Quatre ans après l'échouement du porte-conteneurs, que reste-t-il du "Kea Trader" ?

Dernier enlèvement d'un gros morceau de la structure.
Le 12 juillet 2017, un porte-conteneurs neuf s'encastre dans un récif connu de Nouvelle-Calédonie. Quatre ans après, le travail continue pour sauvegarder cette zone du parc de la mer de Corail. L’armateur a annoncé la fin imminente des opérations. Plusieurs voix déplorent un manque d’information.

Qui aurait cru que ça allait durer si longtemps ? Voilà quatre ans que le Kea Trader s'est précipité sur le récif Durand, dans la nuit du 11 au 12 juillet 2017. Contrairement à de nombreuses autres épaves qui hantent les eaux calédoniennes, il a été décidé d'extraire celle du porte-conteneurs, d'une façon ou d'une autre. Un immense défi qui n'est pas tout à fait relevé. NC la 1ere fait le tour de ce qu'il en reste.

  • Des débris et des questions

La barge Cali ramène à Nouméa des matériaux extraits du récif Durand.

C’était un sujet attendu, lors des Journées de la mer organisées à Nouméa, les mercredi 7 et jeudi 8 juillet : la fin des opérations autour du Kea Trader. Mais les acteurs de la filière sont restés sans réponses. Des professionnels qui regrettent un manque d’information, et scrutent le contenu de l’énorme barge-grue affectée au démantèlement, quand elle rentre au port autonome après ses missions sur le récif Durand.
 
Ni la Marine nationale ni la Nouvelle-Calédonie n’ont pris récemment la parole sur le sujet. Pas de confirmation officielle, notamment, après le communiqué diffusé par l’armateur du Kea Trader le 20 mai, depuis ses bureaux de Londres. Lomar Shipping y annonce que "la majorité de l'épave (…) a maintenant été récupérée sur la surface rocheuse plate et peu profonde du récif". Le groupe avance que "près de 10 000 tonnes d'acier, soit environ 98% du poids du navire", ont été débarquées à Nouméa pour être recyclées par la société EMC. 

Une source interne au gouvernement a toutefois confirmé à NC la 1ere qu’il ne reste plus grand-chose du porte-conteneurs, sur site. La question qui se pose : faut-il retirer la totalité des plus petits débris - arrachés sous l’effet de la mer et des phénomènes cycloniques - et avec quel risque sur l’écosystème ? Le dénouement paraît en tout cas proche. Au gouvernement, on parle de communication en ce sens très prochainement. 

Le point de Mathieu Ruiz Barraud :

Kea Trader, point quatre ans après


Des informations attendues par les habitants de Maré, l’île la plus proche du récif Durand, lequel dépend du district coutumier de Penelo. "Tout au début de cet événement, on a déposé un cahier à la mairie et à la gendarmerie, on a fait une marche pour marquer notre mécontentement", rappelle George Rueuru, le responsable du collectif du district de Penelo.

"Les trois points qu’on avait mis en avant, c’est le démantèlement, le dédommagement et le suivi de toutes ces opérations. Et là, ça fait un bout de temps que la population n’a plus de nouvelles", ajoute-t-il en émettant le souhait de recevoir le nouveau haussaire. L'Etat, acteur et médiateur dans ce dossier, n'a pour le moment pas donné suite aux sollicitations du collectif.

Le reportage de Louis Perin, Martin Charmasson et Christian Favennec :

 

  • Le souvenir d’un gâchis

Pour mémoire, le Kea Trader n’avait que six mois d’existence lorsque le porte-conteneurs battant pavillon maltais s’est échoué au large de Nengone.

C’est en janvier 2017 que le chantier naval chinois de Guangzhou Wenchong livre le navire, de presque 185 mètres de long et jusqu’à 30 mètres de large. Or, dans la nuit du 11 au 12 juillet 2017, il trouve sur sa route un récif isolé en haute mer alors qu’il vogue de Papeete vers Nouméa. Le géant s’enfonce dans le corail alors qu’il file à 18 nœuds (plus d'une trentaine de kilomètres / heure). Le Kea Trader transporte dix-huit personnes, 782 conteneurs dont une cinquantaine jugés dangereux, environ 750 tonnes de fioul lourd, 80 tonnes de gasoil…

Un danger signalé, un bateau ultramoderne, un capitaine expérimenté : l’accident ne fait pas de blessé ni de pollution immédiate, mais il surprend. Comme attendu, le rapport d’enquête rendu depuis Malte va écarter la panne technique ou les conditions météos pour conclure à une succession d’erreurs humaines. Il pointe un mauvais paramétrage du système de navigation numérique, un manque de vigilance et un système d’alarmes volontairement désactivé.


Revoyez le déclin du mastodonte, rien qu'entre 2017 et 2018:

 

  • Un immense défi

La barge Cali dans la grande rade de Nouméa, juin 2020.

Le navire est un colosse, échoué au large, à plus de 400 m à l’intérieur d’un récif très éloigné des côtes, à l’intérieur du parc naturel de la mer de Corail. Il s’avère à la fois compliqué d’accès et soumis à des conditions de mer qui, non seulement la dégradent rapidement, mais rendent les conditions d’intervention particulièrement difficiles et dangereuses. 

Dès le départ, dégager le porte-conteneurs en toute sécurité s'annonce long et excessivement coûteux, pour le propriétaire et ses assureurs. Un an après l’échouement, le haut-commissaire de l’époque, Thierry Lataste, qualifiera le sauvetage de "cas unique" et de "défi même pour les experts mondiaux de premier ordre qui ont été mobilisés". C’est aussi un dossier qui fait intervenir de multiples interlocuteurs, autour de compétences partagées par plusieurs institutions.

Du côté des principaux acteurs, l’armateur fait d’abord appel à la société australienne Ardent Oceania salvage, pour prévenir les risques de pollution et envisager le renflouement du navire. Puis une autre option s’impose : le démantèlement du bateau, désormais brisé en deux morceaux. En 2018, l'enlèvement et la démolition des débris sont confiés à la compagnie chinoise Shanghai salvage.

Celle-ci fait construire la fameuse barge-grue Cali, adaptée sur-mesure aux conditions du récif calédonien et capable de soulever 800 tonnes. Aux délais de ce chantier, vont s’ajouter les contraintes liées à la pandémie mondiale. Si la barge Cali arrive à Nouméa en février 2020, la phase finale du retrait n’est ainsi lancée qu’en septembre de la même année.

Ce lundi 12 juillet 2021, Cali se trouvait toujours engagée du côté du récif Durand, avec le soutien du navire offshore Hua Ao. Selon Shanghai salvage, l'enlèvement des morceaux de carcasse dépollués, déchargés et démantelés a engagé plus d'une centaine de personnes entre septembre et mai.

  • Dix grandes dates

Débris du Kea Trader sur une plage de Maré.

Nuit du 11 au 12 juillet 2017
Le Kea Trader en pleine lancée s'échoue sur le récif Durand.

27 juillet 2017
Le fioul commence à être pompé, cela va prendre un mois.

28 septembre 2017
Le navire est déclaré perdu. Il est question qu'il soit remorqué hors du récif puis démantelé.

12 novembre 2017
Il se brise en deux sous l'effet d'une forte houle.

22 novembre 2017
Des boulettes d'hydrocarbure sont trouvées sur des plages de Lifou. Plusieurs autres découvertes de ce genre vont suivre, aux Loyauté et sur la côte Est, durant plusieurs mois.

Mars 2018
L'armateur annonce la signature d'un contrat avec la compagnie chinoise Shanghai salvage pour l’enlèvement et la démolition de l’épave.

Fin mai 2018
Les deux parties de la coque sont complètement séparées.

29 novembre 2019
L’Etat valide le plan de retrait de l’épave, en accord avec les élus et les représentants coutumiers.

Février 2020
Arrivée à Nouméa de la barge-grue Cali, remorquée depuis le port de Shanghai.

Septembre 2020
Début de la phase opérationnelle de retrait.

Le récif Durand s'étend en pleine mer au Sud-Est de Maré.