''C'est le pilote'', persiste Air Moorea

L’audition des prévenus s’est achevée mardi 23 octobre, pour le dernier jour de débats dans le procès Air Moorea, avant les plaidoiries et le réquisitoire mercredi. Un témoin cité par la défense est revenu à la barre pour changer ses premières déclarations.
Un témoin cité par la défense affirme que le malaise du pilote est la seule cause plausible du crash. Une théorie qui a suscité l’indignation des familles et l’agacement du procureur.

C’est un peu le va-tout de la défense : Fabrice Bodel, ancien chef-pilote d’Air Moorea revient à la barre. Avec lui, des vidéos de démonstrations, mais aussi une maquette des manettes en contre-plaqué réalisée ce week-end.

En début de procès, il déclarait ne pas avoir d’idée sur la cause du piqué de l’avion. Aujourd’hui, pour lui finalement, seul un malaise du pilote peut expliquer la courbe descendante du twin otter, contredisant toutes les expertises judiciaires. Le pilote se serait ainsi effondré sur le manche selon lui, poussant l’appareil vers sa chute. « Il a revu le rapport du BEA, ce n’est pas rien, et il y a un diagramme sur la courbe de descendante qu’il n’avait pas vu et là, il s’est dit ‘tiens, il y a là quelque chose que j’ignorais », déclare Me Quinquis pour expliquer ce revirement de situation.

Nouvelle version balayée par le procureur et la Cour puisque étayée par aucun calcul, ni élément médical.
Le malaise du pilote, le câble rompu au moment du relevage ou encore l’erreur de pilotage face aux importants problèmes de maintenance encore dénoncés à la barre aujourd’hui.

Comme une hélice posée en 2002 et remplacée en 2011, alors que sa durée de vie était de 5 ans. Le même problème que pour le câble de profondeur. « Logique, selon les recommandations du constructeur par rapport à la date à laquelle nous avions réceptionné cet avion », explique Stéphane Loisel à la barre, responsable du Bureau Documentation et Etudes. « Donc, l’hélice peut faire 40 ans comme ça et les durées de vie limite ne servent à rien ? » s’agace un des assesseurs.

Grand absent de ce procès : Didier Quemeneur, contrôleur qualité au moment de l’accident. C’est lui qui a signé la remise en service du twin otter F-OIQI, après sa révision le 19 juillet 2007, soit 3 semaines avant le crash.

Mais devant les gendarmes, il déclare avoir « signé le contrôle des tâches sous la contrainte, sous la pression de monsieur Chanseau : « Si tu ne signes pas, tu auras affaire à moi. ». Didier Quemeneur explique ainsi le fait d’avoir signé le contrôle des tâches, avant même de l’avoir effectué. « Donc, l’avion pouvait très bien repartir en vol sans que le contrôle des tâches n’ait été effectué ? » demande Me Bellecave, avocat des familles. « Oui, » lâche Jacques Gobin, ancien directeur technique.
« Toute l’attitude de monsieur Quémeneur, c’est de se défausser sur les autres. C’est dommage qu’il ne soit pas là » déplore Freddy Chanseau, ancien directeur.

La justice reproche à Didier Quémeneur de n’avoir pas préparé les dossiers de visites conformément aux recommandations du constructeur pendant au moins 800 heures, entraînant une usure anormale du câble de gouverne et l’accident.

Et sur le contrôle de l’ancien directeur de la compagnie : « Ce n’est pas à moi de contrôler l’organisation du travail dans les parties techniques » se défend Freddy Chanseau.
« Tous les gens qui ont dénoncé les dysfonctionnements dans l’atelier sont tous ceux qui posaient problème dans l’atelier. Ils avaient une formation de pistard, c’est-à-dire gonfler les pneus des avions et les faire partir, ils n’étaient pas qualifiés » s’agace Jean-Pierre Tinomano, l’ancien responsable de production.

Didier Quémeneur avait d’ailleurs été sanctionné une fois pour avoir réceptionné un moteur en provenance d’Australie avec des documents non conformes. Le GSAC avait demandé une sanction : son agrément avait été suspendu par sa hiérarchie.
Il est également mis en cause pour un incident sur un câble de gouverne aux Marquises, en décembre 2007, soit 4 mois après le crash, sur un appareil du même type, de la même compagnie. Condamné en première instance, un appel est en cours.

Puis, vient le tour de Manate Vivish, actuel directeur d’Air Tahiti, représentant Air Moorea, de venir à la barre. Il n’est pas poursuivi en tant que personne physique et n’occupait pas de fonction de direction au moment de l’accident.
- « Après des contrôles comme ceux-ci, shuntés, est-ce que vous remettriez en ligne un avion de ce type à Air Tahiti ? » demande l’un des assesseurs.
 - « Certainement pas. Lorsque nous avons reçu les conclusions du BEA concernant la rupture du câble de gouverne, ça a été un coup de massue. Mais petit à petit, il y a eu un vent doux de contestation venant des mécaniciens et notamment de monsieur Tinomano qui est l’un des meilleurs techniciens twin otter et nous nous sommes forgés l’intime conviction que le câble n’a pas cassé en vol. »
- « Un bagagiste qui change une roue comme cela a pu être rapporté, est-ce que ça vous interpelle ? »
- «Je n’y crois pas. Le mécanicien a certainement pu être aidé. Dans ces îles, on peut avoir besoin de bras, mais toujours sous le contrôle du mécanicien.
- « Si, et je ne le souhaite à personne, un crash survenait à Air Tahiti faisant 20 morts, est-ce que le lendemain, les avions repartiraient ? », demande le président.

Manate Vivish a du mal à répondre : « Avec 46 destinations desservies par Air Tahiti, les gens ont besoin de rentrer chez eux, la réponse ne se posera pas si facilement… »
- « 4 mois après le crash, il y a eu un nouvel incident sur un câble mal monté. Quelle est votre réaction ? »
- « Je n’ai pas de commentaire. Tout a été dit : le câble a été mal monté et les contrôles pas assez fournis. Le pilote a eu la bonne réaction (en le signalant ndlr). »

Sur les « maladresses et les imprudences » relevées dans l’atelier : « Comme dans toute organisation, rien n’est parfait. Des choses doivent être améliorées. Je reste persuadé que ces manquements ne sont pas en lien avec l’accident. »

- « Enfin, un câble qui a déjà servi, avec une durée de vie d’un an, comment faites-vous le calcul à Air Tahiti ? »
- «Je suis un béotien en matière de maintenance. Mais les explications fournies me paraissent acceptables. »
- « Donc, vous feriez des opérations similaires à Air Tahiti (mélanger date de pose et date de révision ndlr) ? »
- « Je ne sais pas. »
- « Monsieur Pierre, votre ancien directeur technique, a déclaré à la barre que vous faisiez les mêmes calculs chez Air Tahiti… » rappelle la Cour.

Demain, place aux plaidoiries des avocats des familles et au réquisitoire très attendu du procureur. Les prévenus encourent jusqu’à 3 ans de prison, des peines d’amende et l’interdiction d’exercer.

En fin de journée, Andramanonjisoa Ratzimbasafy, dirigeant du GSAC en Polynésie au moment de l’accident et prévenu, reconnaît que « l’avion était inapte au vol. »
 
‘c’est le pilote’, persiste Air Moorea