Cannabis thérapeutique : quand la science et les usages vont plus vite que la loi....

Le syndicat polynésien du chanvre réclame des recherches scientifiques sur le cannabis thérapeutique à Tahiti.
Christian Sueur est psychiatre. Depuis quarante ans, le médecin travaille sur le cannabis thérapeutique. Il est à l’origine de nombreux écrits sur la question. Aujourd'hui, la question de la légalisation est encore au coeur des débats.

Dans les années 90, Christian Sueur est l’initiateur de l’usage de la méthadone pour les toxicomanes dans les prisons française. Avec Médecin du monde, il a fondé les missions dans les rave party afin que les jeunes ne consomment pas n’importe quoi. Le médecin travaille depuis 40 ans en addictologie et dès les années 80 il a constaté les effets thérapeutiques du cannabis alors que le discours dominant à l'époque ne parlait que des effets dangereux du produit. Christian Sueur poursuit son combat : faire savoir que le cannabis est une drogue qui peut être l’amie de l’homme. 

L’histoire du cannabis thérapeutique ne date pas d’hier…


Le cannabis est connu depuis 4 000 avant Jésus-Christ. Et tout d’un coup dans les années 30, le gouvernement américain décide d’interdire le cannabis car "l’herbe rend les nègres insolents" selon Anslinger, un conservateur américain convaincu que la marijuana constituait une menace pour l'avenir de la civilisation américaine. En clair, on enlève le produit que les noirs utilisaient pour un peu de gaieté… C’est toute l’histoire de la prohibition. Vers la fin des années 80, les États-Unis commencent enfin à travailler sur le cannabis thérapeutique avec du THC de synthèse, essentiellement pour les nausées, les vomissements, les anorexies particulièrement dans les maladies graves comme le SIDA. Les médecins se rendent compte que les malades du SIDA ont un meilleur appétit, une meilleure immunité et sont moins angoissés par leur pathologie. On s’aperçoit ensuite qu’il y a tout un champs d’utilisation dans le cadre de la santé mentale au-delà de la médecine somatique pour ces effets anti-inflammatoires et aujourd'hui sur certains types de cancer….

Quels sont les pays avant-gardistes sur la légalisation du cannabis ? 

Les États-Unis, le Canada, Israël ou encore l’Uruguay ont avancé sur les recherches comme sur la légalisation du cannabis thérapeutique depuis une vingtaine d’années. Il y a un mouvement général où les médecins veulent légaliser le cannabis car il peut améliorer la santé de certains de leurs patients. Ils continuent à faire des recherches pour des maladies graves. Et on se rend compte que cette plante a des effets contre la douleur chronique de maladies neurologiques depuis une quinzaine d’années, certains cannabinoïdes ont des indications dans le cancer et autres maladies comme les épilepsies. Le problème en France aujourd’hui est qu’on a 5 à 10 ans de retard par rapport aux autres pays car on reste juste sur cinq indications thérapeutiques (la sclérose en plaque, soins palliatifs dont les cancers, spasticité de la sclérose en plaque, les douleurs chroniques des maladies neurologiques et deux types d'épilepsies rares et résistant aux autres traitements chez les enfants), les quarante à cinquante autres indications reconnues dans le monde ne le sont toujours pas en France. La pratique médicale est bloquée face à cette situation. Et la répression et la prohibition continuent, on le voit aujourd’hui dans la politique du gouvernement français. Il faudrait pourtant un protocole pour notamment former les médecins à s’en servir et pouvoir vérifier les teneurs en cannabinoïdes pour améliorer l'efficacité des différents médicaments issus du cannabis. L’intérêt de la légalisation est justement de pouvoir travailler sur la composition en cannabinoïde, c'est-à-dire sur  les différents ratio entre les cannabinoïdes. 

Où est-on aujourd’hui des essais cliniques sur la question ? 

Concernant le cannabinoïde appelé CBD, il y a beaucoup d’essais cliniques à l’étranger pour élargir les indications à la psychiatrie et l’addictologie. Le CBD fonctionne comme un antidépresseur et un anxiolytique, en plus d’être un antileptique et un anti inflammatoire. Mais, en France malheureusement, on ne fait toujours pas d'essais cliniques et on n'encourage pas les expérimentations. Le discours est le même qu’il y a 40 ans, comme le risque d’usages incontrôlables. En clair, les autorités restent sur des principes de précautions qui sont dépassées aujourd’hui par rapport aux autres pays occidentaux, c’est un "vieux fond prohibitionniste"… Pourtant, je le rappelle, et c’est important, il y a moins d’effets indésirables avec le cannabis qu'avec des substances chimiques de la médecine moderne comme les opiacés et les tranquillisants par exemple  et il est moins dangereux que l’alcool. Les pays en pointe en terme de recherches sont : Israel, l’Ecosse, la Hollande, le Canada, les USA, l’Allemagne. Et concernant la légalisation, c'est effectif au Luxembourg et des pays comme le Portugal, l’Espagne, l’Angleterre, la Belgique et l'Allemagne se dirigent vers cette solution. En Allemagne et en Italie par exemple, la légalisation devrait se faire d’ici 2024.

Et la Polynésie, quelle carte peut-elle jouer ?

Une famille sur cinq font pousser et consomment du cannabis. Il n’y a pas plus de fumeurs chroniques ou de personnes qui deviennent violentes rien qu’avec le cannabis. Le vrai problème en Polynésie, c'est l’alcool, l’ice et enfin les mélanges (alcool, ice ou cocaïne et cannabis). La violence n’est pas liée au cannabis seul ! La Polynésie pourrait très bien l’utiliser comme un médicament traditionnel mais il faut encadrer pour sécuriser les usages thérapeutiques et socialiser les usages ordinaires. Il faut donc arrêter de le prohiber et accepter une culture familiale, encadrée avec des analyses régulières des produits, une diffusion sous contrôle médical et toxicologique. Plutôt que de prohiber et d'interdire, il faut faire de la prévention avec les enfants et les adolescents, et de la réduction des risques avec les utilisateurs abusifs. Il faut développer un véritable savoir pour le cannabis thérapeutique et mettre en place une agence du cannabis qui fasse de la prévention, octroie des patentes, encadre les producteurs, vérifie des taux de cannabinoïde et permettent de faire un travail clinique entre le ratio des cannabinoïde ici et les essais cliniques qui se pratiquent ailleurs comme en Nouvelle-Zélande par exemple. 

Quels sont les travaux en cours aujourd’hui en France ? 

J’avais engagé deux projets collaboratif entre différents CSAPA (Centres de Soin, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie) d'Occitanie. Un est en cours : il s'agit de l’analyse des substances à base de cannabis qui sont utilisées par les patients pour se soigner eux-même car dans les CSPA nous, médecins, n'avons pas d’autorisation pour prescrire des cannabinoide à nos patiens. Cela permet de connaître et de vérifier les taux de THC ou de CBD, pour pouvoir améliorer le savoir clinique (certains cannabinoides sont plus efficaces sur certaines pathologies...). Le deuxième projet était une expérimentation qui consistait à utiliser du CBD de qualité médical pour traiter des pathologies addictives,  afin d'aider la prise d’héroinomanes, de cocaïnomanes ou d’alcooliques. Et de diminuer les tranquillisants aujourd'hui utilisés de manière abusives. Nous n’avons pas eu d’autorisation pour faire cette étude. Aujourd’hui, l’utilisation thérapeutique est bloquée, il en est donc de même avec la recherche clinique. Dans les pays où c’est légalisé, les scientifiques ont la possibilité d’expérimenter et de poursuivre les recherches y compris sur la sécurité d'emploi de ces produits.