C’est un havre paisible lové dans une vallée de Boulouparis, desservi par une piste malmenée par les intempéries. À 66 ans, l’instituteur à la retraite y célèbre son attachement viscéral à la région Xaracuu. On pourrait rester des heures, assis dans sa maison en bois, à écouter cet intarissable passeur nous parler de "far west", de trappeurs (les peaux de cerfs étaient exploitées dans la région), de "kavere" (lutins qui peuplent le patrimoine xaracuu) et autres passionnantes digressions, avec la rivière Ouanemboué en fond sonore.
Des souvenirs d’enfance à Négropo (Canala) avec la famille pendant les vacances, Marcel retient notamment les grandes sessions de chasse à la roussette, menées dans le sillage de la grand-mère. "Cette femme, très douce et gentille avec nous dans la journée, devenait redoutable la nuit quand elle allait dans la plantation de café avec son calibre 24 !" Les enfants sont assignés au défi d’aller chercher dans l’obscurité le gibier tombé sur la "terre bien grasse".
Une enfance entre la capitale et la brousse
Le reste de l’année, le petit Marcel est sur les bancs de l’école à Nouméa, ou dans les rues du Quartier Latin transformé en terrain de jeu avec ses camarades aux multiples origines. Le dimanche après-midi, c’est cinéma au Rex – peplums, opérettes et westerns au programme. Marcel garde cependant en tête sa "raison d’être" depuis toujours : "je n’imaginais pas le monde autrement qu’avec la chasse" sourit celui qui commence à courir le col d’Amieu et les forêts en solo à l’adolescence. "Quand je parle de cette période, je dis toujours que c’est ma vraie naissance !"
Pour rester en Brousse, Marcel opte pour le métier d’instituteur. Ainsi peut-il se consacrer à sa passion de la transmission, auprès de petits élèves qui l’initient en retour aux bases du xârâcùù ! "On va dire que les ‘maîtres à guitare’ ce sont les plus gros fumistes, mais quand j’arrivais en classe, mon objectif était que les enfants aient envie de revenir le lendemain ! Or la musique est un dénominateur commun extraordinaire. On arrivait en classe le matin, on commençait par une chanson, et le soir avant de se quitter, on chantait encore. Tout ça donnait du sens à ce qu’on faisait."
Après Canala et en particulier Nakéty, c’est à Boulouparis qu’il s’installe dans les années 90, et où Marcel finira sa carrière. C’est pour lui la garantie d’entretenir le lien avec cette région qu’il affectionne plus que tout, malgré l’épisode douloureux des Événements, au cours desquels la maison familiale à Négropo est partie en fumée.
Toujours curieux de nouvelles expériences, Marcel se consacre désormais à ses passions dont celle du busking (la musique de rue), après avoir joué en groupe notamment avec ses enfants. "Ce que je viens chercher dans la rue ce ne sont pas des pièces, ce sont des sourires, un pouce qui se lève… J’ai eu le droit à tout : des gens qui m’ont offert un café ou une bière, donné un livre, des dessins, des noix !" Un plaisir de la rencontre et du partage qu’il trimballe dans les rues de Nouméa, comme épisodiquement celles de grandes villes australiennes ou françaises.
La différence entre la rue et la salle [de concert], c’est un peu la différence qu’il y a entre la mer – un milieu instable – et une piscine – un milieu stable. Moi j’aime les milieux instables, parce qu’il y a une sacrée remise en cause. Et se remettre en cause, c’est aussi avancer !
Marcel Canel