Il était une fois une filière lait florissante en Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie importe 99,5% de sa consommation de produits laitiers. Il y a trente ans, la filière avait pourtant connu un âge d'or, avec plusieurs producteurs et une industrie de transformation florissante. Des espoirs placés dans ce secteur d'activité, il ne reste aujourd'hui qu'une ferme.
Pour parler du lait en Nouvelle-Calédonie, il faut savoir retourner dans le passé. A Bourail, subsistent encore les vestiges de Tennessee Farm, et les souvenirs d’un pionnier, Guy Moulin. 
 
 

Un secteur florissant il y a trente ans

C’était il y a une trentaine d’années. Parti de rien, il a constitué un troupeau de quelque 300 vaches. Ici, on produisait trois litres de lait par jour et toute une gamme de produits laitiers. «On produisait du yaourt, des glaces, du fromage, des crèmes-dessert, etc», explique Guy Moulin, le fondateur de Tennessee Farm. L’entreprise avait créé cinquante emplois. Avec d’autres producteurs, la filière lait se voyait un avenir radieux. 
 

Des camemberts à la mode broussarde

Un temps où « Le Broussard », 200 000 camemberts vendus par an, était devenu le fromage favori des tables calédoniennes. « On avait une fromagerie qui nous permettait de transformer cette production laitière, de la valoriser, d’avoir un produit fini qui plaisait aux consommateurs, et donc à partir de là, j’estimais qu’on pouvait développer ces productions laitières de manière plus importante et pouvoir arriver à se substituer à un nombre de produits qui aujourd’hui sont importés », explique Henry Calonne, le directeur de Socalait. 
 

Quasiment un million de litres par an

Au plus fort de la production, la filière atteignait presque le million de litres par an. Aujourd’hui, c’est deux fois moins.
 

La dernière ferme laitière

Les dernières vaches laitières, c’est à Sarraméa qu’on peut les découvrir. A la ferme Moglia, on perpétue une activité vieille de plusieurs générations. Le secret de cette longévité : le travail et la passion
« Je pense que pour vraiment réussir dans ce domaine, il faut avoir une passion envers ce métier, parce que ça reste un métier assez compliqué, avec du travail du matin au soir, du 1er janvier au 31 décembre. Donc si derrière ça, il n’y a pas un minimum de passion, je pense que c’est pas possible de réussir » confie Bryan Moglia, de la Ferme de Sarraméa.


Maîtriser la chaîne de production

La ferme compte 80 vaches en production. Une structure de taille raisonnée qui emploie neuf personnes. Sa réussite, elle le doit à une maîtrise la plus complète possible de ses charges. « L’atout aujourd’hui pour nous, c’est de maîtriser toute la chaîne de production, c’est à dire qu’on fabrique nous-mêmes notre foin pour nourrir nos bêtes, et on met nos produits directement en rayon dans les grandes surfaces et les petites surfaces. Ça, je pense que c’est un sacré avantage que l’on a. Et travailler avec du lait frais qui sort directement du pis de la vache, ça aussi c’est bénéfique », explique Bryan Moglia.
 

De l’agriculture à l’industrie

Tout maîtriser, c’est pourtant ce qui avait été le leitmotiv à Tennessee Farm. Pourquoi, alors, Guy Moulin a-t-il abandonné en 2005 la production laitière pour le maraîchage ? Une simple affaire d’abattement sur les charges sociales. « Un beau jour, on ne nous a plus reconnu en exploitation agricole, et on nous a dit qu’on allait être classé en industrie », explique Guy Moulin. « Ça nous a donné effectivement le coup de massue puisque ce n’était pas possible pour nous de tenir avec de telles charges. Surtout qu’il y a eu, en plus, un redressement, et donc tout ça, ça a conduit à la fermeture de l’activité laitière.»
 
 

Des millions de litres importés

Pourtant, la Nouvelle-Calédonie importe en produit laitiers l’équivalent de 83 millions de litres. Y compris l’entreprise Socalait, qui n’utilise en fait plus que du lait en poudre importé pour fabriquer ses yaourts.
« On reçoit le lait en poudre, les ingrédient, principalement de France ou de Nouvelle-Zélande. En fait, ça dépend des cours des produits laitiers », expliquait Henry Calonne en juin l’an dernier.
 

Pour cinq milliards de francs

Un état de fait que regrette aujourd’hui l’industriel : « En termes de valorisation, c’est clair que ce serait plus intéressant de pouvoir faire des fromages et de pouvoir faire des produits de ce type là » explique Henry Calonne. « On ne peut pas tout faire parce qu’à un moment donné, il y a quand même un savoir-faire, principalement européen et de la France sur un plus grand nombre de produits transformés. Mais il y a quand même des choses qui peuvent être faites ici, comme elles sont faites en Nouvelle-Zélande, comme elles sont faites en Australie.» La part de marché est gigantesque : cinq milliards de francs CFP, c’est ce que coûtent chaque année nos importations.
 

Yaourts et fromages

Avec un litre de lait importé vendu moins cher qu’une bouteille d’eau du Mont-Dore, la production locale ne peut pas rivaliser. Restent les produits dérivés : yaourts et fromages. C’est bien dans leur fabrication que résiderait la rentabilité.
« On gagne notre vie grâce à la valeur ajoutée. Donc forcément, grâce aux produits finis, aux produits transformés. C’est pour ça qu’on ne favorise pas vraiment la vente de lait frais. On gagne sur tout ce qui est transformé, le fromage blanc, les camemberts, les Coulommiers » explique Bryan Moglia.
 

Une clientèle

Une production qui a facilement trouvé sa clientèle au point qu’elle pourrait être demain doublée sans problème. Demeurent des obstacles de taille : du foncier apte à nourrir des vaches laitières, un métier exigeant, des niveaux de compétence élevés, et une filière peu considérée par les pouvoir publics.

Un dossier de Bernard Lassauce et Claude Lindor :
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