La Russie est la plus grande productrice de nickel en Europe. Les précédentes sanctions américaines et occidentales n'avaient pas visé le nickel russe. Cette fois, la Bourse des métaux de Londres envisage un embargo sur le négoce du nickel avec la Russie.
Son interdiction serait un événement majeur pour l'industrie métallurgique et les équipementiers européens. Elle viserait Nornickel, (ex-Norilsk) qui est le premier producteur mondial de nickel. Le géant russe avait envisagé la construction d'une usine en Nouvelle-Calédonie. C'était au début des années 2000, une autre époque.
Les autorités de la City de Londres n'ont pas encore pris de décision, officiellement en tout cas. Elles ont lancé une vaste consultation officielle de 3 semaines. L'embargo pourrait être annoncé à l'issue de la semaine du LME (LME Week) qui va réunir à Londres les acteurs mondiaux des matières premières.
"Nornickel produit essentiellement du nickel de qualité batterie. Ce créneau n'est pas directement celui des usines calédoniennes. Il n'y aurait donc pas d'effet d'aubaine à un embargo contre le géant russe décidé par le LME, disons que cela ne ferait pas de mal à la Nouvelle-Calédonie."
Philippe Chalmin, universitaire, économiste et historien des matières premières
Interdiction ou pas, Andy Farida, principal analyste du nickel au Metal Bulletin de Londres (Fastmarkets), ne s'attend pas à une nouvelle flambée des cours : "la production indonésienne est susceptible de compenser la production russe. Si l’embargo contre Nornickel est décidé, cela soutiendra les cours au-dessus de 20 000 dollars, ils pourront peut-être atteindre 25 000 dollars, mais pas plus (…) la nature opaque de la chaîne d'approvisionnement des batteries, rendra difficile de certifier votre batterie "sans nickel russe."
En pratique, une interdiction signifierait que le métal de Russie - qui représente environ 26 % de la production mondiale de nickel de classe 1, et près de 54 % du nickel de haute pureté d’Europe, ne pourrait plus être stocké dans des entrepôts mondiaux gérés par le réseau du LME.
Même si le nickel part le plus souvent directement chez les clients sans jamais voir l’intérieur d’un entrepôt, les contrats entre le gproducteur russe et les industriels occidentaux comportent généralement une clause imposant qu’il soit "livrable au LME". Un embargo décidé par Londres pourrait donc entraîner la rupture des contrats. Ou de lourdes sanctions, en cas de non respect de la "clause LME".
Cette décision d’interdire le nickel russe, profiterait sans doute aux principaux concurrents australiens, finlandais, et canadiens de Nornickel. Ces trois pays sont des soutiens de poids à la cause ukrainienne et des alliés importants des Etats-Unis. Un embargo ne ferait pas de mal non plus à la production intermédiaire, destinée aux batteries, de l'usine de Prony Resources en Nouvelle-Calédonie.
Le processus en cours, et la consultation des acteurs du marché londonien, fragilise déjà la crédibilité du producteur russe auprès de ses clients. Il crée de l’incertitude, du doute, voire du risque à poursuivre des relations commerciales avec Nornickel.
"Tout ça est vrai, mais quelqu'un, quelque part achètera le nickel russe à prix réduit" a estimé Colin Hamilton, directeur général de la recherche sur les produits de base chez BMO Capital Markets, interrogé par l’agence Bloomberg.
Nornickel se verrait sans doute contraint d’accepter des prix plus bas en se tournant une nouvelle fois vers la Chine pour maintenir ses exportations. Le premier consommateur mondial de nickel pourrait acheter les produits russes et les revendre plus chers à des industriels européens, comme c’est déjà le cas pour le gaz naturel et le pétrole.
"La Chine achètera le nickel russe, pour l'utiliser à la fois dans l'acier inoxydable et pour les batteries (…) elle pourrait absorber la totalité de la production russe de nickel", conclut Beresford Clarke, Directeur général de SFA, un cabinet de conseils lié au groupe minier sud-africain Sibanye Stillwater.
Vers une interdiction du nickel russe ? Les autorités londoniennes (LME) devraient annoncer leur décision le 28 octobre. Les responsables de la bourse mondiale concurrente, celle des métaux de Shanghai (SHFE) se préparent déjà à ouvrir les portes de leurs entrepôts au nickel venu du froid : le nickel "made-in-russia".
Mardi soir, le cours du nickel au LME était en phase avec le prix de l'acier inoxydable, qui subit une pression notable sur les prix. Le marché est prisonnier d'échanges très faibles.
LME Nickel : 22 065 dollars -1,55 % le 11/10/2022 à 17:10 GMT