HISTOIRE - 1995 : reprise des essais nucléaires, Tahiti explose

6 september 1995, des émeutiers aux abords de l'aéroport de Tahiti-Faa'a.
C'était il y a près de 30 ans... En juin 1995, le président Chirac annonce la reprise des essais nucléaires avec une campagne de tirs souterrains. L'annonce fait l'effet d'une bombe. Les manifestations internationales s'enchaînent. Quelques mois plus tard, Tahiti s'embrase. De violents affrontements entre des manifestants et les forces de l’ordre éclatent. Retour sur cet évènement qui a marqué l'histoire de la Polynésie française.

13 juin 1995 au Palais de l’Élysée. Le nouveau président de la République, Jacques Chirac, élu depuis seulement un mois, fait une annonce explosive. "J’ai pris la décision d’autoriser une dernière campagne d’essais nucléaires… Cette décision est irrévocable". Trois mois plus tard, l’aéroport de Tahiti-Faa'a et la ville de Papeete seront le théâtre de violents affrontements entre des manifestants et les forces de l’ordre. Retour sur les événements qui ont mené aux émeutes de 1995.

  • Une décision irrévocable

2 juillet 1966, le premier essai nucléaire français est tiré à Moruroa, située à plus de 1 250 km de Tahiti. Le début d'une longue série. Au total,175 essais atmosphériques puis souterrains seront tirés jusqu'en 1992 sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa.

Des manifestants antinucléaire devant l'ambasse de France au Japon, le 26 juin 1995.

En avril 1992, le président de la République de l’époque, François Mitterrand, décide sans concertation de proclamer un moratoire sur les essais nucléaires. Lorsqu’en juin 1995, Jacques Chirac annonce une dernière campagne d’essais, la protestation est générale. Partout dans le monde, des manifestations sont organisées.

En Nouvelle-Zélande, Greenpeace, l’ONG internationale qui lutte pour la protection de l'environnement, arme son nouveau navire. Le Rainbow Warrior 2 prend la mer, direction Tahiti pour protester contre la reprise des essais nucléaires. Un bras de fer médiatique s’engage entre les opposants et l’État français.

  • La bataille médiatique

Le 29 juin 1995, à Tahiti, une mobilisation antinucléaire sans précédent est organisée. 10 000 personnes manifestent sur les routes pour dénoncer la reprise des essais. À la tête du cortège, le leader indépendantiste, Oscar Temaru. De son côté, l’État peut compter sur le soutien de certains hommes politiques locaux comme Gaston Flosse, le président du gouvernement de la Polynésie française de l’époque.

Le ministre des Finances du Japon accompagné de parlementaires manifestent pour dénoncer la reprise des essais nucléaires français. Une manifestion qui a eu lieu le 2 septembre 1995.

L’armée, que l’on qualifie souvent de "grande muette" devient pour l’occasion très bavarde. Des voyages de presse sur l’atoll sont organisés. Journalistes français et étrangers  assistent en direct aux préparatifs de cette dernière campagne d’essais. Au centre de cette bataille d’images, Gaston Flosse mais aussi Michel Buillard qui n'hésitent pas à plonger dans le lagon de Moruroa. Comme pour montrer l'innocuité des essais nucléaires.

Face à cette offensive médiatique des armées, les opposants ne resteront pas sans rien faire. Une autre bataille se joue au large de l’atoll de Moruroa.

  • La bataille maritime

Début juillet, à peine arrivé à Tahiti, le Rainbow Warrior 2 prend la direction de Moruroa. Les autorités françaises prennent alors une série de mesures pour interdire la navigation autour des deux atolls. Un navire de la marine nationale est positionné en permanence autour de la zone pour empêcher toutes intrusions.

Le face à face entre Greenpeace et l’armée française durera plusieurs semaines. Au total, une trentaine de navires se joignent à l'ONG autour des atolls. L’armée française, elle, envoie quinze navires de la marine nationale. À mesure que la date de la reprise des essais approche, la tension monte.

Oscar Temaru, leader indépendantiste, à la tête d'un cortège pour manifester contre la reprise des essais nucléaires en Polynésie. Une manifestation qui a réuni plus de 2 000 personnes à Papeete, le 2 septembre 1995.

Le 1er septembre, le point culminant est atteint lorsque neuf zodiacs pénètrent à l’intérieur du lagon de Moruroa. Dans la foulée, la marine lance l’assaut contre le Rainbow Warrior 2. 66 personnes sont placées en garde à vue. Parmi les passagers interpellés figure Oscar Temaru, le chef du parti indépendantiste le Tavini Huiraatira.

À  Tahiti, dès l’annonce de son arrestation, les militants indépendantistes s’installent à l’entrée de la ville et menacent de fermer les routes de Papeete si leur leader n’est pas libéré rapidement. Pour éviter toute escalade, les autorités le libèrent. De son côté, un des syndicats les plus importants en Polynésie, A Ti’a i Mua, dirigé alors par Hiro Tefaarere, décide de déposer un préavis de grève illimitée. La tension est à son comble alors que la France n’a pas encore procédé à son premier essai.

  • L’explosion

Le 5 septembre 1995, à 11h30 du matin, la France procède au premier essai nucléaire de sa dernière campagne de tir. Le lendemain matin, une manifestation est organisée à l’aéroport de Tahiti-Faa'a. De nombreux jeunes désœuvrés de la commune de Faa'as e joignent aux manifestants. Très vite, la situation dégénère. Les manifestants prennent d'assaut l’aéroport.

Ils tentent d'abord de monter dans l'avion présent sur le tarmac persuadé que le président Gaston Flosse est à son bord, avant de mettre le feu à l'aéroport. Les forces de l’ordre sont submergées. Il faut dire que ce jour-là à Tahiti, il n'y a que trois escadrons de gendarmes mobiles. Trop peu pour défendre l'aéroport.

Violents affrontements entre les forces de l'ordre et les manifestants à l'aéroport de Tahiti-Faa'a, le 6 septembre 1995.

À la tombée de la nuit, les manifestants prennent la direction de Papeete. Là aussi, les émeutiers rencontrent peu de résistance. Les commerces sont brûlés ou pillés. Les affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre durent deux jours. Le lendemain, c’est un paysage de désolation qui s’offre aux habitants de Papeete. Oscar Temaru qui est resté silencieux pendant 12 heures, lance un appel au calme.

Heureusement, aucun décès n’est à déplorer. Une vingtaine de gendarmes sont blessés dont douze hospitalisés. Une cinquantaine de manifestants sont interpellés. De son côté, Gaston Flosse accuse Greenpeace et les indépendantistes d’être responsables des émeutes. Une chose est sûre : il faudra du temps pour reconstruire.

  • Conclusion

27 janvier 1996, l’État procède à son dernier essai nucléaire sur l’atoll de Fangataufa. En mars, Jacques Chirac envoie Gaston Flosse aux îles Cook signer pour la France le traité de Rarotonga qui permet à la Polynésie et à la Nouvelle-Calédonie de rejoindre la zone dénucléarisée dans le Pacifique Sud. Finalement, 6 essais sont tirés au lieu des 8 prévus initialement. Des essais qui déroulent dans un calme relatif, sans autres débordements. Néanmoins, les émeutes de 1995 auront des conséquences politiques importantes.

Lors des élections territoriales l’année suivante, Gaston Flosse et son parti politique, le Tāhōʻēraʻa, obtiennent pour la première fois la majorité absolue à l’Assemblée de Polynésie. De l’autre côté de l’échiquier politique, on assiste à une poussée des indépendantistes qui passe de 4 à 10 élus dans la nouvelle Assemblée.

Des voitures incendiées dans le parking de l'aéroport de Tahiti, le 7 septembre 1995.

Les émeutes de 1995 ont donc renforcé la bipolarisation de la vie politique autour de ces deux figures. Oscar Temaru consolide son statut de leader de l’opposition. Gaston Flosse, lui, est libre d’appliquer sa politique d’autant qu’il a le soutien inconditionnel du président de la République, Jacques Chirac.

Il dirige la Polynésie sans rencontrer véritablement d’opposition pendant huit ans. Il faudra attendre le Taui de 2004 pour assister à un retournement politique. Reste la question des retombées des essais nucléaires. Depuis 2010, près de 3000 personnes ont déposé une demande de réparation auprès du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN. Pour l'heure, un tiers des dossiers d’indemnisation ont été acceptés.

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