Heperi Mita a réalisé un documentaire intime sur sa mère, la cinéaste maori Merata Mita. "Merata : How Mum Decolonized The Screen", est en compétition au 17e FIFO. Rencontre.
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"Merata : How Mum Decolonized The Screen", film en compétition, est le portrait d’une femme, celui d’une femme exceptionnelle. Merata Mita, cinéaste néo-zélandaise, est la première femme maori à avoir réalisé des documentaires et des fictions sur l’histoire et les luttes de son peuple. Ses objectifs : décoloniser la télévision et indigéniser ce qu’on voit à l’écran. C’est son fils, Heperi Mita, qui s’est attelé à cette tâche aussi délicate qu’intime. Au fil du film, cet archiviste redécouvre et le plus souvent découvre sa mère. Une femme tiraillée entre son combat de maori et sa vie de famille, entre les codes conventionnels qui cantonnent une mère de famille dans des cases et son amour pour une vie libre, entre la culture de son peuple et celle des colons, entre la pauvreté et ses ambitions, entre sa situation et celle qu’elle souhaiterait pour ces enfants, son unique avenir. Cette femme extraordinaire a pris la caméra pour raconter ses problèmes au quotidien avant de s’attaquer aux batailles des maori dans les années 80. Ses films ont été controversés mais ont rencontré un vif succès, "Patu" étant le plus connu. Au fil des ans, elle a franchi les frontières, parcouru les Océans pour finalement accéder à Hollywood. Une vie difficile mais si riche qu’a tenté de retranscrire son fils, Heperi.
Elle était très connue dans les années 80 mais pour les gens de ma génération moins, la mémoire est courte. Il faut dire aussi que les sujets qu’elle documentait sont des sujets que beaucoup de gens préféraient oublier. Je voulais donc montrer de nouveau tout son travail pour rafraîchir la mémoire. Et, puis, pour moi de façon plus personnelle, je souhaitais mieux comprendre ma mère et ma propre famille sur des choses pour lesquelles j’étais trop jeune à l’époque pour vraiment comprendre.
Oui, vraiment. Il y avait beaucoup de choses qu’elle ne m’avait pas dites dans sa vie que j’ai redécouvert en visionnant des films d’archives. Les expériences de mes frères et sœurs, qui sont plus âgés que moi, étaient complètement différentes de ce que moi j’ai vécu dans mon enfance. Quand je suis né, ma mère avait déjà réussi sa carrière professionnelle, elle avait déjà beaucoup de succès donc j’ai eu une enfance très privilégiée. Mais, je n’étais pas conscient des sacrifices qui avait été fait pour que moi je bénéficie de ces privilèges.
Oui, tout à fait. Ce film nous a beaucoup rapproché. Puis, il y avait toutes ces expériences que eux avaient vécues dont ils n’avaient pas parlé. Et ils n’en parlaient pas car lorsqu’ils le faisaient, on disait souvent que c’était des mensonges ou des exagérations. Que je vienne moi trente ans plus tard les faire parler de leur enfance, ça a eu aussi des vertus thérapeutiques. D’avoir intériorisé et gardé toutes ces choses, ces rapports à l’autorité notamment, pendant si longtemps, c’est vraiment dommageable. De partager cela avec moi et au-delà avec le public, cela leur a permis de mieux comprendre eux-mêmes ce qu’ils avaient traversé. Quand j’ai fait le film, c’était tellement personnel que je ne me rendais pas bien compte de l’effet qu’il pouvait avoir sur les autres. Mais quand je pense à la vie de ma mère, ce qu’elle a vécu, j’ai compris qu’elle faisait tout ce travail non pas pour devenir célèbre ou devenir une grande cinéaste, mais tout simplement par amour pour ses enfants.
Au niveau personnel, c’était de faire en sorte que les membres de ma famille soient à l’aise pour évoquer cette période. J’ai passé beaucoup de temps à travailler avec eux dans cette optique. Pour la partie logistique, on avait des milliers et des milliers d’heures de films d’archives avec des formats complètement différents. Il a aussi fallu gérer les détenteurs des droits car elle n’était pas entièrement propriétaire de tous les films qu’elle avait fait.
Elle a eu beaucoup d’impact sur les jeunes cinéastes maori d’aujourd’hui et indigènes, en général. Eux me disent qu’ils marchent sur ses traces. Ce que je ne savais pas et ce que très peu de gens savaient, car c’était une personne très réservée et très forte, était cette douleur qu’elle portait en elle.
Quand j’ai découvert dans les archives la toute première apparition de ma mère à la télévision, j’ai été très ému. J’étais aussi très excité de voir mes frères et sœurs enfants car nous n’avons pas tellement à la maison de photos de cette époque. Mais au-delà de ça, lorsque j’ai découvert le contenu, les sujets qu’elle évoquait, la discrimination dont elle était victime, les préjugés, le fait par exemple de la voir parler de l’avortement qui est un sujet encore très controversé, ça m’a vraiment brisé le cœur. Les moments les plus émouvants ont été aussi lorsque j’ai découvert cette interview où elle racontait à quel point elle avait des regrets sur ce qu’elle avait fait subir à sa famille pour son travail. Je n’étais pas conscient de ce conflit qu’elle avait en elle entre cet équilibre à trouver sur le succès du film et ce que cela avait comme effet sur la famille. Comme archiviste, tu dois être objectif, mais parfois j’ai craqué, j’ai pleuré.
Aujourd’hui, je pense que la décolonisation de l’écran est un processus. On est beaucoup plus avancé aujourd’hui que lorsque ma mère a commencé. Je vois à travers l’expérience de ma mère tout ce qui a changé et tout ce qui n’a pas bougé. Ma productrice, par exemple, est aussi productrice de Jojo Rabbit, qui est nommé aux Oscars. Le travail d’une autre indigène est donc en train d’atteindre les sommets qu’on n’aurait pas imaginé. D’un point de vue plus personnel, cet héritage est naturel car j’ai grandi dedans mais j’ai aussi une grande responsabilité familiale.
Rencontre.
Était-ce important de faire un documentaire sur votre mère ?
Elle était très connue dans les années 80 mais pour les gens de ma génération moins, la mémoire est courte. Il faut dire aussi que les sujets qu’elle documentait sont des sujets que beaucoup de gens préféraient oublier. Je voulais donc montrer de nouveau tout son travail pour rafraîchir la mémoire. Et, puis, pour moi de façon plus personnelle, je souhaitais mieux comprendre ma mère et ma propre famille sur des choses pour lesquelles j’étais trop jeune à l’époque pour vraiment comprendre.
C’est donc aussi un cheminement personnel ce film ?
Oui, vraiment. Il y avait beaucoup de choses qu’elle ne m’avait pas dites dans sa vie que j’ai redécouvert en visionnant des films d’archives. Les expériences de mes frères et sœurs, qui sont plus âgés que moi, étaient complètement différentes de ce que moi j’ai vécu dans mon enfance. Quand je suis né, ma mère avait déjà réussi sa carrière professionnelle, elle avait déjà beaucoup de succès donc j’ai eu une enfance très privilégiée. Mais, je n’étais pas conscient des sacrifices qui avait été fait pour que moi je bénéficie de ces privilèges.
Dans le film, vous partez à la rencontre de vos frères et sœurs. Est-ce que cela a permis de forger vos liens familiaux ?
Oui, tout à fait. Ce film nous a beaucoup rapproché. Puis, il y avait toutes ces expériences que eux avaient vécues dont ils n’avaient pas parlé. Et ils n’en parlaient pas car lorsqu’ils le faisaient, on disait souvent que c’était des mensonges ou des exagérations. Que je vienne moi trente ans plus tard les faire parler de leur enfance, ça a eu aussi des vertus thérapeutiques. D’avoir intériorisé et gardé toutes ces choses, ces rapports à l’autorité notamment, pendant si longtemps, c’est vraiment dommageable. De partager cela avec moi et au-delà avec le public, cela leur a permis de mieux comprendre eux-mêmes ce qu’ils avaient traversé. Quand j’ai fait le film, c’était tellement personnel que je ne me rendais pas bien compte de l’effet qu’il pouvait avoir sur les autres. Mais quand je pense à la vie de ma mère, ce qu’elle a vécu, j’ai compris qu’elle faisait tout ce travail non pas pour devenir célèbre ou devenir une grande cinéaste, mais tout simplement par amour pour ses enfants.
Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées lors de ce film ?
Au niveau personnel, c’était de faire en sorte que les membres de ma famille soient à l’aise pour évoquer cette période. J’ai passé beaucoup de temps à travailler avec eux dans cette optique. Pour la partie logistique, on avait des milliers et des milliers d’heures de films d’archives avec des formats complètement différents. Il a aussi fallu gérer les détenteurs des droits car elle n’était pas entièrement propriétaire de tous les films qu’elle avait fait.
Est-ce que l’histoire de votre mère a permis de faire avancer la cause des Maori, de faire évoluer la situation ?
Elle a eu beaucoup d’impact sur les jeunes cinéastes maori d’aujourd’hui et indigènes, en général. Eux me disent qu’ils marchent sur ses traces. Ce que je ne savais pas et ce que très peu de gens savaient, car c’était une personne très réservée et très forte, était cette douleur qu’elle portait en elle.
Vous êtes archiviste, quels ont été vos sentiments lorsque vous vous êtes plongés dans les archives et la vie de votre mère ?
Quand j’ai découvert dans les archives la toute première apparition de ma mère à la télévision, j’ai été très ému. J’étais aussi très excité de voir mes frères et sœurs enfants car nous n’avons pas tellement à la maison de photos de cette époque. Mais au-delà de ça, lorsque j’ai découvert le contenu, les sujets qu’elle évoquait, la discrimination dont elle était victime, les préjugés, le fait par exemple de la voir parler de l’avortement qui est un sujet encore très controversé, ça m’a vraiment brisé le cœur. Les moments les plus émouvants ont été aussi lorsque j’ai découvert cette interview où elle racontait à quel point elle avait des regrets sur ce qu’elle avait fait subir à sa famille pour son travail. Je n’étais pas conscient de ce conflit qu’elle avait en elle entre cet équilibre à trouver sur le succès du film et ce que cela avait comme effet sur la famille. Comme archiviste, tu dois être objectif, mais parfois j’ai craqué, j’ai pleuré.
Merata a été la première indigène à décoloniser l’écran, que reste-t-il de cet héritage ?
Aujourd’hui, je pense que la décolonisation de l’écran est un processus. On est beaucoup plus avancé aujourd’hui que lorsque ma mère a commencé. Je vois à travers l’expérience de ma mère tout ce qui a changé et tout ce qui n’a pas bougé. Ma productrice, par exemple, est aussi productrice de Jojo Rabbit, qui est nommé aux Oscars. Le travail d’une autre indigène est donc en train d’atteindre les sommets qu’on n’aurait pas imaginé. D’un point de vue plus personnel, cet héritage est naturel car j’ai grandi dedans mais j’ai aussi une grande responsabilité familiale.