"Une enfant de Kaala-Gomen." C’est ainsi que se présente Cécilia Mataïla, née en 1975 et élevée au cœur d’une vaste plantation de café. "J’ai eu l’enfance la plus heureuse qui soit", souligne-t-elle. Pourtant, elle se souvient d’avoir peu à peu remarqué, aux débuts des années 80, les tensions autour d’elle, les "grandes personnes" qui commencent à s’armer et la peur qui s’installe. La période des "Événements" vient de débuter. "Je lisais déjà les Unes des journaux à l’époque, tout me semblait loin, je posais des questions mais on ne me répondait pas." Une nuit de l’année 1984, elle se retrouve avec sa mère et sa sœur dans un petit avion, direction Nouméa. "Ces avions étaient mis en place pour rapatrier les femmes et enfants qui souhaitaient quitter la Brousse", explique-t-elle aujourd’hui. Mais à l’époque, âgée d'à peine dix ans, elle ne comprend pas ce départ qu’elle vit comme un "déracinement".
Découverte de l’ethnographie
Inscrite à l’école primaire à Nouméa, Cécilia Mataïla se demande, par exemple, quoi répondre quand, pour la première fois, on lui demande de cocher son ethnie sur une fiche de renseignements. "Avant cette période, je ne m’étais jamais posée la question de mon ethnie ou de ma couleur de peau, surtout que je viens d’une famille composée de sept générations de métisses." Quand on lui dit de cocher la case de Wallis-et-Futuna, elle ne s’y reconnaît pas, elle qui n’a jamais connu la culture de son père biologique futunien.
Elle lit, interroge, s’adapte comme elle peut dans cette ville inconnue et cette nouvelle vie. Au lycée, elle entre par hasard au Musée territorial. Dans une petite salle, sont projetés des films ethnographiques. Elle y passera des heures, fascinée par la diversité des cultures qui peuplent le monde, et notamment l’Océanie. C’est décidé, elle sera anthropologue. Un doctorat en poche passé à l’Université de Nice, en Métropole, elle effectue trois déplacements aux Etats-Unis dans le cadre d’un post-doctorat, où elle s’intéresse à la question de la perception de la mort chez les Premières Nations.
Redécouverte du pays
Cécilia Mataïla rentre en Nouvelle-Calédonie en 2010, toujours en quête de réponses sur sa propre histoire. Plusieurs rencontres l’amènent à s’intéresser aux "difficultés d’adaptation de certains jeunes mélanésiens en milieu urbain". Face à elle, la nouvelle génération lui renvoie sous forme de miroir les questions de sa propre histoire restées sans réponse. "Je ne supporte pas quand j’entends des gens dire qu’ils n’ont qu’à retourner à la tribu car je connais la difficulté de grandir entre deux endroits sans avoir eu d’explications." Cécilia Mataïla postule alors pour travailler au sein d’un service d’insertion et de prévention de la délinquance d'une municipalité du Grand Nouméa. Un poste qui lui permet de poursuivre sa quête identitaire et de continuer à s’interroger sur l’histoire et l’avenir de la Nouvelle-Calédonie qu’elle définit aujourd’hui comme "une mosaïque multiculturelle où on apprend de tout, tous les jours et de tout le monde."