"C’est trop cher et ce n’est pas bon. Quelles sont les alternatives pour faire manger les enfants?”
À l’approche de la rentrée scolaire, ce genre d’annonces fleurit sur les réseaux sociaux, dans les groupes privés comme publics mais aussi au sein des APE, associations de parents d'élèves. Pour rappel, l’inscription à la cantine n’est pas automatique, c’est un choix que fait chaque parent.
Si, pour des raisons d’organisation, il est plus simple d’y inscrire ses enfants, certaines familles ont fait un autre choix. En particulier cette année, après l'annonce de l'augmentation des frais de cantine dans les établissements primaires publics de Nouméa. Et aussi parce que le budget de nombreux foyers est devenu fragile après les émeutes de mai 2024.
"Je me suis organisée avec les voisins"
Dans la plupart des témoignages que nous avons recueillis, le prix est la raison invoquée pour ne pas inscrire les enfants à la cantine. Cette année, la ville de Nouméa a augmenté ses tarifs de 150 francs par repas et par élève. Une nouvelle qui a convaincu Marie de ne pas y inscrire sa fille de trois ans et demi. Cette dernière fait sa première rentrée en maternelle, du côté de l’Orphelinat.
Avec un seul salaire à la maison, et des frais de garderie élevés déjà engagés pour son fils de 18 mois, elle et son conjoint ont décidé de faire l’impasse sur la cantine. "On n’a pas entendu du bien sur la qualité des repas. J’ai eu des retours d’autres familles qui disaient qu’il y avait des manques. Et puis surtout, c'est hors de prix" explique la jeune maman.
Alors, Marie a préféré prendre les devants et a mis en place une véritable logistique pour faire manger sa fille sur le temps de la pause déjeuner. "Je me suis organisée avec une famille voisine" dit-elle. Chaque lundi et mardi, elle va récupérer sa fille et les deux enfants des voisins. Elle leur cuisine un repas avant de les ramener à l’école. Le jeudi et le vendredi, ils échangent.
C’est la seule idée qui m’est venue mais il faut être disponible sur le temps du midi.
Marie, maman de deux enfants
Un échange de bons procédés qui nécessite de l’organisation, entre les courses à faire et la préparation des menus pour la semaine. Mais pour Marie, ce n’est pas un problème car "en tant que maman, c’est important de savoir ce que mangent nos enfants".
Certaines APE, comme celle de l'école Ernest-Risbec à Trianon, proposent même de mettre en relation les parents intéressés par cette option de repas partagé.
Au pied du mur
Cet échange de bons procédés entre familles, Marianne aurait bien aimé pouvoir en bénéficier. Elle ne souhaite plus inscrire son fils de neuf ans à la cantine pour la rentrée 2025. Un ras-le-bol dû, selon elle, à la qualité des repas mais aussi et surtout au prix. "Mon fils me disait que ce n’était vraiment pas bon et pour y être allée, j’ai vu les plateaux de la cantine et je ne comprends pas que l’on puisse servir de la nourriture comme ça."
Maman célibataire et patentée, Marianne se trouve pourtant au pied du mur car, si elle aimerait trouver une solution alternative à la cantine et payer moins cher, elle n’a pour l’heure pas d’autres choix que de l’y inscrire : bientôt, elle n'aura certainement plus le temps de gérer une pause déjeuner.
Je suis à mon compte, je peux le récupérer mais je vais devoir trouver un autre travail rapidement car financièrement, la situation est très compliquée.
Marianne, maman d'un garçon de 9 ans
En parcourant les réseaux sociaux, Marianne a elle aussi proposé à d'autres familles, de faire des roulements pour les repas du midi. Mais elle n’a pas eu les réponses espérées. "Je pensais que j’aurais plus de retours. Tout le monde pousse des coups de gueule, mais personne ne trouve forcément des solutions."
Une charge trop lourde à porter
Au Mont-Dore, Félicitée a désinscrit ses deux enfants de la cantine scolaire pour 2025. Avec son seul salaire, et le père de ses enfants en chômage partiel, elle ne peut plus débourser 11 900 francs par enfant tous les mois pour la cantine; avec la garderie, les frais montent à 43 000 francs par mois pour tous les deux. "J'ai fait une demande de bourse auprès de la province Sud, il y a plus de six mois maintenant. J'ai dû appeler pour apprendre que mon dossier avait été refusé en raison du délai de résidence de dix ans minimum. Alors que je les ai", raconte la maman, qui a un troisième enfant à charge, lui en garderie.
Selon elle, la bourse lui permettrait de ne payer qu'environ 1 000 francs par mois et par enfant. Au 17 février, Félicitée préparera des "lunch box" pour ses enfants, qui seront récupérés par un membre de sa famille sur le temps du midi. L'autre option qu'elle a étudiée, à contrecœur : les scolariser à Ponérihouen, chez sa sœur en province Nord, où les frais sont beaucoup moins élevés.
L'option du privé
S'organiser en famille n'est pas donné à tout le monde. Alors, d'autres ont choisi la solution des centres périscolaires. Certains proposent en effet un service de repas pour le déjeuner. La structure privée de Vincent Willay est située à la Vallée-des-Colons, à Nouméa, depuis huit ans. Cette année, il a reçu bien plus de demandes qu’auparavant et a ajouté huit places supplémentaires. "On travaillait avec l’école Candide-Koch et Les Capucines et cette année, on a ajouté trois écoles supplémentaires car on a eu de nombreuses demandes venant d'autres établissements", explique Vincent Willay.
Le principe : récupérer les enfants à l’école, leur fournir un repas puis les ramener en classe pour l’après-midi. Une solution alternative de plus en plus choisie par les familles car si l'enfant consomme uniquement sa "lunch box" au centre périscolaire, le prix est de 12 000 francs chaque mois; soit un forfait moins cher six mois sur onze pour 2025.
En revanche, faire appel à une structure privée peut aussi avoir un coût plus élevé que la cantine de l'école publique, si les parents choisissent l'option du service de gamelle du centre. Quand on y regarde de plus près, la différence n'est pas si importante mais tout dépend des mois de l'année, car la cantine se paye au nombre de jours d'école à Nouméa.
Si l’enfant décide de prendre le service de gamelle fourni par le centre périscolaire de la Vallée-des-Colons, il y a la base forfaitaire de 12 000 francs incluant le transport puis il faut ajouter 650 francs par repas. En mars par exemple, la cantine de l’école est 3 100 francs moins chère que le centre. En avril, en revanche, c'est presque le double dans le privé.
Beaucoup moins d'inscriptions
Tarifs trop élevés, budget en berne, conviction personnelle... Quelles que soient les raisons de ne pas inscrire ses enfants à la cantine, les chiffres montrent que toutes les communes ont perdu des demi-pensionnaires, comparé à la rentrée 2024, à l'exception de Païta.
À Nouméa, à la date du 10 février, il y a 2 781 élèves en moins inscrits par rapport à 2024. Au Mont-Dore, ils étaient 1 822; ils ne sont désormais que 1 618, soit environ 200 enfants en moins.
À Dumbéa, il y a 24 % d'effectifs en moins par rapport à 2024. Mais selon Pierre Mestre, responsable de la caisse des écoles, cette diminution trouve aussi son origine dans la volonté de sanctionner les mauvais payeurs de l'année passée.