Crise en Nouvelle-Calédonie. “Il y a plus de 200 maisons, 900 entreprises et 600 véhicules sinistrés depuis le début des émeutes”, estime le président du comité des sociétés d’assurances

A Nouméa, plusieurs maisons de la Vallée-du-Tir ont été incendiées depuis le début des émeutes.
Près d’un mois après le déclenchement de la crise, la Nouvelle-Calédonie affiche un bilan matériel sans précédent. Des situations douloureuses pour les entrepreneurs, les services publics et les particuliers. Et un véritable défi pour les assureurs. Entretien avec Frédéric Jourdain, le président du comité des sociétés d’assurances.

Voitures brûlées, maisons et entreprises saccagées... Après quatre semaines d'émeutes, le bilan matériel est considérable pour la Nouvelle-Calédonie et la tâche énorme pour les assureurs du pays. Le point avec Frédéric Jourdain, le président du comité des sociétés d’assurances (Cosoda).

Un mois après le début de ces violences, quelle est l’ampleur des dégâts ?

Frédéric Jourdain : Il s’agit pour l’instant d’une première estimation car des biens brûlent encore. Nous l’avons vu dans la nuit du 10 au 11 juin, avec cet incendie de maison, à La Coulée. Actuellement, nous sommes à un peu plus de 200 maisons incendiées - totalement ou partiellement - ou vandalisées, à 900 entreprises et petits commerces, et environ 600 véhicules de particuliers et d’entreprises, depuis le début de ces émeutes.

Pour la Calédonie, c’est du jamais vu.

Frédéric Jourdain, président du Cosoda


Est-ce que c’est du jamais vu en termes de sinistre ?

Dans le monde de l’assurance, non. Car il y a des crises majeures, notamment avec les événements climatiques. Mais pour la Calédonie, oui, c’est du jamais vu.


Pourquoi avoir fait venir des experts de l’Hexagone ?

Vue l’ampleur des événements et vu le nombre de déclarations de sinistres qu’on a eues - près de 2 000 -, il était évident que les experts locaux n’étaient pas assez nombreux et surtout spécialisés sur les risques d’entreprise. Donc il était important pour nous de faire venir des renforts de Métropole. Avec France assureurs, qui est notre tutelle, on a décidé d’en faire venir une vingtaine, qui est relayée tous les quinze jours.


D’ordinaire, combien êtes-vous ?

En Nouvelle-Calédonie, nous sommes sept entreprises majeures, qui composent le Cosoda, le comité des sociétés d’assurances, ce qui représente environ 300 salariés. Parmi eux, nous avons beaucoup d’experts auto, mais beaucoup moins sur le dommage aux biens, comme les maisons, les entreprises… Il doit y avoir quatre ou cinq experts à peine sur tout le territoire. D’où la nécessité de faire venir tous ces experts de Métropole.


Quels sont les sinistres pris en charge par les assurances depuis le début de ces violences ?

Nous prenons en charge toutes sortes de risques : les incendies d’entreprise, les incendies de maison et les incendies de véhicule. Cela peut aussi être des faits de vandalisme et de vol, mais cela sera déterminé dans les expertises. Car il y a des entreprises qui n’ont pas brûlé, mais qui ont été vandalisées ou pillées. Cela fait aussi partie des missions des experts.


A quoi servent exactement ces expertises ?

Nous recherchons en premier lieu la cause du sinistre. Et l’expertise va permettre de déterminer à quelle hauteur les assureurs vont rembourser l’assuré, en fonction de l’ampleur des dégâts. Nous prenons aussi en compte ce que va perdre l’entreprise, parce qu’elle ne pourra pas redémarrer. C’est ce qu’on appelle la perte d’exploitation.


Parmi toutes ces entreprises incendiées, y a-t-il des sociétés qui ont été brûlées intentionnellement, car mal en point financièrement ?

Il ne m’appartient pas de me prononcer. C’est le travail de la police et des experts en assurance. Mais si l’expert a des doutes, il peut en faire part. Et dans ces cas-là, des enquêtes policières peuvent être déclenchées. Mais c’est déjà arrivé par le passé en Calédonie, effectivement.


Est-ce que des solutions de relogement sont proposées par les assurances pour les foyers sinistrés ?

Sur des maisons totalement incendiées par exemple, nous nous chargeons de reloger les gens. Nous prenons en charge le loyer en attendant une solution de remplacement. Cela fait partie des garanties de contrat. Mais beaucoup ont préféré se tourner vers leur famille.

Selon nos dernières estimations, nous sommes à près d’1 milliard d’euros de dommages

Frédéric Jourdain, président du Cosoda


Les compagnies locales d’assurances ont-elles les moyens de verser de telles indemnités ?

Elles n’ont effectivement pas les fonds nécessaires pour faire face à de tels montants. Selon nos dernières estimations, nous sommes à près d’1 milliard d’euros (120 milliards de francs) de dommages. Donc bien entendu, nos sièges métropolitains vont venir en soutien aux compagnies locales. Mais il n’y a pas de problèmes de solvabilité à ce jour. Nos engagements seront tenus et les gens seront indemnisés selon leur contrat.

Nos recours se feront plus contre l’Etat, puisque c’est à lui d’assurer la sécurité.

Frédéric Jourdain, président du Cosoda


Les assurances peuvent-elles espérer se faire rembourser par les émeutiers condamnés, s’ils sont solvables ? 

Cela va être compliqué de se retourner contre les émeutiers. Nos recours se feront plus contre l’Etat, puisque c’est à lui d’assurer la sécurité. Ce qu’on n’a malheureusement pas vu pendant ces événements. Même si je ne veux pas leur jeter la pierre non plus. Mais effectivement, les assureurs ont des possibilités de recours contre l’Etat. Nous en discutons actuellement mais nous n’avons pas encore pris de décision.


Au final, les assurés calédoniens ne risquent-ils pas de payer le prix fort de ces émeutes, avec le risque de voir leurs forfaits d’assurance augmenter à l’avenir ?

C’est une probabilité. Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour le dire. Nous sommes encore vraiment dans nos premières évaluations et celles-ci sont extrêmement élevées. La décision qui sera prise ensuite par nos sièges et nos réassureurs va, en effet, certainement provoquer des augmentations.

La consigne de nos sièges est donc de ne plus souscrire de nouvelles affaires tant que la libre circulation n'est pas restaurée.

Frédéric Jourdain, président du Cosoda


Des Calédoniens confient avoir le plus grand mal à assurer de nouveaux bien aujourd’hui. Pour quelles raisons ?

Aujourd’hui, nous n’acceptons plus la souscription d’affaires nouvelles. Si quelqu’un veut assurer un dock ou une maison, son dossier sera bloqué tant que la sécurité n’est pas revenue. Le principe de l’assurance, c’est le caractère aléatoire de la survenance d’un sinistre. Or, actuellement, il y a de très fortes probabilités pour que ces sinistres surviennent. La consigne de nos sièges est donc de ne plus souscrire de nouvelles affaires tant que la libre circulation n'est pas restaurée. Pour ce qui est des voitures, nous ne délivrons que la responsabilité civile, qui est obligatoire, mais pas le contrat "tous risques", ce qui signifie que si votre voiture est volée ou brûlée, vous ne serez pas remboursé. Il s’agit d’une décision transitoire, en attendant un retour à la normale.