Les baleines reviennent chaque année en Polynésie française. L’observation dans leur milieu naturel reste un moment unique mais nécessite quelques précautions. De nouvelles réglementations ont été mises en place en 2018 et ont permis une nette amélioration des comportements humains. Immersion.
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"Elle est là, à une quinzaine de mètres juste en dessous de nous. Dans le bleu profond de l’océan, au large de Tahiti, nous faisons la rencontre du plus emblématique être vivant au monde. On nous avait prévenu que ce serait exceptionnel. Nous avons le souffle coupé tellement le spectacle est impressionnant!"
Une forme gigantesque apparaît doucement des profondeurs. Elle semble immobile, comme si elle flottait sur un nuage, ses mouvements sont amples et gracieux. Elle a remarqué les plongeurs, a accepté leur présence. À ce moment là, plus rien ne compte, le temps s’arrête et la magie opère. Face à ce géant des mers, respirer devient presque facultatif. Tous les regards l’accompagnent pendant qu’elle remonte à la surface. Les rayons de soleil font office de projecteurs et laissent découvrir finalement le blanc de son ventre.
"Comme si elle nous invitait à faire pareil, elle sort sa tête de l’eau et pousse une grande expiration. Le souffle de la baleine nous laisse sans voix. Le sourire marque nos visages pendant qu’elle danse un petit moment à la surface".
Puis, comme un jeu, elle replonge ensuite en offrant un dernier geste, sa queue balayant lourdement l’horizon avant de la propulser à nouveau vers les profondeurs.
"En regagnant le bateau, nous sommes encore sous le charme. On a déjà envie de les revoir. Cette rencontre marquera à jamais notre vie".
"Les baleines sont là!"
La présence de la baleine agit comme un aimant et fascine les Polynésiens depuis toujours. C’est la floraison du "atae", cette plante à la fleur rouge ou orange aussi appelée arbre à baleines, qui annonce l’arrivée des baleines à bosse en Polynésie. Les îliens s’amusent alors à scruter l’horizon pour tenter d’apercevoir les premiers signes de leur présence. Un jet d’eau, une queue qui balaie l’eau ou peut-être même un saut poussent la foule au bord des plages et les embarcations près du spot. "Les baleines sont là", toujours une bonne nouvelle. Pendant quelques mois, elles seront des voisines et honoreront de leur présence les îles polynésiennes.
Elles attirent aussi des curieux du monde entier qui s’aventurent à Tahiti pour la rencontrer - faisant de la baleine à bosse, la star de l’Océan Pacifique. Finalement, cet appel irrésistible pousse les plus courageux à se jeter à l’eau. Ils espèrent tous l’approcher.
Cet intérêt grandissant a entraîné entre 2007 et 2008, une augmentation de l’activité touristique d’observation des cétacés dans leur milieu naturel, le whale watching comme l’explique le Docteur Agnès BENET, biologiste marin dans un article paru dans Tahiti infos le 2 juillet 2020.
Arrivée sur le fenua en 2001, elle a assisté à ce boom et a créé l'association Mata Tohora engagée dans la protection des mammifères marins de Polynésie.
Le boom du whale watching
Le nombre de prestataires s'accroît rapidement. En 2020, on compte 47 prestataires habilités répartis sur 5 îles - 22 à Moorea, 15 à Tahiti, 5 à Bora Bora, 3 à Rurutu et 2 à Tubuai selon l’association Océania.
Ce sont autant de bateaux qui perturbent le repos des cétacés, arrivés en Polynésie après plus de 2 mois de trajet depuis l’Océan Arctique pour s’accoupler et mettre bas. Pendant cette période, ils vont perdre plus de 30% de leur poids, seront affaiblis et auront besoin de calme. Ils sont très sensibles aux vibrations et vite dérangés par le clapotis d’un nageur, alors imaginez le ronflement d’un moteur.
De nouvelles règles ont été mises en place, ce qui est une bonne chose
Pour les observer dans leur environnement naturel en évitant de trop les perturber, il a fallu mettre en place certaines règles.
La Direction de l’environnement (DIREN) a publié en 2002 deux arrêtés (n°622 et n°623) sur les mesures d’approches des baleines.
Comme ces mammifères se repèrent essentiellement à l’ouïe, il est impératif de réduire sa vitesse en les approchant, de ne jamais couper le moteur du bateau et de se mettre à l’eau sans mouvement brusque.
La réglementation de 2002 précise : ne jamais les encercler, ne jamais les coincer contre le récif et toujours s’adapter à leur comportement en faisant route parallèle.
Malgré ces restrictions, le boom du whale watching en 2007-2008 déclenche une augmentation sensible des bateaux et une surexploitation touristique. En 2016, des études ont révélé une baisse de la fréquentation des baleines à bosse dans la zone polynésienne. Il a donc fallu renforcer la législation.
En 2018, trois nouvelles mesures sont venues compléter les deux arrêtés de 2002. Elles concernent l’obligation de distance de 100 mètres entre l’animal et le bateau, l’interdiction d’observation dans les passes et les lagons. Pour les professionnels, un guide certifié doit accompagner la mise à l’eau des touristes. Sur le site de l’association Mata Tohora, on retrouve tous les détails.
Plus récemment, l’association, en collaboration avec la DIREN, a mis en place une formation pour devenir référent-observateur. Leur tâche consiste à intervenir en cas d’incidents concernant les baleines, les dauphins et les espèces protégées. On constate que la situation s’est nettement améliorée depuis ces quatre dernières années.
Eduquer encore et toujours
La sensibilisation est le pilier de cette transformation. Tous doivent y participer, les autorités, les associations, les professionnels et les particuliers. Cela passe par l’éducation. Sous la supervision de la DIREN, des spots publicitaires passent à la télé pour informer la population sur les règles d’approche. De son côté, l’association Mata Tohora mène des campagnes d’éducation dans les écoles pour initier les jeunes aux bons gestes.
.89% des dérangements sont le fait d’environ 5% des personnes sur l’eau...il reste encore à faire à cause d’une poignée d’individus
Cette année encore, la Polynésie a conservé son titre de sanctuaire de baleines à bosse en offrant l’hospitalité à de nombreux individus. Les mesures existent et les campagnes de prévention continuent. Au final, il est question de responsabilité individuelle des observateurs professionnels ou particuliers. C’est donc la mission de chacun.