construire notre pays sur des bases solides et pour se pardonner." Aujourd’hui, Magali Song partage sa vie entre le Caillou, où elle crée des spectacles et la Métropole, où elle est professeur au conservatoire. "Je suis intermittente du spectacle en France, mais je trouve mon équilibre en revenant régulièrement en Calédonie afin d’œuvrer à mon niveau pour mon pays, explique Magali Song. Je suis une Océanienne qui vit à Paris, mais mon envie de créer est intimement liée à mon île. Les spectacles, je les rêve pour le public calédonien."