Fonds de solidarité de l’État : des patentés de Kaukura appelés à rembourser les aides perçues

Fonds de solidarité de l’État
Sur l’atoll, c’est le désespoir. Ils seraient 72 patentés, artisan, pêcheur, ou encore restaurateur. Au mois d’octobre 2022, ils reçoivent un courrier de la direction des finances publiques en Polynésie française, leur informant qu’ils étaient redevables des sommes perçues. Pour l’un d’eux, la facture s’élève à près de 5 millions F. CFP.

Pendant le COVID, ces artisans de Kaukura, aux Tuamotu, ont en effet bénéficié de l’aide du Fonds de solidarité. C’était une réelle bouffée d’air ! Une aide bienvenue pour soutenir leurs activités durement touchées par la crise sanitaire. Mais après quelques mois de réjouissances, ils se trouvent dos au mur. La direction des finances publiques les informe que les aides qu’ils ont perçus pendant 14 mois, doivent être remboursées…intégralement ! Totalement désemparés, ils se regroupent dans un collectif dénommé : Stop aux aides empoisonnées. « On en dort plus », s’exclame sa présidente, Natacha Taerea. 

Des aides, sans justificatifs 

C’était la promesse du quoi qu’il en coûte : pendant deux ans, des aides massives, globales, ont été accordées quasiment sans conditions aux entreprises comme aux ménages pour éviter l’effondrement économique. Crée le 25 mars 2020, le Fonds de solidarité a accordé 27, 3 milliards d'aides en 2020 et 2021, en Polynésie française. 

« C’est lors des élections municipales de 2020 que nous avons entendu parler de ça, on ne savait même pas que cela existait », précise la porte-parole du collectif. « Dès lors, on était soulagé. On a effectué nos demandes en ligne, en renseignant ce qui était demandé », poursuit-elle. En ligne, le formulaire de demande était assez simple, rapide et efficace. 

On nous demandait notre nom, prénom, notre numéro Tahiti, notre RIB et notre chiffre d’affaires. On était même étonné de recevoir cet argent sans justificatifs ! Trois jours après, on recevait l’aide sur notre compte bancaire.

Natacha Taerea, présidente du collectif "Stop aux aides empoisonnées"

Les artisans de l’île en profiteront jusqu’au mois de juin 2021, soit 14 mois. Une aide individuelle mensuelle plafonnée à 178 998 XPF. 

Contrôles inopinés de la DGFIP

Et ce même mois, un contrôle est effectué à postériori. « On nous a contrôlé sur le mois de février 2021, mais uniquement sur ce mois-là. On nous a demandé de justifier les chiffres établis sur le formulaire en ligne. On a essayé de joindre tous les justificatifs demandés avec l'aide de personne ! Parce que quand nous appelions à Tahiti, ils étaient incapables de nous aider ! Donc, on s'est débrouillé. Et puis on a attendu », confie la présidente du collectif. 

Certains étant dans l’incapacité de répondre à l’urgence, ils se déclarent « non-conformes ». 

La réponse de l’administration arrive au mois d’octobre 2022, par voie postale. Dans un courrier, les bénéficiaires sont informés d’une notification d’avis dans laquelle il est stipulé : « vous restez redevable de la somme à payer indiquée ». Pour l’un d’eux, la somme est de 4 490 573 XPF.

Fonds de solidarité de l’État

Pour un autre, pêcheur en l’occurrence, il doit rembourser 2 198 568 XPF.

Des créances justifiées pour « trop-perçu d’aide versée […] dans le cadre du fonds de solidarité. […] Non-respect des conditions d’éligibilité ».

La présidente du collectif est dans l'incompréhension "on ne sait pas sur quoi ils se basent pour nous déclarer non-conformes. Et aujourd’hui, on doit rembourser tous les mois pendant lesquels nous avons touché l’aide ! On ne comprend pas". Ils seraient 72 sur l’atoll. 

Ajoutées à cela les majorations de 10% pour retard de paiement, les dettes s’accumulent.

Rappelons qu'en septembre 2021, la Cour des comptes avait appelé le gouvernement central à renforcer les contrôles sur les aides versées aux ménages et aux entreprises depuis le début de la crise sanitaire. 

Ces contrôles sont également prévus par la convention signée entre la Polynésie française et l'État portant sur la mobilisation du Fonds de solidarité. 

Un collectif pour se faire entendre

Pour les patentés de l’atoll, c’est le monde qui s’écroule. Ne sachant pas vers qui se tourner, ils montent un collectif. Au mois de novembre 2022, un courrier est adressé au haut-commissariat pour obtenir de l’aide. Il n’y trouve aucun écho. 

Le collectif se tourne donc vers la presse pour « faire bouger les choses, parce que l’on se sent totalement abandonner. On a l’impression que l’on s’en fout de nous ! Quand on appelle la DGFIP, les rares fois où nous arrivons à les avoir au téléphone, ils sont incapables de nous répondre. Ni les services du pays », confie, désemparée, Natacha Taerea, qui poursuit « nous sommes incapables de rembourser ces sommes, car nous les avons utilisé pour faire tourner nos activités après la crise. Il ne faut pas oublier que Kaukura aussi a subi les confinements ». Le collectif demande à ce que les responsabilités soient partagées avec l'Etat et le pays. 

Comptes bancaires gelés

Car aujourd’hui, il y a urgence. Les dettes ne sont toujours pas acquittées et leurs comptes bancaires ont été gelés. Toujours dans un courrier adressé cette fois par leur établissement bancaire, ils sont informés que « la règlementation nous impose de verser le montant de l’Avis à Tiers Détenteur au requérant, dans la limite des fonds disponibles ce jour sur votre compte, au terme d’un délai de 2 mois. En conséquence, nous procédons au blocage de la somme xxxx qui fera l’objet, d’un règlement au requérant vers le 25 décembre 2022, sauf mainlevée préalable du requérant ».

Un courrier de l'établissement bancaire

A la veille des fêtes de fin d’année, le cadeau de la crise sanitaire est, comme qui dirait, empoisonné.

Appel au Centre d’information des droits des femmes et des familles

Les patentés de Kaukura ne seraient pas des cas isolés. En lançant un appel sur les réseaux sociaux, le collectif s’aperçoit qu’ils seraient nombreux dans cette situation. Une des « victimes » leur propose de faire appel au CIDFF, le Centre d'information des droits des femmes et des familles. Sa présidente a effectivement été interpellée par le collectif. 

La présidente du collectif m’a demandé d’être leur référent sur Tahiti. […] J’ai accepté pour plusieurs raisons. D’abord, parce que juste avant son appel, nous avons commencé à recevoir des personnes pour nous dire : c’est la catastrophe, on nous demande de rembourser d’un coup les 2 millions que nous avions reçu pendant le Covid. Il faut rappeler quand même que le Covid, c’était en mars 2020, et à ce jour, les choses n’ont pas repris correctement. Pour Kaukura, ce sont des artisans, ils n’ont pas de salaires fixes. Exiger un remboursement immédiat, ce n’est pas normal. Même s’il y avait un remboursement échelonné, on ne sait pas combien ils gagneront ce mois-ci, ni le mois prochain ! Ensuite, je me pose la question : est-ce que cela s’appelle vraiment Fonds de solidarité ? Si c’est le cas, il n’était pas si profond que ça ! […] Certains peut-être en ont profité, mais je trouve que c’est moche, qui plus est aujourd’hui, à la veille de Noël.

s’exclame Thilda Harehoe

 Et la procédure promet d’être très compliquée.

Je suis commissaire au surendettement, j’ai donc tout de suite réagit à ce titre pour faire passer ce problème en dossier de surendettement. Mais le problème qui se pose, c’est que les artisans et les patentés ne sont pas éligibles à la commission de surendettement des particuliers, sauf si la dette professionnelle est inférieure à la dette personnelle. Dans le cas contraire, ces personnes-là sont obligées de se rendre au tribunal du commerce pour demander que la dette personnelle et professionnelle soit fusionnée.

explique Thilda Harehoe.

Pour accompagner ces personnes, elle proposera une assistance juridique. 

Mais en attendant, Noël, c’est dans 20 jours « alors j’ai appelé le secours catholique qui a reçu quelques affaires du Rotary Club. Il a déjà commencé à emballer des cartons pour les envoyer dans les îles, et je leur ai demandé de me garder un carton pour Kaukura », confie Thilda Harehoe. 

« La campagne de contrôle et de recouvrement est une modalité classique »

Interpellé par notre rédaction, le haut-commissariat précise que la campagne de contrôle et de recouvrement menée par la Direction des finances publiques est une modalité classique à l’octroi de fonds publics. Les bénéficiaires de bonne foi peuvent cependant bénéficier d’un accompagnement spécifique. Quant aux situations  manifestement frauduleuses, elles font l’objet d’un traitement spécifique, notamment sur le plan pénal. 

Face à la détresse des habitants de Kaukura, une boite mail générique a toutefois été activée. Toutes personnes concernées peuvent adresser une demande à l’adresse suivante : dfip987.recouvrement@dgfip.finances.gouv.fr

Ecoutez le reportage d'Aiata Tarahu :