Trente-six biologistes et plongeurs du Muséum d'Histoire naturelle, du CNRS, de l'Ifremer et de plusieurs universités étrangères, ainsi que des géologues de Nouvelle-Calédonie ont participé aux collectes de pêche scientifiques, au relèvement de pièges profonds immergés depuis novembre 2022, et à des collectes en plongées dans la zone mésophotique (30 à 150 mètres de profondeur). Nicolas Puillandre, du Muséum d'Histoire naturelle, est l'un des deux chefs de mission de Kanameco. Il revient sur les objectifs de cette campagne.
NC La 1ère : Quelles opérations avez-vous menées sur l'Antéa ?
Nicolas Puillandre : D'abord, on a relevé les pièges qui avaient été installés entre 50 et 100 m de profondeur. Le reste du temps, on a raclé le sol au fond de la mer avec une drague et un chalut, entre 100 et 1 000 m de profondeur. Ce qui nous intéresse, c'est la vie sur le fond de la mer. On a attrapé des coraux, des éponges, des mollusques, des crustacés, etc.
En parallèle, on avait aussi une équipe à terre, au centre des activités nautiques de la Côte Blanche, à Nouméa. De là, partaient des plongeurs, qui récoltaient à vue ou avec un aspirateur sous-marin. Ça permet de récupérer des sédiments, qui sont ensuite triés au laboratoire. Et puis on brosse aussi des cailloux. Ça paraît très rudimentaire, mais ça permet d'avoir une petite faune qu'on ne voit pas à l'œil nu et qui est hyper intéressante.
Quel est le but de cette campagne ?
Ça n'est pas la première fois qu'on vient en Nouvelle-Calédonie. On a déjà fait beaucoup de missions ici. Maintenant, notre objectif, c'est de boucher les trous, c'est-à-dire d'aller dans les zones plus profondes qu'on n'a pas encore explorées, ou dans de nouvelles zones géographiques, et dans les habitats où on a mal prospecté pour rechercher les organismes benthiques (invertébrés et algues). On vient aussi avec de nouvelles méthodes. Il y a vingt ans, trente ans, on n'avait pas conservé les spécimens pour faire du séquençage ADN. Désormais, on les préserve spécifiquement pour faire du séquençage ADN une fois de retour à Paris.
Les objectifs de la mission, c'est de compléter notre échantillonnage pour affiner notre connaissance de la biodiversité marine en Nouvelle-Calédonie.
Nicolas Puillandre du Muséum d'Histoire naturelle
Quel a été votre premier constat ?
Un inventaire de biodiversité, ça prend du temps. Les premières missions qu'on a faites ici, c'était incroyable : pour les mollusques et les crustacés au début, 50% des espèces qu'on collectaient étaient nouvelles pour la science. Personne ne les avait décrites. Je suis sûr que dans ce que l'on a collecté, on a des nouvelles espèces, mais proportionnellement moins qu'avant. On complète notre échantillonnage, notre connaissance de la biodiversité, y compris des nouvelles espèces.
Que nous apprend le séquençage ADN ?
Caractériser la biodiversité, c'est la première étape, c'est-à-dire qu'on a besoin de savoir ce que l'on a. Avant, c'était essentiellement morphologique, et maintenant on intègre l'ADN. Cela permet de détecter des espèces qui vont beaucoup se ressembler, mais qui finalement sont très différentes. Il s'agit d'une approche très descriptive de la biodiversité pour comprendre le fonctionnement, l'évolution, jusqu'à la sauvegarde de ces milieux. Et puis l'étape ultime, c'est que toutes ces données qu'on accumule, ça donne de la matière, notamment, par exemple, pour les gestionnaires du Parc naturel de la mer de Corail. Ils ont besoin de savoir quelles sont les espèces présentes, où elles vivent, quelles sont les zones les plus diversifiées, ou avec avec le plus fort taux d'endémisme, etc. Et en fonction de ça, ils vont mettre en place des programmes de gestion adaptés.
On complète l'inventaire, et à partir de là, ça va nous aider à comprendre le fonctionnement des écosystèmes, comment cette biodiversité s'est mise en place, comment elle a évolué, comment elle s'est diversifiée, etc.
Nicolas Puillandre du Muséum d'Histoire naturelle
Est-ce que vos travaux peuvent nous renseigner sur les évolutions en lien avec le changement climatique ?
On ne peut pas répondre à cette question, tout simplement parce ce qu'on ne connaît pas encore assez la biodiversité pour savoir comment elle évolue dans le temps, et surtout sur des temps courts. On n'a pas fait de suivi temporel très poussé. On manque de données, tout simplement. Donc c'est pour ça qu'on continue l'exploration, et de faire des expéditions autour du Caillou. Petit exemple : on a ici dans l'équipe quelqu'un qui travaille sur les holoturies, les concombres de mer. Et dans les collections du Muséum d'Histoire naturelle, on a stocké des spécimens de bêches de mer de Nouvelle-Calédonie sur 40 ans. On va regarder dans toutes ces collections, et dans ce qu'on a collecté pendant cette mission, la présence de microplastiques. On espère pouvoir mettre en évidence à partir de quel moment les microplastiques sont apparus dans les bêches de mer. Ça, ça va réellement être un indicateur. Pas du changement global climatique, mais d'une pollution potentielle qui a pu apparaître en Nouvelle-Calédonie.
> Une restitution grand public de la campagne Kanameco est prévue mardi 2 avril à l'auditorium de la province Sud à partir de 16 heures.