"On change de soignants tous les quatre matins", déplore Émilie Vilella, la gérante de la maison de retraite les Barbadines à la Foa

D'une capacité de 45 places, la maison de retraite médicalisée propose également une chambre d'accueil temporaire, et de l'accueil de jour pour les seniors en perte d'autonomie.
Il n’y a plus de qu’un seul généraliste libéral à La Foa, depuis que le docteur Bour a fermé son cabinet la semaine dernière. Le praticien n’a pas trouvé de repreneur pour sa patientèle. Cela signifie que la maison de retraite les Barbadines n’a plus de médecin traitant. La désertification médicale s'installe en Brousse.

Des ordonnances renouvelées pour les six prochains mois : c’est le dernier acte du docteur Bour pour ses patients de l'EAPAD (établissements d'accueil pour personnes âgées dépendantes). Sur les 45 résidents, elle en soignait la moitié, les autres étant affectés au dispensaire. En attendant qu’un généraliste choisisse d'exercer à La Foa, c’est le médecin coordonnateur qui prendra le relais. Émilie Vilella est la gérante de la SARL les Barbadines, et la présidente de la FEAPA, la fédération des établissements d’accueil de personnes âgées en Nouvelle-Calédonie.

NC la 1ère : Selon l'ordre des médecins calédonien, "les établissements recourant à du personnel de soins salarié disposent, par convention, d'un temps de médecin dit coordonnateur, compétent en gérontologie". Quel est son rôle ?

Émilie Vilella : "C'est un médecin salarié de l'établissement. Chacun de nos résidents a son propre médecin traitant qui assure le suivi médical de son dossier : les renouvellements d'ordonnances, les urgences, tout le suivi médical. Le médecin coordonnateur, lui, est là pour assurer la coordination des soins au sein de la structure : mener le projet d'établissement, le projet de soins, assurer la veille sanitaire, veiller au respect et à la mise en place de tous les protocoles médicaux. Il assure également la coordination des paramédicaux, comme le kinésithérapeute lorsqu'il est salarié, le psychomotricien, la psychologue. Il n'est absolument pas là pour prescrire."

Dans quelle mesure ce professionnel peut se substituer au médecin traitant ?

EV : "Il y a eu une évolution récente au niveau des textes en Nouvelle-Calédonie, autorisant le médecin coordonnateur à prescrire dans deux cas. Dans le cas d'une urgence, et dans le cas où le médecin traitant est en accord avec le fait que le médecin coordonnateur prenne le relais. Et aujourd'hui, c'est notre solution sur La Foa. C'est la direction de l'établissement, via le médecin coordonnateur, qui va assurer le suivi de ces patients dans les prochains mois. On se retrouve sur les Barbadines à prendre en charge le suivi médical de nos résidents sur du temps de médecin coordonnateur. Donc on est en train de déplacer une dépense sur la structure elle-même."

Le dispensaire ne constitue pas une alternative

S'il n'y a pas de nouveau médecin généraliste qui s'installe dans l'immédiat à La Foa, est-ce que le reste des résidents auparavant suivis par le docteur Bour pourraient être soignés au dispensaire ?

EV : "On n'a pas la réponse à cette question. On n'a pas la réponse puisque nos résidents qui étaient affiliés au docteur Bour étaient bénéficiaires de la Cafat ou d'une certaine catégorie de l'aide médicale. Pour l'autre catégorie des bénéficiaires de l'aide médicale, ils étaient d'office pris en charge au dispensaire. Même s'il y avait des mesures d'extension de prise en charge de la couverture sociale, le dispensaire n'est pas en capacité de prendre en charge nos 45 résidents en suivi quotidien. Ils ont fait de nombreuses concessions, ils sont très présents, ils nous aident énormément, mais c'est juste impossible pour eux."

La grosse difficulté sur les Barbadines, c'est que le contrat de notre médecin coordonnateur se termine à la fin de l'année. Quant à retrouver quelqu'un, c'est l'incertitude absolue. Et si nous n'avons plus de médecin coordonnateur, nous n'aurons plus de suivi médical de nos résidents.

Emilie Vilella, gérante de la SARL les Barbadines

Est-ce qu'il y a d'autres types de recrutement de soignants qui posent problème ?

EV : "On vit une terrible pénurie de personnel infirmier, à nouveau. On l'a vécu pendant le Covid, on l'a vécu post-Covid. C'est allé un peu mieux, les gens sont revenus. Et là, les candidatures sont très, très, très rares. En ce qui concerne les aides-soignants, c'est tout aussi rare. C'est tout aussi rare, mais nous avons la chance de pouvoir développer les compétences de nos auxiliaires de vie sur le territoire, heureusement."

Renforcer les sessions de formation d'infirmiers et d'aides-soignants

Ça vous inquiète, cette situation ?

EV : "Oui, tout à fait. La pénurie de personnel soignant sur le territoire est inquiétante. Nous avons sollicité la Dass à ce sujet, qui a pris le temps de nous demander les différents postes vacants à venir. On a joué le jeu. L'ensemble des directeurs d'EAPAD sont inquiets. L'ensemble des directeurs d'EAPAD cherchent des solutions. Nous essayons de recruter sur tous les réseaux possibles. Le bénéfice des infirmiers et aides-soignants qui font leur formation sur le territoire, cela fait déjà des années que nous ne pouvons pas y toucher. Ils ou elles n'arrivent pas jusqu'à nous, EAPAD. Ils sont immédiatement absorbés par l'hôpital ou la clinique. On a déjà crié à l'aide à ce sujet en demandant de renforcer les sessions d'infirmiers et d'aides-soignants, mais le budget manque. Et puis, cette année, c'est encore pire puisque les sessions ont été interrompues. Donc on n'a quasiment aucune chance de recruter en interne, sur le territoire."

On a de moins en moins de candidatures de soignants qui arrivent de l'Hexagone. Il va falloir penser à de nouvelles solutions, à s'adapter aux fonctions, à faire évoluer le personnel soignant que l'on a en interne, et certains postes. Il faut, je pense, se pencher dès maintenant sur tout ça.

Emilie Vilella, présidente de la fédération des établissements d’accueil de personnes âgées en Nouvelle-Calédonie

Une communauté médicale à la Foa

Que diriez-vous à un généraliste qui hésiterait à ouvrir son cabinet à La Foa ?

EV : "On a la chance d'avoir un vivier de spécialistes qui continue d'intervenir. Je pense qu'aujourd'hui, pour un médecin qui arrive d'ailleurs, La Foa, c'est une bonne chose parce qu'il a des supports, une communauté médicale, un centre médico-social actif. Malgré la tentative infructueuse de trouver un successeur par le docteur Bour, il n'est pas trop tard pour chercher des médecins, pour nous aider, puisqu'elle avait plus de 500 patients dans son cabinet. Il est temps que nos autorités prennent le relais et nous aident à trouver. Plus on sera nombreux à chercher, plus on trouvera facilement." [Ndlr : Florence Rolland, le maire de la Foa, a proposé de mettre un local communal à disposition et s'est engagée à soutenir le futur médecin. Le docteur Bour a laissé son matériel en place pour quelques mois.]

Comment assurer une continuité des soins et une logique de prise en charge avec cette recherche perpétuelle de soignants ?

EV : "Aujourd'hui, on n'en est plus à espérer qu'un personnel soignant reste dix ans en poste au même endroit : c'est utopiste. Mais quelques mois, c'est déjà ça de gagné. On nous demande d'avoir un projet structuré, avec des objectifs, un plan d'action à long terme. On n'en est plus là. On change d'infirmier tous les quatre matins, d'aide-soignant tous les quatre matins, de médecin tous les quatre matins. Cela devient difficile de construire et d'avancer. Ça n'est pas impossible, mais cela devient difficile."