Îles Cook : des experts réunis autour de l'exploitation et exploration des fonds marins

Des espèces sont observées dans les profondeurs océaniques de la zone de Clarion-Clipperton (Pacifique), rapporte le Centre national d'océanographie de Southampton (Royaume-Uni) le 24 juillet 2023
La question n’est pas nouvelle mais elle est de plus en plus présente. Les îles Cook organisaient du 15 au 21 septembre une conférence autour des minéraux sous-marins. Où en est la recherche ? Que font les industriels ? Quelles sont les technologies ? Experts, scientifiques, universitaires ont tenu des conférences pour faire un point sur l'exploitation et l'exploration des fonds marins. Un enjeu aujourd'hui crucial pour la zone du Pacifique.

« Il existe au fond des mers des mines de zinc, de fer, d’argent, d’or qui seraient très certainement facilement exploitables »… Cette découverte est tout droit sortie du roman d’aventures Jules Vernes « Vingt mille lieues sous les mers » de 1870. Près de deux siècles plus tard, elle est plus que jamais d’actualité… Cette semaine, les îles Cook accueillaient la 52e conférence sur les minéraux sous-marins. Ce forum international a réuni des représentants de plus de 25 pays et de nombreux acteurs du secteur. Universitaires, chercheurs, scientifiques, industriels, membres de gouvernement, ils viennent de Suède, du Portugal, de Nouvelle-Zélande ou encore d’Hawaï pour aborder des sujets aussi multiples que variés : études géologiques et biologiques des gisements minéraux, réglementations liées à l’évaluation des ressources minérales et de l’impact environnemental, technologies liées aux objectifs scientifiques…

« C’est extrêmement intéressant car c’est un lieu de rencontre autour d’un enjeu qui est central, celui de la mine sous-marine »

Pierre-Yves Le Meur - anthropologue de l’IRD

 

La présence de l'anthropologue à ce forum s’inscrit dans le cadre d’une expertise sur les grands fonds marins demandée à l’IRD, l’Institut de Recherche pour le Développement, par le gouvernement français qui "cherche à faire un état des lieux des connaissances, des usages et dispositifs de gouvernance des grands fonds marins », précise cet expert. Il viendra d’ailleurs en Tahiti pour organiser la deuxième plateforme de dialogue régional du 9 au 11 décembre prochain, la première avait eu lieu en mars en Nouvelle-Calédonie.

Une exploitation possible ?

Aujourd’hui, l’extraction minière des profondeurs des océans est au cœur des discussions internationales avec cette question cruciale : faut-il ou non exploiter les fonds sous-marins ? Ces fonds contiennent des minerais comme le cobalt, le nickel, le zinc, le cuivre ou encore le lithium, tous essentiels aux technologies et industries de la transition écologique puisqu'ils permettraient de réduire notre dépendance aux carburants fossiles, mais aussi aux applications aérospatiales et de défense. Alors forcément, ils attisent les convoitises en particulier des grandes nations. En tête, la Chine qui s’intéresse à ces richesses depuis les années 1980 et souhaite en faire une industrie. La Norvège, le Mexique ou le Royaume-Uni sont aussi intéressés par cette exploitation. Outre les grands pays, des petits états envisagent déjà de sauter le pas. Nauru, île détruite par une surexploitation de phosphate, a en juillet dernier affiché sa volonté de déposer un contrat d’exploitation par une entreprise canadienne avec comme objectif une mise en œuvre en 2026.

Des fonds marins

Pour l’instant, aucun permis d’exploitation n’a été délivré par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Cet organisme est chargé à la fois de protéger le plancher océanique des zones hors des juridictions nationales sous son contrôle, et d'y organiser les activités liées aux minerais convoités. Depuis dix ans, il négocie un code minier pour fixer les règles d'une éventuelle exploitation de ces grands fonds marins classés "patrimoine commun de l’humanité". En attendant, l'AIFM a autorisé des explorations. Sur son site, elle rapporte 30 contrats passés en ce sens dans les océans Pacifique, Indien et Atlantique. Ils ont été signés par des États membres comme la Chine, la France, l'Allemagne, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud ou la Russie. Des petits États comme les îles Cook ou encore Tonga ont également parrainé des entreprises privées.

L’exploration d’abord

Les îles Cook, où s’est justement déroulée la 52e conférence sur les minéraux sous-marins, travaillent sur la question depuis des décennies. Pauvre en ressources économiques, surtout depuis la crise du Covid, le pays voit dans l’exploitation une source de revenu importante. Mais pas à n’importe quel prix… C’est en tout cas le discours du gouvernement.

« On a mis en place des agences et des lois pour être sûr de faire les choses correctement, notamment en ce qui concerne la science. Car, nous voulons continuer à protéger notre océan »

Alex Herman - chargée du développement des fonds marins aux îles Cook

L’idée est donc d’abord d’explorer, de mieux connaître les fonds, de mesurer l’impact environnemental et de pouvoir réglementer pour éviter que les richesses des Océans ne connaissent le même avenir que celles de la Terre, en proie à l’épuisement à force d’exploitation. « Trois sociétés sont implantées aux îles Cook et ont obtenu des licences d’exploration des fonds sous-marins par le gouvernement. Elles ne font pas ce qu’elles veulent, le gouvernement est impliqué, ils ont des services publics sur le sujet, ils ont un comité de fonds sous-marins avec l’implication des religieux, des communautés de la société civile, des organisations environnementales, et beaucoup de consultations… On pourrait s’en inspirer… En tout cas, la Polynésie française doit s’y intéresser car nous sommes voisins, les frontières sont très proches », constate Hinamoeura Morgant-Cross, membre de l’Assemblée de Polynésie mais qui s’est rendue à cette conférence par ses propres moyens et en son nom propre.

« On apprend beaucoup de choses dans le domaine scientifique, sur les avancées des recherches, sur les outils utilisés ou possibles. l y a un partage de connaissance qui, il me semble, est très important ».

Hinamoeura Morgant-Cross

D’autant qu’en Polynésie française, les positions divergent même si un moratoire sur l'exploitation minière des grands fonds marins a été voté à l’Assemblée en 2022.

Et les territoires français dans tout ça ?

D’un côté, le leader indépendantiste, Oscar Temaru, ne serait pas contre l’exploitation minière des fonds marins mais sans que ce soit une exploitation coloniale. De l’autre, la position du gouvernement actuel, issu du Tavini, est claire : non à l’exploitation mais oui l’exploration « pour mieux comprendre le vivant, les enjeux de qui se trouvent au fond de nos océans », précise Moetai Brotherson. Le président du Pays estime que la position de la Polynésie est forcément différente des îles Cook.

« On n’est pas dans la même dynamique. Ce territoire n’a pas le même contexte que nous, c’est une économie avec un PIB qui n’est pas comparable, des atouts qui ne sont pas les mêmes (…) Nous, dans notre programme économique, on a défini d’autres axes qui nous suffisent, nous n’avons pas besoin d’aller détruire le fond des océans ».

Moetai Brotherson - président de la Polynésie

Quant à la Nouvelle-Calédonie, en 2021, le président Louis Mapou avait annoncé que le pays avait, lui aussi, bien l’intention de préserver les grands équilibres marins. Mais quelle est la position de la France ? « Le président de la République Emmanuel Macron n’avait pas bougé en 2021, la France avait même réfléchi à l’exploitation des grands fonds marins avec une politique publique sur comment organiser un opérateur minier national Le 30 juin 2022 lors de la conférence des océans de l’ONU, on assiste à un revirement inattendu de l'État qui prône alors l’interdiction de l’exploitation des ressources marines, en concertation avec les Outre-mer. Ce qui est intéressant est que pour une fois les territoires français sont en avance et que le président de la République les suit », analyse Semir Al-Wardi, docteur en Sciences-politiques. 

L’Océanie veut se faire entendre

Cette question de l’exploitation et d’exploration des fonds sous-marins est au cœur des attentions. Car, il se joue plusieurs politiques dans la région : la stratégie de l’axe Indo-Pacifique et la nouvelle route de la soie où les grands pays comme la Chine, les États-Unis et la France ont la main mise et se battent entre eux, et puis les Océaniens qui tentent de se faire entendre face à ces nations. « Pour les fonds marins, ils se débrouillent de leur côté avec le Blue Pacific [ndlr : un groupe de nations insulaires du Pacifique Sud courant une vaste zone maritime située dans le triangle plus large entre la Chine, l’Australie et les États-Unis] », précise Sémir Al-Wardi. Les dirigeants du Forum des îles du Pacifique (FIP) ont d’ailleurs rendez-vous en octobre pour le dialogue de Talanoa - dialogue interactif qui conduit à la formation de consensus et la prise de décision- afin de discuter notamment des questions entourant les minéraux des fonds marins. Alors que le Pacifique est confronté au double défi de protéger son environnement marin et de rechercher des opportunités économiques durables, cette prochaine session de Talanoa devrait ainsi constituer une étape importante dans l’élaboration d’une approche régionale unifiée… ou non.