Lorsque nous lui rendons visite le 1er novembre, Léonard entame sa plus longue journée de l'année. À la Toussaint, le cimetière est exceptionnellement ouvert jusqu'à 20 heures pour laisser le temps aux familles de profiter de leurs défunts. Il s'assure que le cimetière est propre et veille à faire respecter le lieu aux visiteurs. Pas de fosse à creuser aujourd'hui, le dernier enterrement en date s'est déroulé la veille.
En temps normal, Léonard et ses collègues préparent environ deux fosses par jour pour accueillir les cercueils. Le plus souvent, ils sont armés de pelles et de barres à mine pour éviter d'abîmer les tombes à proximité. Vêtus d'un bleu de travail, de gants et d'un masque chirurgical, les quatre fossoyeurs de l'Uranie scellent les pierres tombales, participent aux inhumations, aux ouvertures et aux fermetures des caveaux. Il arrive aussi qu’ils aient à exhumer des corps pour faire de la place dans le cimetière...
Léonard avait 18 ans lorsqu'il a déterré son premier corps. Ça lui a fait tout drôle "de voir des os" et de gérer les odeurs, à peine camouflées par son masque. C’est dans les pas de son grand-père que le jeune homme marche aujourd’hui, lui-même fossoyeur. En 2009, il intègre l'équipe de l'Uranie. Le 26 octobre 2011, il décroche son CDI. Désormais, les cadavres n'ont plus aucun secret pour lui...enfin presque. Des anecdotes il en a plein, certaines un peu plus bizarre. "Il y en a parfois qui ne veulent pas partir ! Une fois, on devait exhumer un cadavre enterré 22 ans auparavant pour le rapatrier chez lui, à Moorea. Quand on l'a retiré du cercueil, le corps était intact" nous raconte Léonard. Pas le choix, il faut faire de la place dans les cimetières en "réduisant les corps et en récupérant les os pour les ranger." Il arrive également qu'il doive exhumer…un de ses proches. "C'est le travail..." lâche-t-il. Mais il l'accepte et parvient à voir la mort sous un autre jour. "Cela m'a beaucoup renforcé au niveau du mental. Aujourd'hui, j'ai plus peur des vivants que des morts !" nous dit Léonard sur le ton de l'humour.
Vivre avec la mort
Si la mort ne lui fait plus peur, le deuil en revanche n'en est pas moins douloureux. Cette année, pour la première fois, son camarade Vatea n'est pas avec lui. Décédé l'année dernière, le quarantenaire a laissé un grand vide dans le quotidien de Léonard...il avait fait ses premiers pas à ses côtés, en tant que fossoyeur. "J'ai enterré mon copain de travail. En 2009, j'ai commencé avec lui. Il est mort ici, il n'y a pas longtemps. On était toujours côte à côte. Il ne nous laissait jamais tomber. J'essaie de surmonter cette perte. Cela m'a beaucoup touché. C'est ma première année sans lui", confie Léonard, les larmes aux yeux.
13 ans qu'il travaillait avec Vatea. Ensemble, ils ont vécu la période si particulière du covid... Pour eux, le travail ne s'est pas arrêté, bien au contraire. De 2020 à 2022, le nombre d'enterrement a doublé. À ce moment-là, ils préparaient cinq fosses par jour en avance et procédaient aux inhumations sans protection supplémentaire. En revanche, les exhumations étaient strictement interdites pour éviter tout risque de contamination. Avant le décès de Vatea, les fossoyeurs étaient au nombre de cinq à l'Uranie. Il n'a pas encore été remplacé. Désormais, le plus grand cimetière de Polynésie ne compte plus que quatre fossoyeurs. Dévoués, en plus de leur travail sur les tombes, ils surveillent le cimetière, entretiennent les jardins et font aussi la sécurité à leurs heures perdues. Dans l'ombre, ils veillent sur nos morts.