Des OVNI des mers
Ils sont tellement pointus et fragiles que même leurs propriétaires dépensant des fortunes pour les voir triompher ne sont pas autorisés à monter à bord. Les bateaux de la Coupe de l’America sont des bijoux d’une envergure hallucinante, censés survoler la mer, si possible à une vitesse deux fois supérieure à celle du vent.Le Team Luna Rossa a récemment transporté son « OVNI », de Cagliari en Italie, à Auckland en Nouvelle-Zélande. Un transfert dantesque par bateau, puis avion très gros porteur, pour participer à la plus vieille compétition sportive au monde.
Il y a quelques jours, il était baptisé dans le port de « la ville des voiles », en présence de Martin Fischer et du reste de l’équipe du défi italien.
Dans le Team Luna Rossa, un habitant de la Vallée du Tir
Cet architecte naval d’origine allemande réside en Nouvelle-Calédonie depuis plus de vingt ans. Installé à la Vallée du Tir, à Nouméa, l’homme est discret, tout en étant incontournable. C’est notamment lui qui a négocié avec le Team New Zealand, tenant du titre, « la jauge » de la prochaine Coupe de l’America.« C’est vraiment spécial. Le vainqueur de l’édition précédente a un grand pouvoir. Il négocie le règlement de la Coupe à venir avec un représentant de ses différents challengers, le « Challenger of the record ». Pour l’édition 2021, c’est nous, le Team Luna Rossa. Au sein de mon équipe, on m’a chargé de négocier et développer la jauge avec Dan Bernasconi du Team New Zealand, tenant du titre »
Les deux hommes sont tombés d’accord sur plusieurs modifications. A la différence de 2017, des monocoques seront cette fois en concurrence. Des bateaux d’environ 21 mètres, disposant d’un mât de 26 mètres, et dont le poids obligatoire est fixé à 6,5 tonnes strictes.
Un équipage de 11 personnes est autorisé, et ne doit pas dépasser 990 kilos. Une vraie nouveauté par rapport à la dernière course disputée, ouverte à des catamarans de 15 mètres et 2,8 tonnes, avec un équipage de 6 personnes.
« En 2017, c’était des multicoques plus petits. Les nouveaux bateaux sont plus puissants, et beaucoup plus impressionnants. Quand on voit ça sur l’eau, cela fait quelque chose. C’est presque irréel. Au début, on ne peut pas croire qu’ils peuvent vraiment voler, alors qu’ils le font. Ces bateaux vont plus vite que les catamarans de la dernière édition »
Faire voler le bateau le plus longtemps possible
Il y a de quoi être estomaqué par cette prouesse de faire voler un bateau d’une telle dimension, à une telle vitesse. Acteur de ce pari, Martin a participé à la conception du bateau Prada Pirelli, comme 105 personnes mobilisées pour concevoir ce monstre des mers. Il a été pensé et fabriqué pour rester le moins de temps possible dans l’eau. Ce qui, en soi, est déjà assez extraordinaire.« L’objectif, c’est vraiment de voler 100% du temps. Pas seulement pendant la navigation en ligne droite, mais aussi pendant les manœuvres, les virements de bords et les empannages. Si l’on veut gagner, il faut être, dès le départ, en l’air »
Pendant trois ans, une véritable entreprise a travaillé en ce sens : 35 personnes au bureau d’études, une vingtaine de navigants, du personnel administratif et une équipe en charge de l’entretien du bateau et des réparations.
A découvrir, ce reportage télé sur Martin Fischer, au coeur du défi italien, de Martin Charmasson et Christian Favennec
Innover pour augmenter ses chances de gagner
Dans une course qui s’apparente à un grand prix de formule 1 marin, l’innovation joue un rôle déterminant pour gagner en rapidité. Il s’agit pour les différents concurrents de trouver des moyens de décoller le plus rapidement possible, pour grignoter des secondes. Plus on s’élève vite, plus on prend de l’avance.« Pour donner un exemple, avec un vent de 12 nœuds, si on reste dans l’eau, on naviguera à une vitesse de 15 à 18 nœuds. Si dans les mêmes conditions de vent, on est hors de l’eau, on sera au-dessus des 30 nœuds en termes de vitesse. Cela fait une très, très grosse différence »
Le Team Luna Rossa a ainsi réfléchi à un système de bosse sous la coque, qui devrait obliger ses concurrents à adapter leurs bateaux.
« Avec une coque plate, quand le bateau commence à décoller, et que la moitié du poids est portée par les foils et l’autre par la coque, la surface mouillée reste très grande, et cela freine beaucoup.
Avec notre système, quand la moitié du poids est portée par les deux foils latéraux d’une surface de 2 mètres carré, on a seulement cette petite bosse dans l’eau. Comme si c’était une coque d’un catamaran, très étroite, avec très peu de résistance. On a atteint donc très vite la vitesse nécessaire pour décoller »