« 140 km à l’ouest du paradis » : entre invasion et exploitation

"140 km à l’ouest du paradis" de Céline Rouzet
De la première à la dernière minute, le spectateur est absorbé par l’histoire de ces familles de Papouasie Nouvelle-Guinée. "140 km à l’ouest du paradis" de Céline Rouzet raconte comment une usine de gaz américaine impose sa présence et exploite les populations locales et leur terre. Malgré leur combat, la bataille paraît perdue d’avance….

Des touristes, appareil photo à la main, admirant des danseurs de la Papouasie Nouvelle-Guinée.

Ces groupes de locaux sont en réalité payés pour danser. C’est ce qu’on appelle le Hagen Show, la principale attraction touristique du pays et pure invention coloniale.

Cette image forte ouvre le film 140 km à l’ouest du paradis et plonge immédiatement le spectateur dans une ambiance particulière.

Une volonté de la réalisatrice Céline Rouzet, qui signe là son premier film, de montrer cet aveuglement des occidents sur ces populations. Journaliste de formation, la jeune femme s’est, très tôt dans sa carrière, intéressé à l’histoire de ce pays de l’Océanie méconnu, et plus particulièrement aux Higlands.

Un coin qui attire aussi bien les touristes avides d’exotisme que les firmes pétrolières étrangères.

Céline Rouzet a une vingtaine d’années quand elle fait son premier voyage. « Petite, je rêvais de vivre dans la jungle avec une tribu. J’ai fait ensuite des études de journaliste et un jour je suis tombée sur une conférence avec des chefs de tribu Papou et Huli. Ça a été le début de mon histoire avec ce pays. J’étais encore étudiante quand je suis partie. Je me suis heurtée à un pays bien plus violent que ce que j’imaginais et je me suis confrontée à des personnes qui avaient à la fois de l’admiration et de la colère envers l’Occident. »

Pour acquérir en crédibilité, Céline Rouzet se rend d’abord dans une ville minière pour réaliser des documentaires radio et rédiger des articles pour Le monde diplomatique.

Un jour, elle tombe sur cette usine de gaz du géant américain ExxonMobil. Une exploitation sur des terres ancestrales qui promettait d’arroser la région de millions de dollars. Émerge alors cette question chez la jeune journaliste : comment ça marche des millions déversés sur une tribu ?

« J’étais désespérée de les voir perdre leur force »

Céline Rouzet se rend dans le pays tous les deux ans et y reste à chaque fois quelques mois. Elle dort chez l’habitant, rencontre les familles locales, s’imprègne du pays, vit comme les gens et apprend même la langue locale.

Malgré le danger ambiant, cette violence latente qui fait fuir les gens dès que la nuit tombe, la jeune réalisatrice suit une famille Huli et son clan qui ont cédé leurs terres à Exxonmobil en échange d’argent.

Ils rêvent alors de modernité mais elle ne viendra pas car l’argent n’est pas distribué. Pris entre des tribus rivales, des politiciens cupides et l’une des multinationales les plus puissantes de la planète, ils sentent la terre se dérober sous leurs pieds.

La réalisatrice a tourné en deux temps, une première fois puis cinq ans plus tard. « J’ai pu voir la résiliation lors des meetings politiques. Entre les deux meeting à cinq ans d’intervalle, rien n’a changé.

On voit par contre que ces familles sont de plus en plus silencieuses. J’étais désespérée de les voir perdre leur force. Il y a une entreprise de culpabilisation : on assène à ces gens qu’ils doivent changer et s’adapter. On a même une scène avec un prêcheur, la religion vient elle aussi leur taper dessus.

Ce sont des gens qui sont en train de perdre confiance en eux, de perdre leur valeur. Ils perdent aussi les noms qu’on donne à la terre, le langage ». Au fur et à mesure du film, le spectateur ne peut pas rester insensible à ces images exaspérantes, qui alimentent un sentiment de colère au fil des minutes.

Il ne peut qu’observer ce Far West de jungle où se joue, à l’abri des regards, une histoire de la mondialisation en accéléré. Une histoire qui symbolise la violence et l’absurdité de notre époque, une histoire d’invasion et d’exploitation où les perdants sont les toujours les mêmes, les populations locales.

Impossible de ressortir indemne d’un tel film, la réalisatrice en a elle-même garder des traces, des souvenirs, parfois des cauchemars. « J’ai fait l’expérience d’un pays où on est en alerte tout le temps. On a en couvre-feu permanent, dès que la nuit tout le monde rentre chez soi… Alors, quand on revient de ça on se dit qu’on a une liberté énorme. J’ai eu aussi de grands moments de joie avec les familles qui m’ont donné leur confiance ».

Des moments intenses qui effacent toutes les difficultés d’un tel film mais restent gravés.