Aux assises, une affaire de meurtre à Canala, il y a près de deux ans

L'arme du crime, dans cette affaire de meurtre à la tribu de Méhoué, est un couteau de poche.
La cour d’assises de la Nouvelle-Calédonie se penche, depuis ce mardi, sur le meurtre de Fernand Onyari. Cet homme de 52 ans a été tué par arme blanche le 9 avril 2020, à la tribu de Méhoué, à Canala. L’auteur présumé du coup mortel, son neveu, était sous l’influence de l’alcool et du cannabis. Une altercation a eu lieu alors que la victime était sortie de sa maison pour demander à l’accusé de cesser de crier et de proférer des insultes.

Dans le box, un homme né en 1994, originaire de Nonhoué, à Canala. Détenu au Camp-Est depuis deux ans, il est soupçonné d’avoir tué son oncle de deux coups de couteau à lame rétractable, le 9 avril 2020, à Méhoué. Encourant jusqu'à trente ans de réclusion criminelle.

Selon l’ordonnance de mise en accusation, le soir des faits, la victime est sortie pour faire taire l’accusé, qui criait et insultait les habitants de la tribu. La victime est décédée après avoir subi l’assaut de son neveu : il lui aurait asséné deux coups de couteau, au bras gauche et au niveau du plexus. L’accusé présentait alors un taux d’alcoolémie de 0,58 mg d’alcool par litre d’air expiré - la limite pour conduire est estimé à 0,4 mg. 

Schizophrénie

Dans ses premières déclarations lors de l’enquête, le jeune homme a expliqué avoir interrompu le traitement qui lui était prescrit contre la schizophrénie, depuis novembre 2019. Il est représenté dans ce procès par maître Julien Marty. Et dès le début de l'audience, l’avocat a demandé que l’expert psychiatre soit présent. Car "s'il y a altération de discernement, la cour ne peut pas se baser exclusivement sur des rapports psychiatriques". Côté partie civile, Me Barbara Brunard représente la famille de la victime (sa femme, ses enfants…). 

Prévu sur deux jours

Le procès est prévu sur deux jours. Ce mardi 22 mars était consacré à l'audition de la directrice d’enquête et de témoins, à la personnalité de l’accusé, au rapport des experts psychiatres, à l'audition de la famille de la victime et aux plaidoiries de la partie civile. Mercredi, place aux réquisitions de l’avocate générale, Claire Lanet, et à la plaidoirie de la défense. Quant au jury, il est constitué de six titulaires et deux supplémentaires - ce qui permet une continuité en cas de Covid +.

Quel rôle la maladie a-t-elle joué ?

L’enjeu de ces deux journées est de déterminer si la maladie psychotique chronique de l’accusé l’a entraîné à commettre les faits, sachant que la schizophrénie est une pathologie mentale. Dans ce cas, elle est aggravée par la consommation régulière de toxiques et le fait de ne pas suivre son traitement. Le rapport psychiatrique du Dr Charlot évoque ainsi une altération du discernement au moment des faits. En cas de condamnation, un traitement neuroleptique est préconisé.

Je comprends qu’il a une maladie. Lui ne l’accepte pas. Mais il faut qu’il se mette dans la tête qu’il a une maladie qui se soigne.

Denise Hari, mère de l’accusé

D'abord la directrice d'enquête

À la barre mardi matin, la directrice d’enquête est revenue sur les faits en soulignant que l’accusé a été interpellé le 9 avril 2020, à 21h45, alors qu’il marchait le long de la route, couteau à la main. Le décès de la victime a été constaté. Son neveu, trop alcoolisé pour être entendu, a été maintenu en cellule de dégrisement. 

L’enquêtrice s'est attardée sur l’audition des premiers témoins. Ce soir-là, à 20h45,  "l’accusé vocifère dans la tribu de Méhoué". Une altercation éclate, il s'enfuit, puis la victime et un autre homme tentent de le rattraper. L'oncle tente d’attraper son neveu, qui sort un couteau et lui porte les deux coups. 

Des faits reconnus

L'accusé a reconnu ces faits lors de sa garde à vue. Mais il a précisé qu'il ne voulait pas tuer son oncle, qu'il avait peur d’être frappé et a voulu faire peur à ses protagonistes. Il a aussi déclaré "avoir été dans [son] délire", qu'il se sentait cool.  "Spontanément, quand j’ai une arme, je ne peux pas me maîtriser", a lâché le jeune homme dans une déclaration. Une réponse troublante, pour l’enquêtrice. 

Laquelle a aussi évoqué son parcours judiciaire : différents séjours au Camp-Est, de 2014 à 2019, principalement dus à des vols de voiture. De 2014 à 2018, l’accusé a aussi effectué trois passages au CHS, le centre hospitalier spécialisé Albert-Bousquet.

"Il était le pilier de la famille"

À la barre, se succèdent les témoins. Digne, droite comme un "I", la femme du défunt, qui a laissé derrière lui une veuve et quatre enfants, revient sur le soir du drame. Après avoir vu l’accusé, raconte-t-elle, son mari et elle-même lui ont demandé pourquoi il criait dans leur tribu. L'épouse a témoigné du fait que son mari et le frère de son mari ont voulu le frapper, mais l’accusé a esquivé. Son mari l'a poursuivi. Elle l'a ensuite retrouvé allongé par terre, blessé. Le malheureux a été évacué au dispensaire de Canala puis la famille a appris son décès. "Il était le pilier de la famille", a dit sa femme. Des déclarations poignantes qui ont touché les enfants du défunt et les personnes présentes dans la salle.

Il faut qu’il soit interdit de séjour à Canala. Pour sa sécurité.

Charlette Oniary, veuve de la victime

Interrogatoire ardu

Interrogé sur les faits, l’accusé peine à s’exprimer. La présidente de la cour lui demande : "Qu’est ce que les habitants de la tribu de Méhoué vous ont fait ?" Il hausse les sourcils. Elle, lui lance : "Vous insultez les habitants (…) et menacez de brûler leur voiture. Pourtant, ils ne vous ont rien fait ? " Et d’ajouter : "Pourquoi cette tribu et pas une autre ? (…) Vous avez déclaré durant la procédure que c’était la terre de vos ancêtres ? "

Un interrogatoire quasiment à sens unique. L’accusé semble comme déconnecté de la réalité. Quand il répond, c’est par monosyllabes. À la question : " Pourquoi avoir voulu piquer des gens ?" "Je ne sais pas", répond-il, sans arriver à expliquer son geste. La présidente finit par lui demander : "Contre qui étiez-vous en colère ? " "Personne", rétorque-t-il.
 
L’avocate de la partie civile, Me Brunard, enchaîne : "Vous sentez-vous dangereux ?". Il répond par la négative. Des réponses très difficiles à recueillir, pour les différentes parties. Face à l’avocate générale, l’accusé continue très difficilement l’interrogatoire. Décision est prise, par la présidente, de lire les procès verbaux.

La victime avait très peu de chance de s'en sortir

Le procès passe sur l’autopsie du corps de la victime, âgée de 52 ans, en surpoids. Il est décédé suite à une plaie de deux centimètres dans le ventricule droit, ce qui a entraîné un épanchement de sang dans le péricarde. L’homme avait très peu de chance de s’en sortir, il aurait fallu suturer en urgence le cœur. Le décès a été très rapide. A noter qu’aucune lésion due à une bagarre n’a été observées sur la dépouille.

Une enfance difficile

Mardi après-midi, le procès a repris avec les témoins cités par la défense. Ils ont évoqué l’enfance de l’accusé. Un de ses deux sœurs a abordé leur placement en famille d’accueil, sans droit de visite ni d’hébergement, sur décision du juge des enfants. Le père était en effet alcoolique et violent avec la mère. Il s’est ensuite rarement intéressé au suivi médical et psychologique de son fils. Une enfance qui peut expliquer le comportement actuel de l’accusé, décrit comme violent et incontrôlable par son père lui-même. 

Pas de remords exprimé

Durant cette première journée, l'avocate de la partie civile a pointé l'absence de remords, chez l'accusé. Toujours selon Me Brunard, si le jury reconnaît l'altération du discernement, il ne doit pas la considérer comme une circonstance atténuante. 

Le compte-rendu de Natacha Lassauce-Cognard et Laura Schintu :

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