L'avenir de l'extraction minière sous-marine est entre deux eaux. "C'est un vrai moment critique. Il y a à la fois un élan qui monte pour un moratoire et en même temps l'industrie dit que 2025 est l'année où elle va déposer ses demandes pour miner", commente auprès de l'AFP Louisa Casson, de l'ONG Greenpeace, qui met en garde depuis des années contre les risques pour les écosystèmes uniques et encore mal connus des grands fonds.
Encore récemment, plonger dans les abysses pour extraire à grande échelle des minerais convoités, cobalt, nickel ou cuivre, ne semblait qu'un horizon improbable. Loin des regards, en Jamaïque, l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), créée en 1994 sous l'égide de l'ONU, négociait ainsi tranquillement le "code minier", futures règles d'exploitation des ressources du plancher océanique sous sa juridiction (uniquement les eaux internationales).
Nauru accélère le calendrier
Mais elle est désormais sous pression car le calendrier s'est accéléré. Depuis juillet 2023, en raison d'une clause juridique déclenchée par Nauru, petit Etat insulaire du Pacifique, n'importe quel pays peut déposer une demande de contrat d'exploitation au nom d'une entreprise qu'il sponsorise. Et Nori (Nauru Ocean Resources Inc.), filiale de l'entreprise canadienne The Metals Company (TMC), compte bien être la première à en bénéficier, espérant commencer en 2026 l'exploitation de nodules polymétalliques dans le Pacifique.
"Nous (...) reconnaissons la responsabilité qui découle de la première demande mondiale de ce type", a assuré Gerard Barron, PDG de TMC, qui reconnait auprès de ses actionnaires qu'il n'y a "aucune assurance" d'approbation du plan d'exploitation "dans un délai d'un an" ou "du tout". L'entreprise, qui met en avant le besoin de ces métaux pour la transition énergétique, vient d'annoncer, "en consultation avec Nauru", la date du 27 juin pour le dépôt de la demande.
Une date repoussée de quelques mois pour demander au Conseil de l'AIFM de "clarifier" les choses lors de sa session de mars, a expliqué TMC. Le Conseil, organe exécutif de l'Autorité composé de 36 Etats membres, n'a en effet jusqu'ici pas réussi à se mettre d'accord sur les règles d'examen d'un tel dossier en l'absence de "code minier".
On est encore très loin d'avoir un texte robuste au regard des risques potentiels" pour les océans.
Clément Chazot, de l'Union internationale pour la protection de la nature.
"Volonté politique"
Pour éviter ce vide juridique, il s'est fixé une feuille de route pour une adoption du code en 2025. Mais de nombreux sujets épineux restent en suspens, sur les règles environnementales, mais aussi le partage des bénéfices issus de ces ressources labellisées "patrimoine commun de l'humanité".
"Le code est bien avancé, alors s'il y a une volonté politique et beaucoup de travail entre les sessions, c'est possible de le finaliser en 2025", dit à l'AFP un ambassadeur auprès de l'AIFM, souhaitant rester anonyme. "Mais je ne vois pas cette volonté politique. Les pays qui poussent pour un moratoire n'ont aucune raison d'être flexibles."
Certains observateurs s'inquiètent aussi du risque qu'une finalisation précipitée qui donnerait naissance à des règles bancales. "On est encore très loin d'avoir un texte robuste au regard des risques potentiels" pour les océans, estime Clément Chazot, de l'Union internationale pour la protection de la nature (UICN). Alors pour lui, "ne pas adopter le code cette année, ce serait déjà gagner du temps."
Des habitats profonds encore méconnus
Ce laps de temps doit permettre de renforcer encore la coalition pour un moratoire, qui compte désormais une trentaine de pays. Ils ont échoué en 2024 à convaincre le reste des 169 membres de l'AIFM de faire un premier pas vers cette pause. Mais les ONG espèrent une nouvelle offensive plus réussie en 2025.
Pour l'instant, une majorité d'Etats mettent plutôt en avant une position médiane : négocier des règles suffisamment solides pour lancer l'exploitation tout en préservant au maximum l'environnement.
Depuis des années, ONG et scientifiques pointent du doigt la menace de destruction directe d'habitats et d'espèces peut-être encore inconnus mais cruciaux, soulignant le manque de connaissances scientifiques. Ils ont été confortés cette année par une étude choc : la découverte d'oxygène provenant non pas d'organismes vivants mais de nodules polymétalliques.
Des conclusions rejetées par TMC, qui avait en partie financé ces recherches. Quel que soit le camp qui sortira vainqueur de la bataille à l'AIFM, rien n'empêche les gouvernements de faire ce qu'ils veulent dans leurs eaux territoriales. Comme Oslo, qui compte ouvrir à la prospection une partie de ses fonds marins en mers de Norvège et du Groenland.