Comme dans de nombreux secteurs, les informations tombent au compte-goutte, pour les enseignants du Caillou. Face à cette crise inédite, le gouvernement et le vice-rectorat s'efforcent dans un premier temps de faire un état des lieux complet de la situation, avant de mettre en place des mesures adaptées pour une reprise des cours en toute sécurité.
Mais les incertitudes sont encore énormes, et les inquiétudes très nombreuses. Les instituteurs et les professeurs qui se sont confiés ont tous préféré garder l'anonymat.
Des élèves sans établissement
Des inquiétudes multiples, à commencer par les écoles et les établissements qui ont été brûlés ou pillés. “Des évaluations sont toujours en cours. Mais 4 000 élèves dans le secondaire et 1 000 dans le primaire sont touchés”, expliquait la semaine dernière Isabelle Champmoreau, vice-présidente du gouvernement en charge de l'enseignement. Une aide est sollicitée auprès de l’État, pour lancer une phase de réparation et de reconstruction des établissements scolaires a-t-elle précisé. "Que va-t-on faire des enfants qui ont perdu leur établissement ? Ça aura forcément des conséquences sur certains emplois du temps", lance ce professeur qui fait cours dans un lycée de l'agglomération.
Des aménagements déjà confirmés par le vice-rectorat.
Les défis auxquels on va devoir faire face sont énormes.
Un professeur de lycée de l'agglomération
Un projet pédagogique autour des émotions
Dans les écoles primaires qui sont opérationnelles, les instituteurs se posent aussi beaucoup de questions. "On va commencer par tous se réunir avant la rentrée", raconte cette maîtresse de Nouméa. "La première chose à faire c'est de parler entre nous. Pour les élèves, ça dépendra de ce qu'ils ont vécu. J'ai des enfants qui vivent dans le Grand Nouméa. Je ne sais pas s'ils vont pouvoir venir, la question de l'absentéisme va se poser." Cette maîtresse espère avoir des conseils d'un psychologue pour trouver les bons mots. "Je pense aussi faire un projet autour des émotions."
La peur, la tristesse... je ne vois que l'art pour sublimer ce qu'on a vécu, grâce au théatre ou aux dessins...
Une maîtresse de Nouméa
Comment se rendre sur son lieu de travail ?
Pour certains enseignants, la principale problématique reste le déplacement. "J'ai des élèves qui m'écrivent sur Messenger, j’espère vraiment pouvoir reprendre le 17", assure cette professeure de collège à Païta qui a pas mal de route à faire chaque jour depuis son domicile. "Mais il faut que je puisse le faire en toute sécurité, c'est la priorité." Elle reconnaît avoir déjà eu quelques frayeurs le lundi 13 mai, lorsqu'elle a quitté son établissement. " Il y avait des jeunes virulents sur la route ce jour-là, c'était assez impressionnant. Et puis pour l'instant, les barrages sont régulièrement remis en place."
Vers une prise en compte élargie du contrôle continu ?
Des inquiétudes sur le plan pédagogique, ensuite. Allègement du programme, prise en compte élargie du contrôle continu, les professeurs savent que des aménagements seront nécessaires. "Pour le moment, on ne sait pas du tout comment ça va se passer pour les élèves qui ont des examens en fin d'année par exemple. On a l'expérience de ce qui a été fait pendant le Covid, mais cette fois la situation est très différente en fonction des établissements", remarque cette professeure basée à Nouméa. "Ça risque de se faire un peu au cas par cas."
Où trouver un stage
Des conséquences sur la théorie, mais aussi sur la "pratique". En effet, à cause de la destruction de centaines d'entreprises, des étudiants de CAP, Bac pro et BTS notamment se retrouvent sans stage. Des stages pourtant indispensables pour boucler leur année. "On va bien devoir trouver des solutions", confie ce professeur de Nouméa. "Mais il faut bien comprendre que certains jeunes auront des formations dégradées."
À Païta, des élèves de troisième venaient tout juste de commencer leur stage lorsque les émeutes ont éclaté. "Ça a beaucoup choqué mes élèves", ajoute cette professeure. "Ils se demandaient comment ils allaient faire."
Les alternants sont également concernés par cette problématique. "L'impact humain de cet événement n'est pas moindre, et nous sommes soucieux de rester à vos côtés pour toute difficulté d'accueil ou modalité de reprise qui pourrait être liée à votre activité", communique le Greta CFA, dans un message adressé aux entreprises qui accueillent des alternants. "La sécurité de ces jeunes nous apparaît également comme une priorité dans une période encore incertaine, liée aux déplacements notamment".
Sans compter que le problème devrait logiquement se poser pour les générations suivantes. Les jeunes Calédoniens qui chercheront des stages l'an prochain seront sûrement davantage en concurrence.
Des interrogations sur la réaction des élèves
Les violences des dernières semaines ont marqué les jeunes de manière différente, en fonction de leur commune, de leur quartier, mais aussi de leur environnement. Si dans les écoles, les petits auront plaisir à se retrouver, ce sera peut-être plus compliqué pour certains adolescents.
L'enseignante de Païta se dit plutôt confiante sur ce point. "On est très proches dans ce collège, même si on ne sait pas comment ils auront évolué. Il faudra aussi qu'on ait une rencontre avec les parents."
Mais tous ne sont pas si optimistes. "On s'inquiète sur la sécurité dans les gros établissements, par exemple", confie ce professeur. Ces dernières années, des lycées de Nouméa et du Grand Nouméa ont en effet connu des tensions, voire des bagarres aux abords des structures. Cet épisode violent et clivant que traverse la Calédonie pourrait aggraver la situation, selon le corps enseignant. "J'espère qu'il y aura une cellule de crise au sein même des lycées les plus sensibles", ajoute cette professeure en lycée professionnel.
Comment en parler avec des adolescents ?
Reste maintenant à savoir comment aborder le sujet à la rentrée. Pour les petits, les maîtresses savent qu'il faudra avoir une attention particulière auprès des plus sensibles ou pour ceux qui ont été témoin de certaines violences.
Mais pour les plus grands, le sujet va parfois devoir être évoqué de manière plus frontale. "Je ne me vois pas retrouver mes élèves et passer à mes cours directement. Je vais forcément en parler avec eux. Mais on a un devoir de réserve, on attend des consignes officielles sur ce point. Des consignes par rapport à la parole", reconnaît cette professeure de français. La première journée de la reprise devrait être réservée aux professeurs, justement pour qu'ils puissent échanger sur ce point.
Certains établissements ont d'ailleurs commencé à envoyer des questionnaires aux familles. Avec cette question notamment, "en quoi le lycée pourrait aider votre enfant ?" Parmi les réponses proposées : assistante sociale, psychologue ou infirmier.
La semaine dernière, une visioconférence a déjà été proposée autour de l'accompagnement et du soutien des enfants et des adolescents.
Certains enseignants risquent cependant d'être plus exposés que d'autres sur ce point très précis. Là où un professeur en sciences de la vie et de la Terre n'aura que peu d'incidences directes sur ses cours, la tâche sera plus délicate pour d'autres. "Je pense que les professeurs d'histoire vont être en première ligne. Ce sont des sujets qui font partie du programme", confie l'un d'eux. Même si certains ont déjà commencé à aborder ces questions avant que la crise n'éclate.
En Brousse aussi
La Brousse n'a pas connu de violences comme dans le Grand Nouméa et les établissements n'ont pas été attaqués. Mais l'inquiétude est tout de même là. "Ça se passe à un autre niveau qu'à Nouméa. On se demande quelle sera la réaction des élèves car certains d'entre eux sont sur les barrages", explique cette professeure qui préfère elle aussi restée anonyme. "On échange en permanence avec les collègues. Tout le monde est chamboulé, chacun à sa manière. Certains ont de la famille, des connaissances sur Nouméa." Cette enseignante assure que dans sa commune, elle sentait déjà une montée des tensions avant que les émeutes n'éclatent. " Il y avait déjà des réflexions et même des écrits."
Pour rappel, le gouvernement a mis en place un numéro vert dédié au personnel des établissements scolaires du privé et du public : il s’agit du 05 00 16.