Hawaii : les autochtones partagés entre indépendance et reconnaissance fédérale

Rassemblement à l'issue de la convention et du vote de la constitution. Image tirée d'une vidéo qui résume cet aha (en anglais)
Les autochtones d’Hawaï ont une constitution. Ce vote a eu lieu fin février, dans l’île d’Oahu, au terme d’un mois de rencontres et de discussions autour de l’avenir des peuples premiers de l’archipel américain et de leurs aspirations au plan politique.


Cette constitution n’est encore qu’un document de travail, mais c’est une première étape de franchie. Melody Kapilialoha Mackenzie est professeure de droit à l’université d’Hawaï, elle a participé à la rédaction de cette constitution, qu’elle nous présente :

« Ça fait environ 16 – 18 pages, avec, de mon point de vue, un très beau préambule. Il y est question des droits individuels et collectifs, des droits coutumiers et traditionnels, et ça établit une sorte de modèle de gouvernement. Cette constitution contient des dispositions vraiment novatrices : protection des droits des enfants, droits coutumiers des autochtones d’Hawaï, avec la reconnaissance de l’importance de la terre. Le texte établit aussi le principe des trois pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire. »

Environ 150 personnes ont participé à sa rédaction lors de la convention de février, l’aha. Au départ, des délégués de chaque île devaient être élus, mais une plainte a été déposée contre les organisateurs, Nai Aupuni – un groupe d’autochtones et de non-autochtones ont estimé que cette élection de délégués indigènes était anticonstitutionnelle et que de l’argent public (du Bureau des affaires hawaïennes) ne pouvait y être consacré. L’affaire est entre les mains de la justice. Pour éviter de retarder le processus, les organisateurs ont décidé d’annuler l’élection et de convier toutes les personnes qui s’étaient portées candidates.

Toujours pas de gouvernement hawaiien


Malgré ce départ mouvementé, les participants ont donc réussi à s’entendre et à faire un premier pas en vue de la formation d’un gouvernement hawaïen, reconnu par les États-Unis. Les autochtones hawaïens sont le seul peuple premier du pays à ne pas être reconnu par le gouvernement fédéral américain. Toutes les tribus amérindiennes et les indigènes d’Alaska ont un statut à part.

« L’histoire de Hawaï est différente », explique Melody Kapilialoha Mackenzie. Quand l’archipel a été annexé par les États-Unis en 1898, le gouvernement fédéral avait arrêté de signer des traités avec les peuples premiers. Depuis les années 1970 et la Renaissance hawaïenne, des programmes dédiés aux autochtones hawaïens ont vu le jour, des lois pour protéger la culture et la langue hawaïennes ont été introduites, mais il n’y a toujours pas de gouvernement hawaïen.

Pourquoi vouloir en former un aujourd’hui ? Les motivations sont multiples, souligne la chercheuse Melody Kapilialoha Mackenzie : « Les programmes qui nous sont réservés commencent à être menacés, parce qu’ils sont perçus comme excluant. Il y a aussi le fait que la reconnaissance des peuples premiers est de plus en plus importante au niveau international, avec notamment la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, en 2007. Autre élément essentiel : l’annexion d’Hawaï était illégale, les États-Unis l’ont d’ailleurs reconnu (en 1993, le Congrès s’est excusé auprès du territoire, NDLR). »

Mais puisque l’annexion était illégale, pourquoi ne pas demander à retrouver sa souveraineté ? C’est la question que pose une partie des autochtones hawaïens. Participer à ce processus aux côtés des autorités américaines, ce serait renoncer à la lutte pour l’indépendance, estime le célèbre activiste Walter Ritte :

« La reconnaissance fédérale ? Ce truc est fait pour que l’on devienne une partie des États-Unis, que l’on soit encore plus proche d’eux qu’aujourd’hui, on sera accroché à eux, à leur argent. C’est de ça qu’il s’agit ! »

Dans un premier temps, Walter Ritte s’était porté candidat pour participer à la convention de février et faire porter la voix des indépendantistes dans le débat. Mais il y a renoncé, dénonçant au passage une « vision désenchantée de la souveraineté ».

La constitution a été approuvée par 88 voix ; il y a 30 rejets et une abstention.

Si pour certains, c’est l’indépendance ou rien, pour d’autres, la reconnaissance fédérale, c’est mieux que rien. D’autant qu’aujourd’hui, l’indépendance est un objectif « irréaliste », estime Melody Kapilialoha Mackenzie :

L'indépendance par étapes


« La majorité des autochtones hawaïens veulent l’indépendance, mais il y a cette question pratique : comment devenir indépendant si on n’a même pas de gouvernement opérationnel ? Il y a donc cette sorte de dualité avec laquelle beaucoup d’entre nous devons vivre. On est nombreux à penser qu’il faut des étapes intermédiaires : former un gouvernement, être reconnus par les États-Unis pour que nos terres et nos ressources puissent être un minimum protégées. Il y a des juristes qui nous ont dit que l’on pouvait, effectivement, demander à être reconnus officiellement, mais qu’on devait faire attention à ne pas renoncer à nos revendications internationales. Quand vous lisez la constitution, vous voyez que c’est le cas, qu’on ne renonce à rien. »

La reconnaissance fédérale serait donc un premier pas. Mais pour y arriver, il va falloir fournir encore de gros efforts. La constitution doit être votée, ce qui signifie d’abord que les organisateurs de la convention doivent réunir des fonds pour organiser le scrutin, et ensuite que les partisans du projet fassent campagnes auprès des Hawaïens pour les convaincre de valider le texte. Melody Kapilialoha Mackenzie précise que tous les autochtones hawaïens majeurs et enregistrés sur les listes électorales seront appelés à voter, soit environ 122 000 personnes.

La suite semble encore plus compliquée : si la constitution est approuvée et qu’un gouvernement hawaïen est formé, il devra être autorisé à lancer une pétition demandant la reconnaissance fédérale. Une fois l’accord obtenu, il faudra élire des officiers qui se chargeront de déposer la pétition auprès des autorités américaines. D’ici là, les États-Unis auront un nouveau président, alors que Barack Obama, né à Hawaï, est perçu comme étant la personnalité politique la plus favorable aux autochtones hawaïens.

Elodie Largenton/Radio Australia