Un mur de quatre étages
Dans son calendrier de compétition, l'international windsurfing tour a crée plusieurs concours dont celui de la plus grosse vague décerné à un homme et une femme le 10 avril prochain. C'est le "Big Wave" et Sarah Hauser vient de prendre une option sur le titre. La Calédonienne installée depuis sept ans maintenant à Hawaï a ridé le 31 décembre dernier une vague d'une hauteur vertigineuse, environ 36 pieds, soit exactement 10,97 mètres. C'est l'équivalent d'un immeuble de quatre étages ou de près de quatre paniers de basket empilés les uns sur les autres. Quelque soit l'image, c'est très haut, surtout quand le mur en question se déplace avec une puissance démesurée.
" Les très bonnes conditions de houle que l'on a eu sont rares. Cela fait sept ans que je suis à Hawaï, et je ne me suis rendu à Jaws que cinq fois pour vivre ce genre de moment. Pour nous les windsurfeurs, les occasions sont limitées. Et encore, j'ai la chance d'habiter sur place, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. On doit surveiller la météo, savoir à quel point les vagues seront grosses, et s'organiser pour se déplacer. Il faut aussi pouvoir compter sur un photographe. Ses clichés servent d'unité de mesure pour valider nos performances "
Un cliché pour rentrer dans l'Histoire. Voici celui pris par Eric Aeder au moment où Sarah Hauser surfait son monstre naturel. Dans la foulée, l'International Windsurfing Tour le publiait, avec ce commentaire :
" Sarah Hauser a peut-être brisé le record du monde pour la plus grande vague jamais montée par une femme en windsurfing. Une mesure approximative suggère que cette vague a peut-être été de plus de 10 mètres. Si elle est confirmée par le panel international des juges, cela la mettrait en tête pour la plus grande vague de tous les temps pour une femme dans le premier défi #IWTBIGWAVE ".
" Là, je ressens une connexion avec la nature et le sport "
Une distinction est possible. Peu importe. La Calédonienne préfère les sensations. Un flot d'émotions l'a traversée ce jour-là. Dans un coin de sa tête, les témoignages de ses proches, eux aussi surfeurs ou windsurfeurs, victimes de traumas, de déboîtements d'épaules, après avoir tenté de relever le défi sur la plage de Pe'ahi, sur la côte nord de l'île de Maui. Dans la matinée, elle n'arrivait pas à manger.
" On a la peur de passer de l'état d'anxiété à la panique. Il faut reprendre le contrôle de son esprit. Cela se calme en arrivant sur le spot. Là, je ressens une connexion avec la nature et le sport. J'arrive à me relâcher, puis mon coeur bat à cent à l'heure au moment où je regarde vers le ciel. Je vois un mur d'eau qui se tend au-dessus de ma tête, et j'entends ensuite la vague s'écraser dans un bruit de fou derrière moi ".
Un environnement intimidant à affronter. Dix à quinze secondes d'adrénaline, et de technique millimétrée pour s'en sortir avec le sourire.
" Il faut d'abord s'aligner avec la vague, ce qui est très difficile. Plus elle est grosse, plus elle est rapide. Si il y a un clapot, cela peut me ralentir et me faire rater l'opportunité. Une vitesse de pointe est nécessaire pour rentrer dedans. Ensuite, vient la question de l'angle d'attaque. Il faut être placée à l'intérieur, mais pas trop, pour pouvoir sortir. C'est un équilibre à trouver, en sachant que tu n'as aucun repère, aucune ligne magique n'apparaît pour te guider. Si on est au mauvais endroit, on peut se faire éclater par la vague "
Préparation mentale particulière et pensées calédoniennes
Pour se mettre dans les conditions d'une telle épreuve physique et mentale, Sarah Hauser a mis tous les atouts de son côté. En fin d'année, elle s'est rapprochée d'un coach utilisant la technique de l'hypnose. Elle a travaillé sur la visualisation. Celle qui se considère comme une "geek du sport" a aussi multiplié les recherches sur internet pour connaître les méthodes utilisées par d'autres sportifs et sportives, comme la méditation.
" L'hypnose, c'est très intéressant. Je suis dans un état plus relâché, je touche au subconscient. Ca permet de travailler plus en profondeur sur les émotions. Quand on ride des vagues comme celles de Jaws, il y a une dissociation entre le conscient - la vision de la vague et le sentiment de se dire "je vais me faire défoncer" - et le corps qui continue d'être dans l'action. Il y a une partie de moi qui se dit "ca ne va pas le faire", mais tout mon corps fait en sorte que cela passe.
C'est donc important de s'entraîner mentalement. Travailler sur la conviction, le souvenir de certaines phrases, "une femme ne peut pas le faire, tu es trop petite". Techniquement, ce sont les années d'expérience sur le circuit professionnel, l'habitude des grosses vagues, qui vont aider à analyser très rapidement où et comment se placer ".
Une fois ces impressions, ces mots posés, le titre ou la hauteur exacte de la vague surfée apparaissent alors dérisoires. La Calédonienne recherche beaucoup plus que cela.
" J'essaye de me surpasser, de rider la plus grosse vague possible. Quand vous passez une certaine hauteur, ça devient énorme, hyper impressionnant. Le faire à Jaws, c'est spécial. Les vallées de Maui sont mystiques. J'ai un carnet spécial sur cet endroit. C'est presque sacré. C'est tellement puissant, tout bouge à une échelle plus grande.
Ce sont de bonnes sensations pour moi, l'aboutissement de tous les efforts physiques et mentaux, et un retour à mon premier amour, le windsurf dans les vagues. En Nouvelle-Calédonie, elles font souvent 3 ou 4 mètres au récif. Quand j'ai commencé là-bas, j'en ai compris la puissance et à quel point savoir utiliser cette puissance pouvait être un challenge, beau et difficile ".