Risque requin : "Je ne garantis rien à personne parce qu'aujourd'hui, on est tous à tâtonner" déclare Sonia Lagarde

Deux jours après l'attaque mortelle de requin, Sonia Lagarde, maire de Nouméa répond aux questions de NC La 1ère le mardi 21 février 2023 ©nouvellecaledonie
Deux jours après l'attaque d'un requin qui a coûté la vie à un touriste australien de 59 ans plage du Château Royal à Nouméa, Sonia Lagarde s'est entretenue avec les équipes de NC La 1ère. Surpopulation, espèces déprotégées, pose de filets, le maire de Nouméa évoque les solutions à apporter face au risque requin.

NC La 1ère : Nous sommes au surlendemain de l’attaque de requin qui a coûté la vie à un touriste plage du Château royal, la troisième attaque en trois semaines. La Calédonie est encore sous le choc. Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ? 

Sonia Lagarde : Je suis comme tout le monde, je suis triste et sous le choc. Parce que tous les jours depuis presque deux ans maintenant qu’on a commencé à avoir des attaques à répétition, il ne se passe pas un jour sans que je me dise "mon téléphone va sonner et il va y avoir une nouvelle attaque" parce qu’on a des alertes permanentes, il ne se passe pas une semaine sans qu’on soit alertés et par rapport à ces alertes, on fait ce qu’on doit faire, ça veut dire qu’on envoie des pompiers avec des motos marines, on envoie des drones, on surveille.

Donc je m’attendais à ce qu’on ait encore une attaque malheureusement et j’espère que ça va s’arrêter là. Mais je ne garantis rien à personne parce que aujourd’hui on est tous à tâtonner, à écouter les uns et les autres.

Aujourd’hui personne n’est capable de nous dire vraiment la vérité parce que c’est un domaine scientifique où malheureusement je crois qu’on est encore avec une méconnaissance du comportement des requins.

Sonia Lagarde, maire de Nouméa

Néanmoins vous avez décidé d’agir en misant sur les captures de requins- tigre et  de requins bouledogue, les plus agressifs. Cette campagne de capture, de prélèvement, va durer jusqu’à la fin de la semaine, qu’est-ce que vous en attendez concrètement ? 

Alors j’espère bien qu’on va pouvoir en attraper quelques-uns parce que la première campagne qu’on avait faite, rappelez vous à la suite de l’attaque de Brigitte, on a attrapé en l’espace de 3 jours 4 requins, 3 tigres de 4 mètres et un bouledogue de 2m90. Vous savez quand on va à la pêche comme ça, avec un pêcheur professionnel,  il y a des jours où l'on prend quelque chose, il y a des jours où on ne prend rien et le 4ème jour on en prend 4 ou 5.

Mais je crois que ces campagnes de pêche, elles doivent perdurer c’est ce que je souhaite, c’est ce que j’ai dit à mes équipes et donc on s’est organisés pour faire des campagnes assez souvent, tous les 3 mois. J’ai décidé de faire une campagne parce qu’on ne peut pas laisser les choses en l’état

Sonia Lagarde, maire de Nouméa

En clair cela veut dire que la chasse est ouverte vous invitez les calédoniens à pêcher les requins ? 

Mais aujourd’hui c’est une espèce déprotégée, la province Sud a déprotégé ces deux espèces (en octobre 2021)  et donc s’il n’y a plus de protection cela veut dire qu’ils peuvent être pêchés. 

On dit que les requins se rapprochent également du littoral, quelle est votre position sur l’évolution du comportement de ces prédateurs, pourquoi est-ce qu’ils se rapprochent de nous ? 

Alors ça c’est la grande question, pourquoi ? Tout le monde a un avis sur la question. Moi je ne suis pas scientifique.

On a entendu que les eaux usées jouent un rôle, elles attireraient les petits poissons qui attireraient les gros ? 

On entend de tout. On entend que c’est à cause des travaux à l’Anse-Vata parce qu’il y a une certaine turbidité de l’eau qui attire les requins. Avant que les travaux ne commencent à l’Anse-Vata, il y avait déjà eu des attaques et pas forcément à l’Anse-Vata. On nous dit c’est la faute des lumières du [restaurant] Le Roof, c’est les gens qui jettent de la nourriture, ça reste encore à regarder de près mais je n’y crois pas.

Après on nous dit c’est à cause de l’assainissement. Alors parlons en de l’assainissement. Nou,s on a fait des travaux extrêmement conséquent sur la zone de l’Anse-Vata, on a commencé par Blaise Pascal c’est des travaux qui ont duré presque un an et demi, maintenant on attaque la route de l’Anse-Vata et on fait toutes les routes transversales de l’Anse-Vata. On a aussi assaini Val Plaisance tout ça pour que les eaux de baignade soient meilleures que ce qu’elles étaient. Avant qu’on commence les travaux d’assainissement ça veut dire que les eaux n’étaient pas assainies, et il y avait déjà des attaques. Donc ce n’est pas parce qu’on a fait de l’assainissement, bien au contraire, alors que les eaux sont plus claires aujourd’hui, qu’on a plus d’attaques. 

Le temps de cette campagne de prélèvement jusqu’à la fin de la semaine il n’est pas possible de se baigner dans les baies de Nouméa puisque depuis l’attaque de dimanche vous avez immédiatement ordonné la fermeture d’une majorité de plages. Qu’est-ce qui va changer à la réouverture de ces plages, en terme de surveillance ? 

Alors la surveillance elle sera toujours là puisqu’on a un poste de pompiers, un à la Baie des Citrons et un sur la plage du Château Royal. Ils sont équipés de planches de survie et de motos marines mais les attaques sont tellement rapides, c’est une fraction de seconde. Vous êtes là au mauvais moment et donc le requin ne tourne pas autour de vous pendant une heure pour savoir s’il va vous croquer. C’est extrêmement subit.

Quand on voit des ailerons, on active de suite les drones, on est sur place, mais quand une attaque surgit de nulle part, parce que les requins ne nagent pas toujours avec l’aileron visible à la surface, et en particulier les bouledogues qui sont souvent des espèces qui nagent plutôt au fond et qui remontent pour attaquer les poissons ou quelqu’un qui nage, donc ce n’est pas toujours visible alors qu’est-ce qu’il faudrait que je fasse ? 

Toute la journée il faudrait que je mette des drones, des bateaux autour des plages, enfin ça demande une organisation incroyable, tout le monde peut comprendre ce n’est pas possible.

Sonia Lagarde, maire de Nouméa

Néanmoins vous envisagez la création d’une piscine d’eau de mer ?

Oui un peu plus qu’une piscine en fait pas vraiment mais on envisage de mettre une barrière, ce qu’on appelle un filet. Ça fait deux ans maintenant, on en est au deuxième appel d’offre, alors peut-être que j’ai vu les choses un peu trop grandes parce que ce que j’ai regardé quand j’ai lancé ces appels d’offre c’est que les Calédoniens ont l’habitude de nager de faire des longueurs le long de la plage et je me suis dit si on fait comme en Australie et qu’on fait une piscine qui fait 50 mètres de large je vais cantonner les gens uniquement dans cette zone et tous ceux qui veulent faire des longueurs ne vont pas pouvoir le faire donc on a lancé un appel d’offre avec une longueur qui faisait 750 mètres c’est à dire sur la Baie des Citrons une longueur suffisamment importante pour que les gens puissent faire des aller retours.

Et aujourd’hui ça aurait été une première parce qu’on n’a jamais vu quelque chose d’aussi important. Mais aujourd’hui, on est face à des difficultés techniques donc on est au deuxième appel d’offre, on est passé dans une négociation de gré à gré avec les entreprises parce qu’on a encore un certain nombre de points techniques à élucider avant de se lancer. Et puis là, j’ai demandé au service de voir s’il y avait des alternatives, on va baisser la voilure et essayer de faire quelque chose de bien moins important que ce qui était prévu au début. 

Cet équipement de filet coûte très cher et en maintenance… c’est quelque chose qui vous inquiète ? Sachant que les Réunionnais l’ont abandonné pour ces raisons-là.

Comment fait-on ? Si quelqu’un est réellement un expert et qu’il a les réponses aux questions qu’on se pose tous, comment fait-on pour sécuriser les baies ? Alors je prends. Mais moi je n’ai pas de baguette magique. Aujourd’hui le seul moyen de protéger c’est effectivement une barrière, les Australiens l’ont fait depuis longtemps maintenant, et donc ce sont ces zones qui sont protégées et le maire que je suis entends protéger les administrés donc je n’ai pas d’autres solutions que celle-là.

Sans solution miracle et avec l’augmentation des attaques est-ce que vous pensez qu’on est entrés dans une nouvelle ère et qu’aujourd’hui il va falloir changer le comportement que l’on a à la mer ? 

R : Changer les comportements comment faire ? Aujourd’hui, vous avez des gens qui font des activités nautiques intenses sur le plan d’eau, il y a des gens qui font du kite, du surf, du paddle, il y a des gens qui nagent tous les jours, je crois qu’il faut faire très attention mais dans ces périodes-là je crois qu’il faut lever un peu le pied. C’est à dire qu’il faut faire ces campagnes de pêche, de manière régulière et il faudra qu’on mette un filet, mais après le filet il ne va pas s’adresser aux kitesurfers ou aux foileurs donc il faut faire attention et personne n’est à l’abri d’un accident et je ne sais pas pourquoi il y a cette agressivité d’un seul coup et pourquoi ces requins arrivent là tout près des côtes.

Je pense qu’il y a une surpopulation et je crois très sincèrement qu’il faut en éliminer un certain nombre. A la Réunion c’est ce qu’ils ont fait, ça fait deux ans ou trois ans qu’ils n’ont pas d’attaques tant mieux pour eux, mais ils en ont tué une bonne centaine. Alors après vous savez on peut pas plaire à tout le monde. Le filet vous avez les pour et contre, on fait comment parce qu’ils seront jamais d’accord.

La barrière anti-requins vous avez les pour et les contre et ils ne seront jamais d’accord. A un moment donné on doit prendre ses dispositions parce qu’on ne peut pas écouter tout le monde sinon on n’avancera pas. 

Sonia Lagarde, maire de Nouméa