ENQUÊTE. Pourquoi l'eau de Sarraméa est impropre à la consommation et à la baignade ?

Des cailloux ont été placés par la mairie de Sarraméa pour empêcher les visiteurs de se garer pour rejoindre la cuve et le plateau de Dogny. Mais il n'y a aucun panneau ou arrêté visible sur place qui informe de la situation.
Depuis plusieurs mois, on ne peut plus boire l'eau du robinet sans la faire bouillir à Sarraméa. Il est également interdit de profiter des eaux du trou Feuillet ou d'emprunter le chemin en lacets jusqu'au plateau de Dogny. Une pollution persistante impacte le quotidien des habitants, et a obligé la municipalité à condamner les accès à ces sites.

La cuve de Sarraméa ne résonne plus des exclamations des enfants de la commune, et des éclaboussures de leurs plongeons. Calédoniens et touristes n'empruntent plus le chemin pour se rafraîchir. C'est que l'eau est impropre à la baignade, car elle est polluée par divers facteurs : les déjections des animaux, l'accumulation de végétaux, les déchets des randonneurs, mais pas que. La présence du propriétaire d'un terrain situé en amont du captage pose problème.

"Au départ un centre aéré devait se tenir en janvier, c'est pourquoi on a fait des analyses un mois plus tôt, pour être sûrs que les gosses puissent se baigner, retrace Christophe Perrot, conseiller municipal à Sarraméa. On a trouvé des traces d'escherichia coli, mais surtout d'entérocoques, en nombre, vraiment, ça a explosé." Ces pathogènes qui font partie de la flore intestinale, causent des infections chez l'humain : septicémies, infections urinaires ou abdominales ou pelviennes, endocardites, infections cutanées...

L'arrêté pris par la municipalité de Sarraméa fin décembre 2023 est toujours en cours.

Des conséquences sur l'eau du robinet de 200 habitants

Depuis, Lab'eau, une filiale d'Epureau, a réalisé quatre tests. "On tient à la disposition de la population les résultats d'analyses, propose Christophe Perrot. Au début, on a commencé juste en aval de l'ancien hôtel Évasion et dans la cuve. Puis on a ajouté l'amont du captage. La troisième fois, on a aussi testé la sortie de l'unité de distribution d'eau potable. Au quatrième prélèvement, on remarque que ça s'améliore. Enfin, ça va moins mal." Mais c'est insuffisant pour rouvrir les accès. Le prochain test attendra que les pluies se calment un peu.

C'est en aval de l'ancien hôtel Évasion, que l'on retrouve la plus forte concentration en entérocoques : 2420 UFC/100 ml le 22 janvier, puis 1986 UFC/100 ml le 28 février, alors que ce chiffre ne devrait pas dépasser les 100 UFC/100 ml selon la délibération calédonienne sur les eaux de baignade. Dans le réservoir Fo oui, qui contient l'eau traitée qui est distribuée dans les foyers des Sarraméens, le taux d'entérocoques était de 489 UFC/100 ml le 22 janvier, retombé à 96 le 28 février. La norme française pour l'eau potable impose de s'approcher de zéro.

Ces problèmes sanitaires ont bien un impact sur l'eau des administrés de la commune. "Ce captage, il approvisionne le réseau de distribution de l'eau potable. Alors il est préconisé de la faire bouillir cinq minutes si on veut la consommer. Forcément, ça a dû toucher quelques personnes, petits ou grands, avec des soucis de peau, des problèmes d'estomac... Je pense que par précaution, tant qu'on n'est pas sortis de la période des pluies, c’est bien de continuer encore un peu."

Périmètre de protection des eaux

Y a-t-il un lien entre la pollution de l'eau et l'installation du propriétaire foncier en amont du captage ? Christophe Perrot est persuadé que oui. "On a de petits cours d'eau qui retombent dans le principal qui amène au captage de la commune. Je ne suis pas technicien, mais pour un certain pourcentage, il a sa responsabilité dans la pollution que l'on constate. Il a fait des plantations, ce qui a modifié la structure du terrain. Et il a réalisé des saignées en perpendiculaire de la route pour drainer. Plutôt que de creuser un seul fossé pour que l'eau se déverse en aval du captage, tout ce qui arrive du versant finit en amont."

L'an passé, la municipalité a pris un arrêté pour interdire les modifications en amont du captage. Il existe également un arrêté du gouvernement datant de 2015, portant détermination des périmètres de protection des eaux autour du captage du Fo oui. Périmètres de protection immédiate, rapprochée ou éloignée : le texte précise la réglementation de manière à limiter les risques de pollution des eaux, afin d’assurer la qualité de l’approvisionnement en eau potable.

L'arrêté pris par la municipalité de Sarraméa fin décembre 2023 est toujours en cours.

Permis de construire et de captage

"On a sensibilisé la province Sud sur le problème. Au final elle a accordé un permis de construire, et la Davar une autorisation de captage à ce propriétaire." Du côté de la ZCO, la zone côtière ouest, la présidente Chantale Lombardet déplore que "rien ne bouge, et que la municipalité de Sarraméa doit se débattre seule avec ce problème." Elle a fait un nouveau signalement à la Davar. "On leur conseille de traiter l'eau au maximum, de protéger le captage avec des barrières et des grillages, mais ça ne permet pas de définir la source du problème."

À quoi ça sert de prendre des textes s'ils ne sont pas respectés ? Un habitant qui vit en amont d'un captage ? Ça s’est vu nulle part ailleurs !

Christophe Perrot, conseiller municipal à Sarraméa

À la province Sud, on confirme avoir délivré un permis de construire pour une maison de type F1, fin janvier 2024, "en tenant compte des règlementations en vigueur, avec des prescriptions particulières pour garantir l'alimentation en eau et l'assainissement, sans impact sur le captage communal". La Davar, qui aurait mené ses propres analyses de l'eau de Sarraméa, explique qu'elle "communiquera d'abord auprès de la municipalité et des coutumiers" avant de répondre à la presse.

Sanctuarisation

Ce terrain, et ceux qui l'occupent, c'est devenu un feuilleton à rebondissements à Sarraméa. "Ça fait trois particuliers qui s'y installent, et qui rencontrent des problèmes chacun leur tour." Le premier occupant, un gars du cru, a vu sa petite baraque brûler. Celle du deuxième, qui avait clotûré avec du grillage, a subi le même sort. Le troisième, actuellement en place, compte des "impacts de balles sur les murs de ses toilettes sèches".

Là-haut, c'est le garde-manger de nos tribus. Ce terrain il fallait le récupérer : soit le verser au domaine, soit le rétrocéder à la commune.

Christophe Perrot, conseiller municipal à Sarraméa

"Il ne faut pas oublier que, là-haut, il y a de l'eau. Ça a une importance vitale, mais c'est aussi le garde-manger de nos tribus, rappelle Christophe Perrot. Donc il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. Qui peut dire ce qu'il va se passer, un jour où des gens sont énervés ? On n'est pas capables de répondre à cette question." L'équipe municipale a alerté la province Sud, le gouvernement, le Haut-commissariat et le sénat coutumier sur la situation. Et elle a bloqué les accès avec des cailloux.

L'eau, un enjeu à Sarraméa

En 2023, la verte Sarraméa a manqué d'eau. "Pourtant, quand est-ce qu'il ne pleut pas à Sarraméa ?", plaisante Christophe Perrot. La municipalité va entreprendre différentes actions pour remédier à la baisse de la ressource : réparer les fuites chez les particuliers, installer des compteurs d'eau pour facturer au réel... C'est qu'ici chacun paye un "forfait tribu" trimestriel, peu importe ce qu'il a consommé, qu'il soit particulier ou professionnel. Le budget eau grève le budget communal, depuis dix ans. À l'avenir, les trois captages communaux ne suffiront plus, il faudra passer par des forages. Ou faire remonter l'eau de la CDE depuis La Foa...